[email protected] Dans un r�cent sondage Ipsos*, r�alis� au printemps dernier dans quatre pays de l�UE (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie) sur ce qui est d�sormais admis comme une �tendance �mergente�, en l�occurrence �l�aspiration des Europ�ens � ralentir�, il a �t� �tabli que le besoin structurel de �prendre son temps, faire des pauses, ralentir�, �tait �largement partag�. Selon le sondage, cinq facteurs expliquent le d�veloppement de cette tendance �mergente dite �SLOW�. Le premier facteur est une perte de rep�res : l�acc�l�ration de la mondialisation approfondit le sentiment ou l�impression diffuse qu�une accentuation se produit de tous les c�t�s et que celle-ci ne poss�de pas de centre. Le second facteur tient � la connectivit� : le boom technologique assure une connexion continue et donne le sentiment de devoir aller toujours plus vite. Le troisi�me pourrait �tre nomm� �courtermisme� : outre la rentabilit� imm�diate impos�e par les march�s hors de toute planification ou r�gulation, le mod�le �conomique dominant valorise la vitesse. Quatri�me facteur : le consum�risme absolu ; il a �t� �tabli que l�hyper-sollicitation et le renouvellement incessant des produits donnent �le tournis � des consommateurs qui ne savent plus o� donner de la t�te�. Enfin, les soucis �cologiques, le renouvellement des ressources naturelles (�nergie, biodiversit�), etc. En Europe, les gens ont le sentiment de vivre dans l�urgence (� 52%), manquent de temps (� 52%), se d�clarent stress�s (57%) et rien ne semble pouvoir arr�ter cette acc�l�ration puisqu�ils sont 88% � penser que �dans les ann�es � venir, le monde ira toujours de plus en plus vite�. Le besoin de marquer une pause se fait grandement sentir : 78% des Europ�ens aimeraient prendre leur temps pour faire les choses et 83% d�entre eux expriment aussi un �besoin de moments de pause totale� (o� ils ne feraient rien). Ils sont 58% � ressentir le �besoin d�aller moins vite, de ralentir le rythme de vie�. En Italie, prochain pays �ligible � la faillite de ses finances publiques, ils sont m�me 64% � exprimer ce besoin ! Facteur aggravant, le sentiment d�aller � contre-courant engendre de la mauvaise conscience (ils sont 44% � la ressentir). Et pourtant, ralentir semble �tre une revendication vitale, au sens premier du mot : ralentir permet de profiter de la vie, pour ne pas dire de vivre tout court (66% des personnes interrog�es), d�am�liorer la qualit� de vie (55%), de se sentir mieux dans sa vie, d��tre moins stress� (54%) ou d�am�liorer sa sant� (49%). Cette derni�re pr�occupation est exprim�e par une majorit� de sond�s en Allemagne (56%). Les id�ologues de droit ont longtemps reproch� au mod�le adverse son travers fortement redistributif en insistant sur la supr�matie du march�. Ce dernier ne semble, � lui seul, apporter ni la d�mocratie, ni la prosp�rit�, ni la croissance souhait�es. Le bonheur n�est-il pas alors dans la �d�croissance� ? La question taraude nombre de penseurs critiques du lib�ralisme**. La �d�croissance� en question est associ�e � une contestation l�gitime de la croissance, un objet sulfureux, provocateur qui, � premi�re vue, semble antinomique avec l�id�e de progr�s. Les concepteurs de la d�croissance refusent l�id�e qu�elle constituerait un mod�le �conomique : elle n�est qu�un �questionnement adress� � toute recherche d�alternative � la d�liquescence contemporaine �, se d�fendent-ils. De m�me qu�ils ne voient nullement en elle une �alternative concr�te� : elle est juste une matrice. L�objectif vis� est d�alerter, quitte � provoquer le scandale, pour sortir de l��chec de l��conomisme envahissant et de la logique g�n�rale de pr�dation excessive de la croissance. De plus, il a l�avantage de f�d�rer, de mobiliser, de participer au �d�cloisonnement conceptuel� n�cessaire qui cimente les nouvelles forces du changement. C�est pourquoi il devient l�gitime de contester la croissance. On est autoris� � le faire pour une premi�re raison : il ne peut y avoir de croissance ind�finie dans un monde fini. Aux rythmes de consommation et de production actuels, les hommes auront �puis� en trois si�cles des ressources qui ont mis cinq cents millions d�ann�es � se former. Cette logique sugg�re de �proposer une r�duction de la consommation inutile et gaspilleuse, de promouvoir une production fond�e sur le recyclage, d�augmenter le temps de loisir pour accro�tre la consommation mat�rielle et d��valuer les limites de la population mondiale �. Il est, en second lieu, permis de contester la croissance parce qu�elle est r�gressive : la course permanente et sans limites � la productivit� distend le lien entre la croissance et la cr�ation d�emplois, d�grade les relations humaines et sociales, renforce les in�galit�s, l�ali�nation et les frustrations. Une troisi�me s�rie de facteurs, li�s � la soci�t� de consommation, jette le doute sur la croissance comme mod�le durable : �Des produits coup�s des besoins r�els, l�ostentation d�usages superflus, l�obsolescence technique ou technologique des produits�. Les critiques de l�hyperconsommation r�clament �moins de biens, plus de liens�. Autre motif de contestation de la croissance : les limites de la toute-puissance de l�homme. A la philosophie ancienne de �l�homme rationnel, ma�tre de son destin, en situation d�affirmer sa volont� sur les �tres comme sur les choses et la nature� succ�de le principe sup�rieur de �p�rennit� de l�humanit� qui commande une nouvelle �thique de la responsabilit� en consid�ration des g�n�rations futures. Enfin, la croissance est coupable de ses propres indicateurs de mesure (notamment le PIB) qui expriment une vision strictement marchande, quantitative et mon�taire, n�gligeant l�am�lioration de la qualit� des produits et des conditions de travail au service de la seule productivit�. A. B. (*) Ipsos, le �SLOW ou l�aspiration des Europ�ens � ralentir, Enqu�te sur une tendance �mergente, Foire de Paris, 5 mai 2011. (**) Christophe Caresche, G�raud Guibert, Diane Szynkier ; Le bonheur est-il dans la d�croissance ? Fondation Jean Jaur�s, disponible sur www.jean-jaures.org