Des h�licopt�res militaires tournoient, les caf�s sont vides, les commerces ont baiss� le rideau : Kasserine, ville martyre du centre-ouest de la Tunisie, votait hier dans la fiert� et la douleur, en souvenir de ses enfants tomb�s pour la r�volution. �En ce jour, je vote en pensant � mon mari qui a donn� sa vie � notre ch�re patrie, � notre libert�, d�clare en pleurs Rbiaa Dalhoumi, veuve du �doyen des martyrs� Ahmed Jebbari, 63 ans. Elle a vot� dans le tristement c�l�bre quartier de Hay Ezzouhour, o� 25 manifestants avaient �t� tu�s durant le soul�vement qui a embras� cette ville de 100 000 habitants s�v�rement frapp�e par le ch�mage. Les 8, 9 et 10 janvier derniers avaient �t� particuli�rement meurtriers : des �snipers� pro- Ben Ali post�s sur les toits et des policiers avaient m�me tir� sur des cort�ges fun�bres. La voix nou�e, une �charpe noire sur la t�te, Yamina Guermazi, 45 ans, a l'impression que son vote a ressuscit� sa fille Yaquine, morte asphyxi�e par des gaz lacrymog�nes lanc�s � l'int�rieur d'un hammam pour femmes. �Je la pleure encore ce matin, mais je suis heureuse de vivre cet instant historique. C'est quand m�me un jour de f�te apr�s un demi-si�cle d'esclavage�, ajoute la m�re de Yaquine, qui est morte alors qu'elle n'avait que 18 mois. Les op�rations de vote sous haute s�curit� se d�roulaient dans le calme, � l'ombre du mont Echaambi (1 554 m�tres) le point culminant du pays et dont la r�serve naturelle fait la fiert� des habitants. En ville et dans les bureaux, la douleur du pass� se m�lange � la joie. �Les gens sont souriants et confiants. C'est quand m�me un jour de f�te, la peur a d�gag�, nous n'attendons plus que des emplois pour �tre au paradis�, t�moigne Rachid, un instituteur. La r�gion de Kasserine, qui a enterr� le plus grand nombre de morts � 46 dont 22 dans le seul chef-lieu � est voisine de Sidi Bouzid, la ville o� Mohamed Bouazizi, un vendeur ambulant s'�tait immol� le 17 d�cembre 2010, d�clenchant un soul�vement populaire qui a abouti � la fuite de Ben Ali le 14 janvier. Une cinquantaine de listes se disputent l'�lectorat du gouvernorat pauvre et enclav� de Kasserine, � 300 km au sud de Tunis et passage oblig� des candidats pendant la campagne. En particulier ceux du parti islamiste Ennahda, donn� favori � l'�lection des 217 membres de l'Assembl�e constituante qui r�digera une nouvelle Constitution et d�signera un ex�cutif provisoire. �Ils profitent de la mis�re des gens ici, et distribuent � tour de bras entre 30 � 40 dinars (15 � 20 euros) aux pauvres, mais notre peuple est intelligent�, affirme Rachid Jebbari, qui a vot� Congr�s pour la r�publique (CPR, de Moncef Marzouki), un parti qui s'est pourtant rapproch� des islamistes. �Les gens d'Ennahda nous prennent pour des imb�ciles, moi je ne peux pas les encadrer, Marzouki est un vrai militant, le plus honn�te de tous�, affirme l'instituteur Rachid, approuv� par toute sa famille. �Les gens sont pauvres mais fiers. On pr�f�re la libert� avec un demi-pain plut�t qu'un pain entier sans libert�, lance-t-il. Selon lui, le silence �lectoral n'a pas �t� respect� samedi. Hier Ennahda distribuait du th� aux votants. �Comme le RCD�, parti autrefois omnipotent du pr�sident d�chu Ben Ali, toujours vainqueur avec plus de 90%. Selon d'autres t�moins, du mat�riel �lectoral et des cadeaux ont �t� distribu�s, essentiellement par les partisans d'Ennahda. �Que voulez-vous, un jeune sans emploi et fauch� vendrait la chemise de son p�re pour cinq dinars� (2,5 euros), sans parler du mouton (pour la f�te musulmane) de l'A�d en cadeau�, commente Rachid. Le pr�sident de la commission �lectorale (Isie), Kamel Jendoubi, a confirm� hier que �le silence �lectoral n'a malheureusement pas �t� respect� par tous�, et d�nonc� des �pratiques malsaines� alors que le peuple est �en train de r�aliser quelque chose de grandiose : ses premi�res �lections d�mocratiques, transparentes et pluralistes sous le regard du monde�.