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Histoire
TAHAR ZBIRI-HOUARI BOUMEDI�NE Les dessous d�un coup d�Etat manqu� (2e partie)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 11 - 10 - 2011


Par Mohamed Ma�rfia, moudjahed
4. Au bord du Rubicon
Les hommes qui l�ont plac� � la t�te de l�EMG d�chantent tr�s vite. L�officier au regard s�v�re a sa propre vision sur le cours des �v�nements. Ils s�en apercevront bient�t, globalement et dans le d�tail. Le d�tail c�est un incident mineur, une de ces p�rip�ties que les combattants rencontrent au bord de la route, au bord de la guerre. Un avion espion est abattu. Le pilote saute en parachute au-dessus du camp de Mellegue (base importante de l�ALN). Il est arr�t�. Le pouvoir tunisien, soumis aux pressions des Fran�ais, exige sa lib�ration.
Le GPRA, qui mesure les cons�quences sur tous les plans d�un refus somme l��tat-major de s�ex�cuter. Pour des raisons de s�curit� et surtout pour montrer qu�il est l�, et qu�on doit d�sormais compter avec lui, Boumedi�ne engage le bras de fer. La Tunisie, secr�tement, mais elle fait tout pour que le GPRA le sache, met ses forces en �tat d�alerte. De l�autre c�t� de la fronti�re, les divisions fran�aises sont pr�tes � intervenir. Boumedi�ne c�de, mais les relations entre l�EMG et le gouvernement provisoire ne seront plus jamais les m�mes. A propos de cet incident du pilote qui a fini par prendre des proportions d�mesur�es, �coutons Hadi Khediri qui a �t� au c�ur de l��v�nement, comme il l�a racont� lui-m�me � l�auteur de cette contribution : �Je fus au c�ur de cet �v�nement puisque j�ai �t� affect� � la garde de l�homme que tant de parties convoitaient. Cet �l�ve-officier pilote, blondinet, bien �lev�, fragile et mi�vre, comme son nom ne l�indique pas, puisqu�il s�appelait Gaillard, valait-il le chahut qu�il avait provoqu� en s�invitant aussi cavali�rement chez nous ? Avait-il conscience lui-m�me qu�il �tait venu pr�parer une offensive a�rienne contre nos installations et nos hommes ? Il avait bonne conscience. Il �tait �format� pour une guerre impersonnelle, ex�cut�e de loin sans le spectacle des chairs �crabouill�es, du sang et des cris. Il �tait un petit rouage de la m�canique qui tuait sans �tat d��me. Lorsqu�un djoundi le traita de terroriste. Il eut un haut-le-corps. �C�est � moi qu�il dit �a ?� fit-il indign�. J�intimais l�ordre � celui qui l�avait interpell� ainsi d�avoir � s��loigner et j�expliquais � la petite �me que son accusateur avait �t� � Sakiet-Sidi-Youssef en f�vrier 1958 lorsque ses camarades (et sans doute lui aussi) avaient d�vers� des tonnes de bombes sur les �coles, les march�s et les maisons des civils. Il se t�t et ses pommettes rosirent.� �La l�chet� du GPRA, qui a contraint l�EMG � lib�rer le Fran�ais, autorise Boumedi�ne � jeter le masque. Il multiplie les griefs contre ceux qui, t�t ou tard, il est d�cid� et il ne s�en cache plus, devront dispara�tre. Il fait partager sa ranc�ur � ceux qui l�entourent, avec, toujours pour alibi, �l�int�r�t de la r�volution�. Ce dogme, tel qu�il le con�oit, est un int�grisme herm�tique qui fascine son auditoire et, lorsque le contenu de l�apr�s-ind�pendance est projet� et soumis � la r�flexion par un mot, une allusion ou un discours, s�impose alors l��vidence que, seul lui et ceux qui le suivront auront la l�gitimit� pour le concevoir et le faire aboutir sans jamais d�vier ou trahir. D�s que les n�gociations avec les Fran�ais commencent, Boumedi�ne franchit un nouveau palier dans l�hostilit� d�clar�e au pouvoir civil. L�argument ma�tre auquel il a recours et qui �branle ses auditeurs c�est, selon lui, l�intention secr�te du GPRA de brader la r�volution. Il est pr�t, explique-t-il, � accepter une c�te mal taill�e, une solution m�diane � la tunisienne, boiteuse, tronqu�e des v�ritables attributs de l�ind�pendance. Son ombre se profile, comme la statue du commandeur, comme une �p�e de Damocl�s, au-dessus de l��quipe des n�gociateurs. Il exige que chaque phase des pourparlers soit soumise � l��tat-major. Le 19 mars, le cessez- le-feu est proclam�. Le GPRA, us� par quatre ann�es de pouvoir absolu, min� par des querelles internes, d�stabilis� par la virulence des attaques dont il est la cible, n�est plus en �tat de rebondir. La force militaire lui �chappe d�sormais, elle est aux mains de Houari Boumedi�ne. Le gouvernement provisoire � ou ce qui en reste �, dans un ultime sursaut, destitue le 3 Juin 1962 (apr�s la proclamation du cessez-le-feu. Il est important de le souligner) les membres de l�EMG et demande au pouvoir tunisien son concours pour mettre la main sur Houari Boumedi�ne, Ali Mendjeli et Ka�d Ahmed. Boumedi�ne se r�fugie, en compagnie de Sa�d Abid, aupr�s de Tahar Zbiri dans l�Aur�s, Ali Mendjeli se replie sur Taoura (Gambetta), Ka�d Ahmed se fait arr�ter � Constantine par des �l�ments de la Wilaya II. Il est de toute fa�on trop tard pour mettre � la raison �les rebelles�. L�Alg�rie vient de s�ouvrir et Ben Bella a ramen� d�Egypte les milliards n�cessaires pour entretenir les bataillons des fronti�res et les unit�s des Wilayas I et VI, partisanes de l�EMG. Houari Boume, � l�h�tel Transat. Objectif, Alger !... La guerre civile des mois de juillet et ao�t 1962 fait des centaines de morts. Au moment o� le sang coule, au moment de la marche sur Alger, on peut se demander pourquoi Houari Boumedi�ne a-t-il pu r�duire aussi facilement les 3 �B� � l�impuissance ?
Au-del� des moyens dont il disposait � la partie de l�ALN la mieux �quip�e �, au-del� de l�action efficace d�Ahmed Ben Bella, il a b�n�fici� d�une autre baraka autrement plus d�terminante que tout le reste : Krim, Boussouf et Bentobal, en refusant de le contraindre, de l�acculer, de le poursuivre et de le faire arr�ter alors qu�ils en avaient la possibilit�, c'est-�-dire avant le cessez- le-feu du 19 mars, lorsque l�arm�e fran�aise �tait encore sur le qui-vive (et que Bourguiba n�attendait que cela), avaient privil�gi� l�int�r�t national avant le leur propre. Engag�s dans la n�gociation cruciale d�Evian, ils ne voulaient � aucun prix que l�ALN, leur principal argument autour de la table ronde, soit amoindrie et perde de sa cr�dibilit� dissuasive. Patriotes avant tout, ayant consacr� leur vie � lutter pour le salut de l�Alg�rie, Boussouf et Bentobal acceptent la fin de leur parcours politique pour l�amour de leur pays. Pour Krim, la course vers Alger et Tizi Ouzou et les tentatives d�alliance et de combinaisons politiciennes ne commenceront, effectivement, qu�apr�s la proclamation du cessez-le-feu.
Boumedi�ne est � Alger. Ben Bella tient le haut du pav�, peu importe ! Pour l�heure, le tonitruant pr�sident joue les utilit�s. Il �normalise� pour lui la sc�ne politique. La paix arm�e avec Ben Bella est un mod�le de strat�gie. Le joueur d��checs qu�il est donne la pleine mesure de ses capacit�s. Il ne fait rien sans consulter le pr�sident. Toutes les questions d�importance sont soumises � Ben Bella. C�est ce dernier qui d�cide, tranche et assume. Cela va de la r�ponse � faire � une demande sovi�tique pour une visite �d�amiti� d�un b�timent de guerre � Mers-El-Kebir ou de la suite � donner � la d�couverte des d�pouilles mortelles des colonels Amirouche et El Haou�s. (Ce qui n�emp�chera pas Boumedi�ne, une fois seul aux commandes, de perp�tuer le sacril�ge). Sagace, patient, il sait ravaler sa col�re. L��pisode ubuesque des personnalit�s envoy�es pour repr�senter l�Alg�rie aux c�r�monies comm�morant la r�volution d�Octobre, alors que luim�me, vice-pr�sident de la R�publique et ministre de la D�fense, se trouvait au m�me moment � Moscou � la t�te d�une importante d�l�gation officielle, est le comble de l�humiliation qu�un responsable politique de son rang peut subir. Le proc�d� scandaleux destin� � faire comprendre � nos partenaires que l�homme qui n�gocie avec eux est en disgr�ce le rend bl�me, mais il demeure silencieux. C�est peut�tre ce jour-l� que Ben Bella a scell� le sort terrible qui sera le sien. La d�marche suicidaire du pr�sident le remplit d�aise. Boumedi�ne ne l�vera pas le petit doigt pour �viter le peloton d�ex�cution � l�ancien chef de la Wilaya VI, malgr� l�insistance de Zbiri. La mise � mort du jeune colonel Mohamed Chabani fera perdre � Ben Bella le pr�jug� favorable des cadres de l�ANP et des moudjahidine. Il fait tout ce qu�il peut pour que A�t Ahmed soit ex�cut�. Ben Bella, dans un sursaut de lucidit�, s�exclamera : �Ce type veut ma mort politique.� Quand il sent que l�autre est d�sormais sur ses gardes, Boumedi�ne op�re des reculs tactiques. Il demeure impassible en apparence devant les charges des chevaux l�gers du pr�sident : la r�bellion de l�officier Bouanani du quartier g�n�ral, la cuti positive de Ahmed Ben Abdelghani, chef de la 1re R�gion militaire, la milice de Mahmoud Guennez et son bateau d�armes chinoises (Khaled Nezzar, qui en inventorie le chargement, est stup�fait par le nombre et la puissance de feu des armements destin�s � cette milice). Quand Boumedi�ne apprend que le pr�sident concocte la d�mobilisation de tous les anciens membres de l�ALN pr�sents dans l�ANP alors qu�ils en constituent la majorit� des effectifs, il se pose la question sur la sant� mentale de ceux qui ont souffl� une telle mesure au pr�sident. Il sait que la simple annonce d�une telle �ventualit� cr�erait un v�ritable s�isme. Il est d�cid� � agir et � agir vite. Il attend l�opportunit� tout en continuant � feindre. Il ne r�agit toujours pas lorsque l�offensive visant le pr� carr� vital pour sa survie politique est d�clench�e par Ben Bella : la mise � l��cart de Moussa Hassani, de Ahmed Medeghri, puis de Abdelaziz Bouteflika. Il �touffe mais il ne dit mot. Il se borne � couvrir sa position par la mise en place discr�te des diagonales de sa future contre-attaque. Lorsque Tahar Zbiri vient l�informer que, lors d�un voyage � Oran en compagnie de Ben Bella, ce dernier l�a inform� qu�il compte proclamer une union avec l�Egypte et qu�il compte sur lui pour que le projet passe, la coupe est pleine. L�Alg�rie, qui panse encore ses plaies, n�a pas besoin d�importer chez elle les complications du Moyen-Orient. La milice, plus un corps exp�ditionnaire �gyptien ? C�en est trop ! D�sormais rassur� quant au sentiment de Zbiri, il donne le feu vert � Chabou. Le 19 Juin est en marche. L�action du 19 Juin a �t�, sur le plan technique, un mod�le de pr�paration et d�organisation. C�est une action rapide, inattendue, qui a assailli l��difice de son adversaire, balay� ses moyens, ruin� ses plans. Jamais �chec et mat n�a �t� autant magistral.
5. Le jour d�apr�s
Au lendemain du 19 juin, l�Alg�rie est un vaste �chiquier sur lequel sont positionn�es les figurines rescap�es des affrontements qui ont eu lieu au lendemain du cessez-le-feu du 19 mars 1962. Les chefs des anciennes Wilayas II, III et IV, d�chus de leur commandement et banalis�s par Ben Bella, sont pleins de rancune. Ces personnalit�s attendent beaucoup du nouveau r�gime. D�abord un congr�s du FLN seul � m�me de leur permettre de s�exprimer et peut-�tre de revenir. Le Conseil de la r�volution n�a ni vice-pr�sident, ni secr�tariat permanent, ni m�me de domicile fixe, peu importe, c�est une structure transitoire, se consolent-ils. Les d�buts sont prometteurs, puisque Boumedi�ne met en chantier la r�novation du FLN, laquelle doit aboutir � la tenue du congr�s tant attendu. Houari Boumedi�ne semble faire donc siennes les th�ories de Mohammed Khider et de Ferhat Abbas ? Le premier disait : �Le Front doit conserver un r�le de conception de la politique du pays et de contr�le absolu sur l�administration.� Le second, lui, �crivait dans sa lettre de d�mission envoy�e � la suite du coup de force op�r� contre l�Assembl�e (lorsque Ben Bella demanda � quelques cadres du parti de pr�parer un projet de Constitution) : �Le FLN ne doit pas �tre le parti d�une fraction, mais celui du peuple� Il n�est pas n�cessaire d�imposer au pays la dictature fractionnaire et sans contr�le.� Cependant, ceux qui connaissent bien Houari Boumedi�ne savent � quoi s�en tenir. Huit jours apr�s le 19 juin, n�a-t-il pas fait sa rentr�e politique par un discours devant un parterre de nouveaux gendarmes ? Bencherif et Draia, les gendarme et policier en chefs, ne sont-ils pas membres du Conseil de la r�volution alors que le ministre de la Justice ne l�est point ? O� est donc l�Etat de droit promis ? Le FLN alors ? Le FLN tel que le concevaient Mohammed Khider, Ferhat Abbas ou m�me Ben Bella est visc�ralement abhorr� par lui. Un FLN ovule vivant o� s��laborent les id�es et o� se forgent les d�cisions, cordon ombilical entre une direction coll�giale et la population ne fait pas son affaire. Un parti fond� sur des principes clairs ne peut que paralyser, par un verbiage inutile, l�action administrative directe qu�il entend mener pour mettre de l�ordre dans le pays et l�engager sur la voie du d�veloppement. Sans compter qu�un FLN pluriel et d�mocratique servirait n�cessairement de tremplin � toutes les personnalit�s qui br�lent du d�sir de revenir aux affaires. Sa vision du pouvoir, sa fa�on de travailler, son penchant maladif pour le secret, ne laissent aucune place � d�autres centres de d�cision que sa propre aire personnelle. M�me dans l�euphorie de sa victoire contre Ahmed Ben Bella, il n�a jamais eu de moments d�abandon ni l�illusion que le FLN pouvait redevenir le r�ceptacle des forces vives capables de porter l�ambition alg�rienne. Tout � son souci de liguer le plus de monde contre Ben Bella, il a brass� large. Vainqueur, il regarde les choses autrement. Beaucoup des alli�s d�hier ne lui conviennent plus, surtout les anciens chefs de Wilaya. Ils se sont ralli�s � lui et approuv� son coup d�Etat pour satisfaire des inimiti�s personnelles. Il se m�fie d�eux. Ils revendiquent des r�les politiques, veulent revenir aux commandes. Il a gard� de son exp�rience aux fronti�res et des �v�nements de 62 des souvenirs f�cheux. Il les a connus ambitieux �malgr� leur incomp�tence�, imbus de leurs �tats de service pass�s, �violents d�s lors qu�ils ont un levier en main�, mais certains ont un poids sp�cifique qui les rend r�tifs � ses �pass� outre�. Comment concilier leur pr�tention � �tre partie prenante du pouvoir avec sa vision � lui : aucun partage, aucune concession ! Il a en t�te un programme pour l�Alg�rie et il est convaincu que, soumis aux �palabres�, il serait tronqu�, amoindri, d�natur�. Tout serait discut� et contr�, surtout le choix des membres du gouvernement, surtout celui des titulaires des minist�res de souverainet�, ses proches, ceux qui ont accompagn� sa longue marche. C�est un homme de confiance, une sorte d�alter ego qu�il d�signe � la t�te du secr�tariat ex�cutif du parti. Ch�rif Belkacem est la devanture souriante des anciens bivouacs de la fronti�re ouest. Affable et disert, il a encore un avantage : il ne c�de jamais � la col�re, sait rompre le pas et encaisser, afin de revenir, le moment opportun, ferme et souriant, avec un argument plus fort. Il saura �tre l�artisan efficace de la premi�re op�ration d�asepsie au sein du Conseil de la r�volution : l��limination programm�e de la sc�ne politique de Mohand Oulhadj, Hassen Khatib, Salah Boubnider charg�s, sous sa f�rule, de r�nover et de r�habiliter le FLN !... Les critiques fusent de toutes parts, Boumedi�ne fait la sourde oreille. Il observe. Il sait que l�accalmie qu�il impose, le gel de la dynamique promise, vont pr�cipiter les d�cantations ! Il est convaincu que le heurt des caract�res et l�accordement de leur chorus vont provoquer des turbulences dont il se fait fort d�attiser ou d�att�nuer les intensit�s, selon son int�r�t. Le consensus autour de sa personne est toujours affich� par les conjur�s de Juin qui comptent : les chefs militaires. Pour lui, c�est l�essentiel. Il ne craint rien, la s�curit� militaire veille sur la tranquillit� du r�gime. Son budget augmente sans cesse. Ses locaux s�implantent partout discrets, anonymes, banalis�s. Ses membres sont choisis selon des crit�res techniques sp�cifiques. Elle devient omnipr�sente, omnisciente. Elle a le don d�ubiquit� et celui de double vue. Rien n��chappe � la vigilance des hommes de Kasdi Merbah. La r�ussite en politique, sous certaine latitude, est directement proportionnelle � la terreur qu�on inspire. Le peuple a peur, Boumedi�ne est tranquille. L�aura de la R�volution, les calculs de l�URSS, le pr�jug� favorable de l�Am�rique, la prudence des Fran�ais � en un mot, les puissances qui comptent � rendent sans effet les rares censures ext�rieures. Ben Bella est au fond d�une oubliette. Khider a pay� de sa vie son refus de rendre le tr�sor de guerre du parti qu�il a d�tourn� (lorsque Ch�rif Belkacem est all� le trouver apr�s le 19 juin 1965 pour le sommer de rendre � l�Alg�rie l�argent dont il �tait seulement d�positaire, il n�a pas compris que la pr�sence de Slimane Hoffman � c�t� du tout nouveau responsable du secr�tariat ex�cutif �tait plus qu�un avertissement�). Une ombre au tableau cependant : son impopularit�. Les sondages quotidiens, faits au �Tantonville� par les grandes oreilles de sa police politique, lui r�v�lent en quelle pi�tre estime le tient �la populace�. Il exprime d�une sentence sans appel, soulign�e d�une moue expressive, ce qu�il pense du �peuple�. Le peuple ? Un archipel d�individus fa�onn�s � la r�signation par l�histoire et qui d�teste instinctivement �el-beylik�, les pouvoirs publics. Des individus r�pugnant � l�effort, indisciplin�s, qu�il faut mater par le b�ton pour leur propre bonheur. Toute la hargne des Maltais de Guelma, qui assassin�rent la fine fleur de sa ville natale, est dans son postulat. �Je ne suis pas celui que les femmes adorent !� un geste esquiss�, indique au-del� des murs, au-del� des toits, la direction de la villa Joly� Mais les choses ne sont plus les m�mes apr�s son discours du Forum, au lendemain de la d�faite du 5 juin 1967. La rue commence � le regarder autrement. Elle sent instinctivement qu�il n�y a rien d�affect�, de superficiel chez cet homme sans charisme. Il lui semble qu�il incarne r�ellement cette �norme� de caract�re commune � la majorit� des Alg�riens �la rejla�, m�lange complexe de machisme, de fiert� et de d�fi. Sauf que lui n�a pas (parce que c�est un tacticien hors pair) de propension � relever, sur le champ, l�insolence d�un regard ou la r�pe d�un mot rugueux. Il sait laisser le temps au temps. Zbiri est encore b�at, n�a-t-il pas refus� le minist�re de la D�fense nationale quand, juste apr�s le 19 juin, Boumedi�ne le lui a propos� ? Il n�a pas encore l�ombre d�une inqui�tude de son c�t�. La convergence de leurs int�r�ts lui semble couler de source. Djelloul Khatib, le tr�s efficace secr�taire g�n�ral de la pr�sidence de la R�publique, d�ment instruit, �quipe somptueusement, entre autres, la villa de Poirson. C�est apr�s le voyage � Brioni que les grands dignitaires de l�ANP d�couvrent l��crin, fait de luxe et de raffinement, que Broz a r�alis� pour le confort d�Ivonka. Ils se laissent faire. Les meubles des designers italiens transforment les lugubres villas coloniales en maisons dor�es. Le mim�tisme �r�volutionnaire� sans aucun doute. Boumedi�ne pense que son commensal, gav� � la table commune, combl� d�honneurs, caress� par le doux �ventail des mots soyeux, ne saurait �tre autre chose que le janissaire en chef veillant sur son chemin de ronde, une sorte de grand du s�rail charg� de la castration des anciens. Il lui confie, en gage de sa confiance et de son amiti�, la clef d�Alger, de l�Alg�rois et surtout celle de la forteresse o� croupit son pire ennemi. Le premier bataillon de chars, install� au Lido, � la p�riph�rie imm�diate d�Alger, est command� par un soldat d��lite qui ne jure que par le chef d��tat-major. Ben Bella est gard� par le bataillon aux mains de Ch�rif Braktia, fid�le entre les fid�les de Tahar Zbiri. Braktia voue une admiration sans borne � Zbiri depuis que le 12 f�vrier 1958, � Hammam-Nbeil, au sud de Guelma, il a vu comment Zbiri s�est fray� un chemin � travers les lignes des parachutistes du colonel Jeanpierre qui les encerclaient, de quelle fa�on il a veng� sa 8e compagnie d�cim�e par les hommes du m�me Jeanpierre. Zbiri a donc entre les mains deux atouts ma�tres. Le troisi�me, le plus important sur le plan des moyens, est la premi�re r�gion militaire du commandant Sa�d Abid, officier sorti du rang, ami de Zbiri, natif comme lui de Sedrata. Les yeux de Tahar Zbiri commencent � se dessiller au fur � mesure que le temps passe, au fur et � mesure que l�humilit� du propos, la simplicit� du maintien de Boumedi�ne se transforment en arrogance. Il
comprend trop tard que les mots soyeux de l�amiti� n��taient qu�artifices, un simple fardage, destin�s � donner le change le temps de mettre en place les engrenages huil�s d�un syst�me plus herm�tique que celui de l�homme qu�il a lui-m�me renvers�. Il d�couvre, de plus en plus, qu�il a particip� � un putsch et non � �un redressement, r�volutionnaire�, qu�il n�a �t� qu�un simple suppl�tif. Alors lui, l�homme tant courtis� en 62, lui qui a rendu possible le coup de force contre le GPRA, en donnant � l�EMG la caution de l�Aur�s, lui qui a arr�t� Ben Bella, il rumine sa d�ception. Une d�ception � la mesure de l�espoir entrevu de voir enfin bannie la dictature et se concr�tiser les grands id�aux r�sum�s dans la d�claration du 19 Juin, lesquels �taient, en substance : le bannissement du pouvoir personnel et la construction d�un �difice institutionnel l�gitim� par le vote libre des citoyens. La crise vient au grand jour avec l�esclandre d�clench� par A. Mendjeli, membre du Conseil de la r�volution. L�ancien commandant en a �gros sur le c�ur�, comme on dit. Les jeunes gens qu�il menait �� la trique�, lorsqu�il �tait � Ghardimaou, ont pris de l�assurance. Ils sont membres du directoire supr�me issu du 19 Juin et ministres ! Leur faconde, leur suffisance, exc�dent plus d�un. Ils finissent par faire exploser l�irascible ancien pr�sident de l�Assembl�e nationale. Il �clate en pleine s�ance du Conseil de la r�volution. Il use de mots grossiers qui ciblent Cherif Belkacem ; c�est l�esclandre ! Le clan pr�sidentiel d�cide de s�vir. Le conseil de s�curit� se r�unit. Medeghri exige l�arrestation de Mendjeli. Les autres abondent dans son sens. La majorit�, moins une voix. Cette voix est celle de Zbiri. Il s�exclame : �J�ai sous les yeux le spectacle scandaleux de la politique du fait accompli et je refuse, quoi qu�il m�en co�te, de l�admettre.� Il jette dans la balance sa d�mission. Face � la crise annonc�e, on classe l�affaire. Il veut aller plus loin dans une tentative d�infl�chir de l�int�rieur le cours des �v�nements. Il exige une r�union pl�ni�re du Conseil pour d�battre de tous les points qui lui tiennent � c�ur, les m�mes points qui ont amen� Mendjeli � l�outrance : les d�cisions politiques prises dans le cercle �troit qui d�tient le vrai pouvoir, l�absence de contr�le de la gestion des deniers de l�Etat, les arrestations arbitraires par des polices disposant du droit de vie ou de mort sur les citoyens, la torture, les frasques et les scandales dont se rendent coupables les proches du Pr�sident. Boumedi�ne surpris par le radicalisme de Zbiri promet tout ce qu�on veut. La providence vient au secours de Boumedi�ne. La crise au Moyen-Orient atteint son paroxysme. Elle lui donne un r�pit. Zbiri, sur ordre, fait une tourn�e en Egypte, en Syrie et en Jordanie. La d�faite des arm�es arabes, le 5 juin 1967, et l�action diplomatique qui occupe le sommet du pouvoir alg�rien viennent repousser � plus tard la discussion sur les probl�mes int�rieurs. Les choses trainent en longueur. Devant les tergiversations, Mendjeli contre-attaque d�une fa�on originale : il re�oit � Alger le pr�sident de l�Assembl�e f�d�rative yougoslave, Edward Kardedj. H�r�sie ! En qualit� de quoi re�oit-il le parlementaire yougoslave ? Le 19 Juin n�a-t-il pas rendu caduques les institutions alg�riennes ? N�est-il pas lui-m�me membre du Conseil de la r�volution ? Il passe outre aux objurgations, re�oit officiellement Kardedj, lui fait faire un tour de la capitale, exige du protocole une pr�sence officielle. L�obtient. Abdelkader Bousselham, chef du protocole au MAE, s�arrache les cheveux. Zbiri, se heurtant aux faux-fuyants, renseign� sur les contre-feux que pr�pare Chabou, transforme les r�unions du Conseil, d�sormais d�lest� des anciens chefs de wilaya, en tribune. Il demande, il exige une r�union pl�ni�re du directoire auquel il appartient �pour mettre les choses � plat�. Les t�tes de chapitre de ses plaidoyers sont : �Le retour � la d�claration du 19 Juin, l�arr�t de l�arbitraire, le contr�le de la police politique, la d�mocratisation de la d�cision politique et enfin l�engagement irr�vocable de Houari Boumedi�ne pour un calendrier fixant une date pour la tenue du congr�s et pour le retour � des institutions �lues.� Il dit � haute et distincte voix, pour l��dification de son vis-�-vis (certains membres du Conseil refr�nent l�envie de l�applaudir), �nous avons pris ensemble un engagement moral, nous ne sommes pas li�s avec toi par des liens d�all�geance !� Tout est dit. Pour Boumedi�ne, Zbiri l�inconditionnel, a v�cu. Alors commence le jeu o� Boumedi�ne excelle, la partie d��checs o� les qualit�s qui lui ont permis de surmonter tous les obstacles donnent leur pleine mesure. Homme de r�flexion et de m�thode, il abhorre l�improvisation. Le sang-froid, l�impassibilit� des traits de visage, le faux semblant, l�observation patiente, l��coute de l�opinion des proches pour �clairer tous les recoins du tableau afin de transformer sa vue cavali�re en vue z�nithale, et enfin le rideau de fum�e des reculs tactiques et des hypocrites protestations d�amiti�s� sont des armes qu�il manie � la perfection. Une chose le trahit pourtant, et c�est plus fort que le th��tre qu�il s�impose, son regard ! Jamais prunelles n�ont autant condens� d�hostilit� ! Un regard inqui�tant par sa fixit�, l�g�rement d�cal�e sur un axe m�dian. Le regard qui a fait passer � la trappe les 3 �B�, le regard qui a donn� le coup de gr�ce � Mohamed Chabani, le regard qui a balay� Ben Bella, est d�sormais focalis� sur Zbiri ! Il n�est pas encore pr�t techniquement pour l�in�luctable �preuve de force. Il est urgent pour lui de gagner du temps. D�abord s�assurer que son censeur intransigeant n�a pas �min� l�arm�e. Les affrontements de 1962, les troubles et les s�ditions du d�but des ann�es 1960 qui ont facilit� le d�lestage pour l�homog�n�it� des rangs n�ont pas totalement nivel� le �chaos�. Il constate, avec les �clats de Zbiri, qu�il subsiste encore une protub�rance qui risque de le faire tr�bucher, un h�matome douloureux qu�il compte bien r�sorber : cet �tat-major croupion qui lui donne la migraine.
M. M.


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