Par Hassane Zerrouky Ce vendredi 17 d�cembre, cela fera un an que Mohamed Bouazizi, 26 ans, s�est immol� par le feu devant le si�ge de la wilaya de Sidi Bouzid. En s�aspergeant d�essence avant de craquer une allumette, le jeune vendeur ambulant, � qui des agents de police avaient confisqu� sa maigre marchandise, ignorait � ce moment-l� que son geste allait d�clencher un incendie qui allait emporter Zine Abbidine Ben Ali et d�autres dirigeants arabes. Le lendemain, des manifestants choqu�s par son geste organisaient un simple sit-in de protestation qui se transformera en �meute quand le gouverneur (wali) de la ville les fait brutalement �vacuer � coups de matraques, de gaz lacrymog�nes. La protestation gagne alors d�autres localit�s de cette r�gion frontali�re de l�Alg�rie. A Menzel Bouza�ane, Mohamed Amari est le premier manifestant tu� par balles par la police. D�autres jeunes tomberont dans les jours suivants comme � Kasserine o� 47 personnes sont tu�es par la police ! Un an apr�s, que reste-t-il de ce vent r�volutionnaire qui a fait table rase de 23 ans de dictature ? Eh bien, ce ne sont pas ceux qui ont fait la r�volution, ces centaines de blogueurs, traqu�s par la police de Ben Ali, qui informaient, appelaient � la mobilisation, ce ne sont pas ces centaines de milliers de jeunes, de syndicalistes, de femmes, envahissant la rue tunisienne, scandant �d�gage�, qui ont gagn�. Mais, ceux qui n�ont pas pris part � cette r�volution, les islamistes, tr�s discrets, attendant de voir comment la situation allait �voluer avant de s�engager. Autre le�on de cette r�volution avort�e, l�id�e selon laquelle les cyberactivistes, via le r�seau social Facebook, qui avaient permis la r�sistance au r�gime de Ben Ali, ont rendu caducs les partis politiques ou en les ringardisant, n�a pas r�sist� aux faits. Certes, � la veille de la chute de Ben Ali, ils �taient, dit-on, plus d�un million de jeunes connect�s simultan�ment sur Facebook �changeant des informations uniquement en arabe. Mieux, et c�est peut-�tre cela qui les avait induits en erreur, le message islamiste �tait inexistant sur la Toile. Mais, une fois le r�gime de Ben Ali tomb�, la r�sistance virtuelle, par Internet, a commenc� graduellement � s��teindre, car la censure a laiss� place � la libert� d�expression. Plus besoin d�aller sur Facebook pour s�informer. C�est � partir de l� que les r�seaux islamistes, massivement aid�s par les monarchies du Golfe, notamment le Qatar, ont commenc� � travailler au corps et � rassurer cette partie de la population tunisienne, rest�e en dehors de la r�volution, qui appr�hendait un avenir lui paraissant porteur d�incertitudes. Devant un semblant de chaos, fait d�occupation d�entreprises et autres lieux de travail, d�explosion de revendications de toutes sortes, de patrons de PME paniqu�s, d�institutions �tatiques et de services publics en �cong� forc�, Ennahdha a jou� la carte d�un parti de l�ordre, rassurant les uns, promettant monts et merveilles aux autres, palliant l�absence de l�Etat en distribuant une aide sociale aux d�munis financ�s par l�argent en provenance des monarchies du Golfe. En outre, contrairement aux autres partis, Ennahdha est un parti riche. Autrement comment expliquer que ce parti, qui avait pour si�ge un trois pi�ces dans un minable immeuble de la banlieue de Tunis dans les ann�es 1980, avant d��tre interdit par Ben Ali, puisse disposer, moins de six mois apr�s la chute du m�me Ben Ali, d�un si�ge moderne dans le quartier Monplaisir de Tunis ! En v�rit� � troisi�me le�on tunisienne � l�usage de la religion � des fins politiques soutenu par des moyens financiers consid�rables constitue une arme redoutable dont la gauche tunisienne, pourtant suffisamment avertie par l�exemple alg�rien, est en train de faire l�am�re exp�rience. De ce fait, l��lection de Moncef Marzouki ne doit pas faire illusion. Cet homme, issu de milieux populaires, opposant de la premi�re heure � Ben Ali, ne peut rien si la gauche et les d�mocrates tunisiens ne surmontent pas leurs divisions. Et quand on sait que seul un Tunisien sur deux a vot�, il existe un gisement d��lecteurs potentiels que ces partis peuvent gagner.