L�Alg�rie marquera sans doute le cinquanti�me anniversaire des massacres du 17 Octobre 1961 � Paris consacr� depuis 1968, comme on le sait, �Journ�e nationale de l��migration� par le calendrier officiel et l�occasion sera, de nouveau, saisie pour une passe d�armes symbolique de plus contre la colonisation fran�aise et ses m�faits et les observateurs � comme les chancelleries � s�attacheront � d�crypter l�intensit� relative de l�exigence r�currente de repentance � l�aune des cris et des chuchotements des palais et de salons d�Alger. Il est vrai que le pass� rattrape un pr�sent lourd d�incertitudes et la question des cl�s de l�avenir peut formellement appara�tre plus urgente que celle des arcanes d�une histoire dont, � l�examen, institutions et acteurs sociaux ont pu, des d�cennies durant, faire l��conomie sinon un usage abusif sans que cela pos�t probl�me outre mesure. 1- Une cr�ativit� fran�aise, un silence alg�rien La presse nationale qui rapporte la diversit� des manifestations consacr�es en France � ce cinquantenaire � en particulier l�appel sign� par des personnalit�s fran�aises � reconna�tre officiellement �une trag�die� qui est �l�une des pages les plus sombres de notre histoire� � est bien en peine de signaler la mani�re dont l��v�nement sera comm�mor� dans le pays et cela, en soi, est d�j� un indicateur suffisant de la pr�gnance de l�opacit� qui entoure les arbitrages dans la gestion des enjeux de m�moire forc�ment politiques. Il ne fait pas de doute qu�audel� des circonlocutions patriotiques de conjoncture � du registre de la pseudo loi de criminalisation de la colonisation �, la ligne constante du r�gime alg�rien aura �t� de savoir jusqu�o� ne jamais aller trop loin dans la mise en cause de l�ancienne puissance coloniale et ce sont les tenants de l�impr�visible �du pass� faisons table rase� qui avaient pu imaginer et m�me commenc� � mettre en sc�ne un improbable �trait� de l�amiti� entre l�Alg�rie et la France vite rattrap�, en France m�me, par les tenants de la l�gitimit� et la grandeur de l��uvre coloniale. Pour ne rester que sur le seul �v�nement du cinquantenaire des massacres d�Octobre 1961, il est d�autant moins na�f de poser la question de savoir par quelles �uvres, cr�ations, t�moignages l�Alg�rie en a consign� la m�moire que la r�ponse � sous r�serve d�inventaire � frappe par son caract�re tranch� : rien. Celui qui veut savoir/voir � n�en d�plaise aux censeurs pseudo- patriotes de l��criture de l�histoire du nationalisme et de la guerre d�Ind�pendance � est dans l�obligation de recourir � des sources essentiellement fran�aises. C�est Jacques Panigel qui le premier � au prix insens� d�une durable censure fran�aise � a fix� les images d� Octobre � Paris qui sera relay�, des ann�es plus tard, par le Franco-Alg�rien Mehdi Lalaoui signataire du Silence du fleuve. On comptabilise pas moins de dix documentaires � dont le prochain Ici on noie les Alg�riens de Yasmina Adi sortira ce 19 octobre � et quelques films de fiction dont Nuit Noire et le remarquable Les sacrifi�sde Okacha Touita. Jean-Luc Einaudi aura aussi livr� la premi�re enqu�te journalistique document�e sur les massacres d�Octobre 1961 et sur les responsabilit�s directes du pr�fet de police Papon qui donnera lieu � la fois � des proc�dures judiciaires et aux premi�res manifestations d�un courant r�visionniste dans la recherche historique fran�aise minorant le nombre des victimes alg�riennes. Port� aussi au cin�ma, le roman noir de Didier Daeninckx Meurtres pour m�moire mesure, sur le registre fictionnel, l�impact des massacres d�Octobre sur les imaginaires fran�ais, impact que l��uvre magistrale des chercheurs anglo-saxons James House et Neil Mac Master sur les filiations id�ologiques de long cours des massacres � celle notamment de Maurice Papon � rend plus intelligible. C�est parce qu�il est l�gitimement insupportable d�opposer � cette cr�ativit� fran�aise sur une s�quence qui proc�de aussi et tragiquement de notre m�moire collective les discours st�r�otyp�s et oubli�s de ministres des Anciens moudjahidine dont plus personne ne conserve le souvenir, qu�il y a urgence � rappeler qu�il ne peut y avoir de r�ponse � la lancinante question �de quoi sera fait demain� tant que ne sera pas abord�e de front celle de savoir et de savoir de mani�re �thique, document�e �de quoi �tait fait hier�. Les signes ne manquent pas qui indiquent d�j� que le n�cessaire retour critique sur le pass� encourt les risques de nouvelles modalit�s de d�voiement. 2- De la question de la l�gitimit� Le maintien � d�lib�r� ? � de la confusion sur les �nonc�s portant sur les sources de l�gitimation du r�gime alg�rien peut en �tre exemplaire. Dans le discours prononc� � l�occasion de la comm�moration du cinquanti�me anniversaire de l�insurrection de Novembre 1954, l�actuel chef de l�Etat avait pu surprendre � et ostensiblement irrit� les rentiers de la m�moire de la guerre d�Ind�pendance� � en proclamant �la fin de la l�gitimit� r�volutionnaire �. Le fait est que si celle-ci se rapporte aux acteurs ayant initi� l�insurrection, conduit politiquement et militairement la guerre, elle n�aura influ� que de mani�re marginale sur le cours des �v�nements au lendemain de l�ind�pendance. Au-del� de tout d�bat formaliste sur les questions de l�galit� et de l�gitimit� au sein du FLN/ALN, celles-ci �taient clairement du c�t� du GPRA et ce sont elles qui avaient �t� mises au ban de la soci�t� et de la m�moire collective par le recours � la violence de l�alliance Etat-major g�n�ral (EMG) � Ben Bella/Khider. �Nous prendrons le pouvoir quel qu�en soit le prix�, avaient r�pondu ces deux dirigeants aux exhortations du Colonel Hassen venu � Rabat les pr�venir des risques d�une guerre civile. Autrement dit, le r�gime alg�rien, depuis l�ind�pendance, quand bien m�me s��tait-il revendiqu� de la guerre d�Ind�pendance, proc�de d�abord et avant tout de l�usage de la violence politique et il faudra bien, un jour, revenir aux combats d�ao�t 1962, � leurs nombreuses victimes et � leurs cons�quences durables sur les fondements de l�Etat de l�ind�pendance. Ainsi donc, est-ce bien plus cette violence politique qu�il s�agit de r�cuser � aujourd�hui encore plus qu�hier � qu�une l�gitimit� historique qui n�en peut. Mais... 3- Une normalisation populiste Le populisme aura �t� le vecteur porteur de la normalisation de la soci�t� alg�rienne par la violence politique qui repose sur deux �nonc�s � l�efficacit� longtemps redoutable : d�une part l�imaginaire guerrier qui, occultant la dimension fondamentalement politique du recours aux armes � explicitement port� par la proclamation du 1er Novembre �, fait de la violence le principe d�cisif de la victoire sur l�Etat colonial fran�ais, d�autre part l��rection d�un �peuple h�ro�que�, et rassembl� autour et � l�int�rieur d�un FLN/ALN homog�ne, aseptis�, sans contradictions ni vie politique active. A l�enseigne gratifiante pour ceux qui s��taient accapar�s des r�nes du pouvoir mais aussi et surtout pour de larges secteurs de la soci�t� symboliquement absous de leurs h�sitations � sinon plus encore � d��un seul h�ros, le peuple� s��tablissait ainsi un r�cit historique institutionnel relay� par les instances du pouvoir, les m�dias et notamment par l�histoire scolaire qui outre la censure outranci�re � celle des figures du mouvement national comme Messali, Abbas, Bendjelloul ou des dirigeants de l�insurrection comme Boudiaf ou A�t Ahmed �, met en place les instruments d�une rente m�morielle encore d�actualit�. Les r�surgences m�morielles enregistr�es sous l��re du pr�sident Chadli Bendjedid, de l�inscription de la journ�e du 19 mars 1962 dans le calendrier des f�tes l�gales au retour dans l�espace public d�acteurs longtemps occult�s et stigmatis�s � Krim Belkacem, Ferhat Abbas, Abane Ramdane � relativiseront progressivement le mythe du peuple acteur collectif de la lib�ration nationale et ouvriront peu � peu droit � des r�cits de vie, biographies et t�moignages qui remettront en jeu la part des engagements personnels dans les processus politico-militaires du nationalisme. 4- Une patrimonialisation du pass� Au plan �ditorial, il est loisible de constater que la recension op�r�e, il y a de cela quelques ann�es, � ce sujet par les historiens Ouarda Siari-Tengour et Fouad Soufi portant sur plus de deux cents titres, devra �tre revue � la hausse et il est notable que le cours (auto) biographique supporte d�j� les d�rives d�une forme de patrimonialisation du pass� et nourrit les tentations de r��crire l�Histoire. Le lecteur ou l�observateur attentifs n�auront pas manqu� de relever ici une agressive strat�gie commerciale et de communication autour de tel homme politique ou la proximit� familiale et territoriale dans le retour en gr�ce relatif de telle autre figure historique mise au ban de la soci�t�. Ces �volutions marquent, quant au fond, les difficult�s qui continuent de contraindre la fabrication d�un r�cit historique national sans lequel la question vitale du vivre-ensemble ne peut avoir de support l�gitime. Cette question est, � tous �gards, bien plus d�cisive que l�appel r�current � �mettre le FLN au mus�e� alors m�me que l�Alg�rie ind�pendante, ses institutions, ses intellectuels et ses chercheurs ont, toutes raisons �gales par ailleurs, dans l�ensemble �chou� � placer dans l�espace public national les donn�es documentant ce qu�a �t� le Front de libration nationale. L�accueil r�serv� en son temps aux ouvrages de r�f�rence � Aux origines du FLN, Le FLN, mythes et r�alit�s, longtemps censur�s en Alg�rie, les pol�miques ayant entour� le plus r�cent texte portant Documents sur L�histoire int�rieure du FLN sign� par Gilbert Meynier, indiquent qu�il y a des marges d�int�r�t pour le FLN et sa place singuli�re dans l�histoire moderne de l�Alg�rie. Pour le reste, la filiation entre le FLN des fondateurs, celui de Boudiaf et des compagnons, et l�appendice d�aujourd�hui de Belkhadem est suffisamment improbable pour requ�rir plus d�attention que cela. 5- Les enjeux d�Octobre 1961 En tout cas, moins d�attention que ce qu�appelle cette F�d�ration de France du FLN initiatrice des manifestations pacifiques du 17 Octobre 1961 � Paris et dont l�importance politique fut t�t pressentie pour faire l�objet d�une querelle de parrainage entre Boudiaf et Abane. Ali Haroun, Omar Boudaoud � membres de la derni�re direction de la F�d�ration �, �Daniel� Benyoun�s ont consign� des t�moignages utiles pour la connaissance de la �septi�me wilaya� � pour reprendre Ali Haroun � et les sp�cialistes de l�histoire de l�Alg�rie attendent avec grand int�r�t la th�se de Linda Amiri sur le sujet. Il faudra sans doute revenir un jour sur la place tout � fait singuli�re de cette instance du Front qui portait la guerre sur le territoire m�me de l�ennemi, sur les violents d�chirements d�une �migration alg�rienne de longue date acquise � l�id�e nationale qui ne peuvent supporter ind�finiment � quoi que puisse en penser et dire le secr�taire g�n�ral de l�Organisation des anciens moudjahidine � une stigmatisation de courte vue. �Journ�e de l��migration� �tait dans le registre des reconnaissances et des gratifications tout ce que le r�gime pouvait conc�der � une F�d�ration de France du FLN ostracis�e en raison de ses choix l�galistes lors de la crise de l��t� 1962. L�appel qu�elle lance � � partir de Cologne, si�ge officiel de l�organisation � � la manifestation pacifique le 17 octobre 1961 en r�ponse � une demande lancinante des responsables � notamment parisiens � soumis � une r�pression de plus en pus dure et massive des services de police de Papon et des groupes de harkis requis par des officines de l�arm�e, s�inscrit-il encore dans les choix strat�giques d�un GPRA largement requis par l��volution des n�gociations avec le gouvernement fran�ais ou proc�de-t-il � pr�cis�ment en raison de ces m�mes n�gociations � des rapports internes au Front ? Officiellement en tout cas, l�objectif est moins d�infl�chir les choix de la direction du FLN que de r�pondre � la d�cision du 6 octobre du pr�fet de police Maurice Papon instituant un couvre-feu pour les travailleurs alg�riens. Ils furent plus de trente mille, hommes, femmes, enfants � donner des capacit�s de mobilisation du FLN une image d�cisive et � s��tre expos�s au pire d�cha�nement de violence en plein c�ur de la capitale fran�aise et du fait des services de police et de s�curit� de l�Etat fran�ais Depuis des ann�es, militants politiques, historiens, acteurs de la soci�t� civile fran�aise ont engag� un combat m�ritoire pour la reconnaissance des massacres d�Octobre 1961 par l�Etat fran�ais et la multiplication des manifestations � l�occasion de ce cinquantenaire � notamment avec l�alignement officiel du parti socialiste sur cette demande � sanctionnent d�j� la qualit� de leur d�termination. Le quasi-silence officiel alg�rien est aussi vieux d�un demi-si�cle. Faudra-t-il alors des manifestations publiques pour que l�Etat alg�rien inscrive clairement ces massacres dans un contentieux historique encore in�puisable ? A. M. *Professeur � l�Universit� Mentouri, Constantine. Mail : [email protected]