Par Ma�mar FARAH [email protected] En feuilletant les vagues � l�or�e des saisons incertaines, j�ai retrouv� le souvenir des senteurs marines et les humeurs de nos soir�es riantes au bord de l�eau. J�ai retrouv� nos jeunesses perdues � jamais dans le roulis du temps et la course des saisons ; j�ai retrouv� les photos jaunies des �t�s de baignade et de plongeons� Sur ces rivages, ce matin livr�s aux temp�tes houleuses, je vois un gros paquebot blanc filer vers le nord� Il y a quelques semaines, j�ai vu deux barques de �harraga � prendre la m�me direction. Ils ont d� installer un gros machin technico-sophistiqu� qui fonctionne comme un aimant et qui attire tout le monde vers le nord. Avec quelle force avions-nous r�sist� � cet aimant, nous les jeunes de jadis ? Je ne sais pas. Je ne sais plus quoi penser aujourd�hui de ce qui nous emp�chait de partir � un moment o� il n�y avait pas de visas et o� nos comp�tences acquises � l��cole des Seventies nous ouvraient les portes d�un travail honorable partout. Pourquoi avoir refus� de partir lorsque le billet d�avion pour Paris co�tait 1 000 dinars ? Allez le faire comprendre � ces jeunes que je rencontre chaque matin, assis face � la mer, les yeux tourn�s vers le nord et qui me disent leur folle envie de grimper dans une barque� Je crois que nous sommes rest�s parce que la mer nous donnait l�envie d�aimer les filles en bikini, parce que le soleil nous tapait amicalement sur la t�te et cet ami si chaleureux, on ne pouvait l�abandonner ; parce que ici, nous �coutions Adamo et Om Kaltoum et que les grands artistes de l�Orient et de l�Occident venaient chez nous, parce que Kateb Yacine �crivait admirablement bien et qu�on pouvait le rencontrer dans un bar populaire pr�s de Cavaignac, parce que Dahmane El Harrachi s�invitait � nos tables fraternelles, dans la lumi�re de cet Alger perdue � jamais, parce que Hamina gagnait la Palme d�or, parce que le th��tre alg�rien r�gnait en ma�tre dans le monde arabe, parce que l�on s��clatait avec Fellini � la Cin�math�que d�Alger et, surtout, parce que Momo veillait sur le m�le� Nous ne sommes pas partis parce qu�il n�y avait pas encore les milliards pour jeter sur la cit� leur sale ombre et propager cupidit� et �go�sme, parce que le minist�re de la Culture ne distribuait pas encore des primes � la m�diocrit� dans les festivals-zerda qui, comme le miel, attirent beaucoup de mouches qui se croient abeilles� Parce que tout simplement il y avait cet espoir fou de voir ce pays briller de toute sa magnificence� L�Alg�rie de l��poque �tait port�e par tous ses enfants qui croyaient dur comme fer que, de leurs sacrifices, na�tra ce futur enchanteur qui donnerait leurs chances � tous les enfants d�munis et qui ferait taire l�arrogance des exploiteurs. En �coutant un leader islamiste parler l�autre jour sur une cha�ne de t�l�vision tunisienne, j�avais l�impression de vivre un cauchemar, l�un de ces sinistres cauchemars qui nous hantaient � l��poque. En fustigeant, avec un air rageur et revanchard, les francophones des ann�es 1970, tax�s d�occidentalistes, de communistes, d�antimusulmans et j�en passe, j�ai eu en m�moire ces hordes des premiers barbus qui, dans les universit�s et face � l�enthousiasme r�volutionnaire de la majorit� des �tudiants, brandissaient les couteaux. D�j� ? Oui, et ce sont ces sinistres individus souillant les campus que M. Soltani nous pr�sente aujourd�hui comme les premiers militants opprim�s par le pouvoir. Et comme l�histoire est un �ternel recommencement, je vois les m�mes sc�nes dans les universit�s des pays arabes touch�s par la r�volution� r�actionnaire ! Ils en viendront n�cessairement aux m�mes exc�s� Notre patriotisme, notre amour fou de ce pays, nous l�avons exprim� et nous l�exprimons certes dans une langue �trang�re, mais nous consid�rons la langue comme un simple moyen de communication, l�essentiel �tant les id�es qu�on exprime : � l�ONU, vous pouvez parler anglais, fran�ais, espagnol ou arabe, un traducteur fera parvenir le contenu de votre discours � toutes les oreilles. Il est vraiment dommage de constater que certains hommes politiques continuent de mobiliser sur des fonds de commerce �cul�s et nous ne ferons pas l�injure au chef du HMS de lui demander pourquoi la d�claration du premier Novembre 1954 � dont il a cit� des phrases tronqu�es volontairement � avait-elle �t� r�dig�e en fran�ais ? Dans les ann�es soixante-dix, on a d�j� essay� de nous diviser sur ce registre-l�, nous avions �vit� le pi�ge et les clivages se sont automatiquement faits entre partisans du progr�s et de la justice et ceux qui refusent l��mancipation du peuple ! Nous ne sommes pas moins patriotes que les autres, nous qui avons appris le fran�ais dans les lyc�es de l�Alg�rie ind�pendante. Ceux qui reviennent � la charge, reprenant � leur compte les accusations et les calomnies de �Hizb Fran�a� font preuve d�un ridicule qui prend encore plus de burlesque avec l�actualit� br�lante qui nous donne � voir le lamentable spectacle de certains islamistes manipul�s par les services fran�ais et isra�liens ! Notre drame est que certains, en Alg�rie, acceptent volontiers l�existence des musulmans am�ricains, russes ou n�palais et comprennent que ces communaut�s puissent vivre leur islam dans le respect de leurs traditions, de leurs us et coutumes, de leurs langues ; en bref, dans le respect de leur identit� ! Ils refusent au peuple alg�rien, compos� majoritairement d�Amazighs, ce m�me droit. Au nom de l�islam, pourtant v�cu de si diff�rentes mani�res dans des dizaines de pays, ils veulent nous imposer une arabit� qui ne nous a apport� que r�gression et asservissement culturel parce qu�elle a �t� impos�e par la force et en �crasant notre propre culture ! Nous croyons qu�il est possible de vivre en paix avec la langue arabe et de b�n�ficier de sa richesse litt�raire et nous avons toujours appel� � sa ma�trise et � son enseignement selon des m�thodes modernes, mais pas au d�triment de nos langues ancestrales et des idiomes �trangers dont le fran�ais, consid�r� comme un �butin de guerre�. L�islam maghr�bin existe. Il a �t� port� par de nombreuses g�n�rations de Berb�res, soldats intr�pides ou philosophes et scientifiques reconnus, qui l�ont implant� en Andalousie ! C�est notre islam � nous et tout fonctionnait � merveille avant que ces excit�s ne viennent � � partir des ann�es 1980 � nous imposer des habits et des coutumes import�s d�Arabie ! La mauvaise foi de ce m�me leader interview� se manifestera encore une fois lorsqu�il citera Ben Badis. Encore une omission, encore une manipulation ! Dans le c�l�bre couplet, le cheikh progressiste de Constantine ne dit pas �nous sommes Arabes� mais �nous nous apparentons aux Arabes !� Une telle confusion ne peut provenir de ce grand homme qui a lutt� avec toute sa force contre les obscurantistes, qui ne s�est jamais abaiss� � parler d�habits des femmes ou de vie priv�e, s�attelant � construire une conscience nationaliste qui s�accordait parfaitement avec le souci du partage des richesses, de la lib�ration de la femme et des droits des travailleurs ! Non, Ben Badis n�appartient pas aux islamistes ! Il appartient aux musulmans progressistes de ce pays ! S�il �tait vivant, il aurait attaqu� tous ces pr�cheurs de la haine, tous ces allum�s qui poussent au sectarisme et � la violence ! En ce matin du premier jour de l�hiver, la furie des vagues et les premi�res neiges, les vents de sable et le doux murmure des oueds dans les palmeraies endormies nous invitent, encore et toujours, � ne pas partir. C�est notre pays ! Ce n�est pas le pays de ces bouffons ridiculement habill�s qui n�ont qu�une envie : tuer la vie, tuer l�Alg�rie de la cr�ativit�, de la beaut� et de l�Amour�