Pourquoi est-ce que j'imagine l'Algérie au pluriel : Algéries ? Tout simplement parce qu'elle est capable de parler les langues des oiseaux. Peut-être, parce qu'elle est le pays qui a donné le premier romancier dans l'histoire de la littérature universelle, le Berbère Apulée de Madaure (né vers 125), auteur de L'âne d'or. Parce qu'elle est le pays qui a enfanté saint Augustin (354-430), fils de Souk Ahras (Taghaste) auteur de La Cité de Dieu. Et peut-être parce qu'elle est aussi la terre qui a engendré Si Mohand Ou M'hand (1840-1905), “Amokrane Achchouaâra”, le prince des poètes, Rimbaud Imazighen. Et parce qu'elle est, également, le sol qui a enfanté Kateb Yacine, auteur de Nedjma. Parce que c'est aussi le pays qui a donné le poète Moufdi Zakaria, poète de Qassaman, l'hymne national, décédé en exil chassé par le pouvoir de Boumediene. De tamazight au latin, de l'arabe au français aux dialectes algériens, des mémoires, des textes et des imaginaires consciemment ou inconsciemment traversent l'Algérie puis s'installent dans l'écriture d'aujourd'hui. Dans toutes ces langues des oiseaux, nous sommes propriétaires, locataires, voyageurs, casseurs et joueurs. Dans l'écriture créative, le rapport à la langue reste personnel, individuel et intime. Ainsi, j'ai mon arabe à moi. Il n'appartient qu'à moi. Et j'ai mon français à moi. Il est d'abord mon miroir. Avec la langue de la création, nous ne sommes pas dans un maquis, nous sommes plutôt dans un lit. Un rapport charnel comblé de fantasmes nous lie à cette langue ! Peu importe la langue ! En tendant l'oreille à ces oiseaux qui animent le ciel d'Algérie plurielle, je me demande : Comment peut-on écrire dans une langue autre que celle de notre maman ? Une autre langue que la mère ne parle pas ? Ne comprend pas ? Cet acte n'est-il pas une sorte de trahison envers la maman ? Trahir le lait maternel n'est-il pas une faute capitale ? Infidélité ! Puis je m'interroge : cette langue étrangère à notre maman, avec laquelle ou dans laquelle nous écrivons, ne ressemble-t-elle pas à cette femme qui, un jour, mettra la main sur l'enfant de sa mère ! L'amante ou l'épouse. Histoire de la mère et sa belle-fille ?! Même si l'école, en nous enseignant autres langues, l'arabe comme le français, nous éloigne, nous aliène, nous ne quittons jamais la langue avec laquelle notre maman nous a bercés. Elle habite notre peau et le souffle de notre âme. Personnellement, lorsque j'écris dans les deux langues (le français ou l'arabe) que ma mère ne parlait pas, ne comprenait pas, j'entends sa voix résonner dans ma tête. Elle corrige ma langue ! Mes débiles intellectuels ! C'est elle qui donne le rythme à la langue arabe, malgré les consignes du père de la grammaire arabe Sibawayh, d'origine perse ! Et loin des règles de la prestigieuse institution de l'académie de la langue française, gardienne du temple, la voix de ma mère rend la langue du texte littéraire désobéissante, insoumise et fidèle à la transgression ! Ma mère avait une voix sublime. Et je ne peux pas la trahir ni l'oublier. Elle fut une voix unique ! Toutes les voix des mamans sont uniques ! Les langues, sous les plumes des créateurs, sont hospitalières. Et elles sont jalouses l'une de l'autre ! Et la voix de la mère a rendu la langue, le français comme l'arabe, tantôt hospitalière, tantôt envieuse l'une de l'autre. Elles s'invitent. Elles s'écoutent. Elles se célèbrent. Ecrire dans un pays pluriel, c'est réveiller les chants d'oiseaux et voyager dans l'imaginaire. Ainsi, toute langue avec laquelle la femme ou l'homme fait l'amour est une belle et grande. Elle est langue de poésie. Seule la religionisation tue le génie des langues. Quand on réclame le droit d'ascendance intellectuelle, spirituelle et linguistique d'Apulée, d'Augustin, de Si Mohand Ou M'hand, de Kateb Yacine, de Moufdi Zakaria ou de Sidi Lakhdar Benkhlouf, on est le fils de sa mère et on est fier de l'être. A. Z. [email protected]