De Hydra à Bachjarrah et d'El-Mouradia à Djenane-Mabrouk, le vote algérois aura été plutôt timide, plus proche de l'isolement que de l'isoloir, n'en déplaise aux 70% folkloriques du JT. Les partisans du “non” se sont retrouvés symboliquement autour de Belkaïd comme on se recueille sur la tombe de la démocratie… Sept heures quarante. El-Biar. Chemin Poirson. Quartier tchtchi. Attroupement matinal de reporters devant l'école Bachir-Ibrahimi, là où doit voter le président Bouteflika. Il faut pointer tôt pour “louer” une bonne place et pouvoir shooter allègrement le Raïs en train de glisser son Oui dans l'urne. Les agents de la DSPP quadrillent méthodiquement le secteur. Les journalistes trépignent d'impatience. Même s'ils sont une bonne meute, ce n'est pas le rush de la presse internationale. Les médias étrangers préfèrent sillonner le pays profond, à l'instar de Florence Beaugé du Monde partie sonder la Mitidja. 9h46. Emboîtant le pas à ses frères Mustapha et Abderrahim venus voter peu avant, le boss arrive enfin. Sourire béat. Bouteflika pose en toute aise devant les caméras et les photographes, un exercice qu'il connaît bien. Il temporise avant de glisser son bulletin dans la fente. 9h49. Fin de la cérémonie de vote présidentielle. Pas de déclaration à la presse si ce n'est un laconique “sawattou bi naâma”. 10h25. Cimetière d'El-Alia où se tient une cérémonie de recueillement à la mémoire de Aboubakr Belkaïd. Ici, on retrouve toute la “diaspora” du Non. Plusieurs personnalités ont fait le déplacement pour témoigner leur sympathie à Mme Belkaïd et ses enfants : Ali Haroun, Ali Hocine, secrétaire général du MDS, le général à la retraite Mohamed Touati, l'ancien DG de l'Anep, Abdelkader Khomri, Mme Flici, présidente de l'ANFVT, Djamil Benrabah, président de l'ONVTAD, Abrous Outoudert, ancien directeur de Liberté, Mohamed-Ali Allalou, de passage à Alger, et plusieurs autres figures médiatiques. “J'ai accompli mon vote réel. Je vais de ce pas accomplir le vote fictif”, lance, caustique, un visiteur. “Les peoples se retrouvent toujours dans les cimetières”, lâche Allalou. Les “démocrates résiduels” ont ainsi choisi la paix des cimetières. Le carré des “irréductibles” se retrouve au Carré des Martyrs. Tout une symbolique. Un peu comme si les partisans du “non” venaient se recueillir sur la tombe de la démocratie. 13h. école Maâmmar-Kherrour. Bachdjarrah. Faible affluence sur le centre de vote. Même ceux qui y travaillent n'y croient pas comme cet assesseur qui s'enflamme : “Moi, voter ? Jamais de la vie ! C'est du khorti tout ça ! Il faut qu'ils disent d'abord la vérité au peuple. Lazem iqarrou wech sar !” Un homme vient voter avec sa petite fille. Il ne sait pas trop quoi mettre dans l'enveloppe. De fait, certains votants analphabètes distinguent mal le non du oui. Le blanc du bleu. Le gris est leur couleur habituelle. “J'ai 51 ans, j'ai deux enfants. Je n'ai pas de travail. Qu'on nous donne du travail !” réclame-t-il. Un sapeur-pompier mobilisé dans le même centre a le cœur gros. Lui non plus n'a pas voté: “Rana karhine ! Rani âyech bel cachiate, je tiens debout en me droguant. Je suis sous traitement. Je suis dépressif”, confie ce jeune de 33 ans. “Je suis à l'unité d'El-Harrach. Rien que cette semaine, nous avons eu trois tentatives de suicide. Il y a trois jours, un jeune s'est jeté à oued El-Harrach. Il faut voir ce qu'endurent les jeunes. Les agressions sont légion. Dernièrement, un type encagoulé a accosté un pauvre bougre du côté de La Glacière et lui a pris 400 DA. Pris de remords, il lui en a rendu 200 en lui disant : “Je ne suis pas un voleur. Je fais ça pour nourrir mes enfants.” Echaâb krah. Le peuple en a marre. Bezzef hogra ! Comment voulez-vous que les gens votent au milieu de toute cette misère?” Les bureaux de vote sont clairsemés. Peu de mobilisation. Pas d'enthousiasme. Les marchés populaires sont de loin plus animés comme ce souk de Bachdjarrah. Visite d'un centre de vote à La Glacière. L'établissement Mohamed-Saoudi, un centre réservé aux hommes, était quasiment fantomatique à notre passage vers 13h30. “Les gens d'ici, c'est des Mexicains. Ils aiment faire la sieste. Mais en fin de journée, ça va être la bousculade”, déclare le chef de centre. à l'école Chérif-Zouabi, un établissement mitoyen, réservé aux femmes, il y a plus d'ambiance. Procession de femmes en foulard. Pour elles, c'est presque un jour de fête. Une mère de famille nous exhibe la photo de son fils assassiné ; photographie qui ne la quitte jamais. Il a été tué le 16 novembre 1994 à Bachdjarrah. “Il passait son service militaire. Il était venu en permission. Ils lui ont coupé la tête”, pleure la mère. Toutefois, il y a de la place pour le pardon dans son cœur. Elle réclame juste un logement décent. “Yak haq dem ouladi !” s'écrie-t-elle. Une autre femme, 61 ans, éclate en sanglots dès que nous l'approchons. “On demande errahma, el h'na, la paix. Ce sont tous nos enfants. Le policier est notre fils, le médecin est notre fils et le terroriste est notre fils”, proclame-t-elle. Son témoignage est poignant : “Chbaâna khlayaâ, nous avons eu notre dose de peur et de frayeur. Je suis hypertendue, j'ai le diabète, mes enfants n'ont pas de logement, pas d'avenir. Je suis mère d'anciens détenus (oum mouâtaqline). Mon fils a été interné à Reggane, à oued Namous. Il est traumatisé, mouessouess. Tu le touches, il explose. Il a passé quatre ans à Reggane. Il est choqué par ces années de détention. Nous avons souffert le martyre. Nous vivions sous une chape de peur permanente. Ni tu ne peux parler, ni tu ne peux respirer. On ne pouvait même pas traverser la cour de la maison pour aller aux toilettes la nuit. Nous voulons la paix. Nous voulons être libres !” Bachdjarrah. Bourouba. Cité de la Montagne. Leveilley. Oued-Ouchayeh. Aïn Naâdja. Semmar. Des quartiers réputés chauds, aujourd'hui livrés à une grande misère comme ces “favelas” qui encombrent le regard à hauteur du tunnel de oued Ouchayeh. Incursion au cœur de ces “favelas”. Un drapeau irakien barré de l'inscription Allah Akbar flotte dans l'air. Des tonnes de détritus en contrebas d'immeubles neufs, des bâtiments de façade disent les riverains, pour cacher la misère du lit de l'oued. Ici, pas d'affiche, pas de campagne, pas de référendum, rien. Un habitant du quartier, 49 ans, tôlier de son état, fulmine : “Moi, je n'ai pas voté. J'ai un frère qui a été tué en 1993. Il était policier. Si j'attrape celui qui lui a fait ça, je ne le lâcherai pas, vous pouvez compter sur moi ! Que nous a apporté le wiam ? Les votes se succèdent et notre état se détériore de jour en jour. Du temps du terrorisme, on était pris dans l'étau entre ceux-ci et ceux-là. Les impacts des rafales de balles brodent encore nos murs. Aujourd'hui encore, quand tu dis oued Ouchayeh, on te dit : ababababa !… Pourtant, ceux qui tuaient n'étaient pas du quartier. Nous n'avons jamais vu la gueule du maire. Nous sommes largués. Bouteflika taâhoum machi taâna !” 20h. La nuit tombe sur Alger. La bousculade annoncée n'a pas eu lieu. Fade mobilisation. Nous sommes cette fois à Bab El-Oued. Fermeture des bureaux de vote. C'est l'heure du dépouillement. Ça se passe à huis clos. Nous ne sommes pas autorisés à assister à l'opération à l'école Malek-Ben-Rabia. Un Oui géant en lumière se dessine sur un “climatiseur géant” : l'hôtel El-Aurassi. Déferlante de bulletins bleus sur Alger. Tsunami de Oui. 70% de taux de participation dans une Alger fictive que seul Zerhouni a vu. La fraude aidera-t-elle l'Algérie à raccorder ses violences ? “Mazal kayen l'espoir”, aurait chanté Hasni… Mustapha Benfodil