Par Meriem Ouyahia Ils ne sont pas malades, mais en donnent l�impression. Ils sont autant affect�s que les hospitalis�s qu�ils veillent. Eux, ce sont les gardes-malades �admis� ou pas par l��tablissement hospitalier qui prennent en charge un membre de leur famille souffrant. Eux, ce sont ceux qui aident le personnel hospitalier bon gr�, mal gr� pour assister leur parent. �Tout pour mon mari� Il y a du monde dans cette chambre d�h�pital o� sont cens�s �tre re�us quatre patients. Ils sont cinq � partager cette salle r�serv�e aux admis de longue dur�e. Un cinqui�me lit a �t� ajout� juste devant la porte d�entr�e et coince un peu celle des toilettes. Au fond de la salle, Radia est entour�e de plusieurs personnes : tantes, cousins et cousines. Radia ajuste de temps en temps son foulard et renifle un peu. Ses yeux fatigu�s ont perdu de leur �clat. Adoss�e au montant du lit, elle r�pond m�caniquement aux remarques de ses visiteurs bruyants. Des bruits qui n�ont pourtant pas r�veill� l�homme allong� sur le lit. Il donne l�impression de ne plus y faire attention. C�est � peine s�il hoche la t�te. Il est 15h pass�es, les infirmiers passent dans les chambres pour rappeler que la visite est termin�e. La chambre se vide, laissant Radia avec son �poux. Il a subi une intervention chirurgicale. Elle ne donne pas plus de d�tails. On a l�impression qu�elle est plus fatigu�e et us�e que le patient. �Depuis que nous sommes ici, je n�ai pas dormi. Il n�y ni lit ni matelas. Et � force de rester sur cette chaise, je n�en peux plus�, d�plore-t-elle pour excuser le peu d�entrain qu�elle affiche pour converser. Ses journ�es, elle les passe � courir derri�re les infirmiers et m�decins, � poser des questions sur l��tat de sant� de son mari mais qui demeurent toujours sans r�ponse. �Des fois, je me dis que nous sommes oubli�s lorsque je vois d�autres malades quitter ce lieu. Mais le m�decin nous dit que ce n�est qu�une question de temps. Cela fait quand m�me beaucoup, une semaine d�hospitalisation�, lance Radia. Son cri r�sume � lui seul sa d�tresse ou plut�t sa volont� de pr�server son �visa� pour rester aupr�s de son fils. Elle ne quitte pas la chambre, elle a trop � faire aupr�s de son �poux : elle fait sa toilette, son lit, lui donne � manger, lui parle et suit les recommandations des infirmiers. �Au d�part, le personnel m�dical m�a interdit de rester avec lui. J�ai d� insister et je me suis battue pour me faire admettre et obtenir enfin le fameux billet de garde-malade. Le personnel est d�bord� mais refuse les parents qui veillent leurs malades. Cela n�a aucune logique, d�autant plus que nous venons d�Alger. Je souhaite que le personnel m�dical soit plus compr�hensif, m�me s�il consid�re qu�il est professionnel, nous le lui conc�dons d�ailleurs, mais un peu d�humanisme n�a jamais tu� personne, bien au contraire cela fait rena�tre l�espoir.� Pour elle, il s�agit d�un v�ritable appel � une prise de conscience. Elle n�en dira pas plus. Le peu d��clat qu�elle a gard� dans ses yeux, Radia veut le pr�server. Elle pense que dans deux jours, son mari poursuivra sa convalescence � la maison, et elle pourra enfin rattraper le manque de sommeil. �Mon fils a besoin de moi� �Je ne mange pas, je ne dors pas mais je suis � c�t� de mon fils �g� de sept ans�, crie A�cha, � l��nonc� de notre volont� de recueillir son t�moignage. Elle est agit�e et parle avec nervosit�. Elle se l�ve comme pour mieux exprimer son d�sarroi. Apr�s quelques minutes de discussion, A�cha se calme, se rassoit sur la chaise pos�e en face du lit de son fils. Elle se sert un verre d�eau d�pos� sur la table de chevet sur laquelle est entass�e des fruits et des yaourts. Nous avons � peine entam� la conversation avec son adorable petit gar�on que A�cha s�excuse. �Je suis d�sol�e de vous avoir parl� ainsi. Ma pr�sence ici est � peine tol�r�e alors que mon fils ne peut rien faire seul. Il a subi une op�ration avant-hier et c�est � peine s�il peut bouger. Ils (personnel m�dical, ndlr) ne voulaient pas que je reste avec lui. C�est illogique. Le seul compromis que j�ai accept� est de ne pas passer la nuit ici. Je pars � 20h car je n�habite pas loin d�ici. Mais cela reste cruel�, dit-elle en pleurant. Des pleurs de rage, de d�sespoir mais surtout de fatigue. �J�avais peur de perdre mon fils. Pour moi, m�occuper de lui me rassure, cela me permet de d�culpabiliser. �a, ils n�arrivent pas � le comprendre. Je passe mon temps � nettoyer les toilettes et l�espace vie de mon fils. Je ne peux supporter qu�il puisse rester dans une telle salet�. Cela fait quatre jours que nous sommes l�, et j�esp�re que nous sortirons demain. Je le souhaite de toutes mes forces. Et je prie Dieu de pr�server ma sant� pour que plus jamais je serai admise dans un h�pital. Le r�glement interdit toute nourriture venant de l�ext�rieur, alors qu�aucun r�gime pour les malades n�est respect�. Les responsables ont-ils fait un tour dans la cuisine pour juger de la propret� des lieux et de la nourriture ? De plus, les infirmi�res qu�mandent. Vous imaginez, je ne suis pas cens�e manger les plats de l�h�pital, je les garde pour mon fils et je trie ce qu�il peut manger. A l�heure de servir les repas, tous les jours, des infirmi�res ou des femmes de m�nage passent pour demander les restes de pain ou de plats. Vous pensez que c�est digne d�un h�pital. O� est-ce que nous allons ? Le probl�me n�est pas dans les gardes-malades mais dans la gestion des h�pitaux. � Les propos de A�cha sont pleins de ranc�ur devant cette gestion chaotique des malades et de leurs familles. �Pour le reste, je n�ai rien � dire. Ils n�ont qu�� bien faire leur travail. Ils sont pay�s pour.� �Prenez soin de nous� Au fond de la salle, une jeune femme, le regard perdu, �gr�ne les minutes en jetant des regards vers un petit lit. De toute vraisemblance, il s�agit de son enfant. En fait, il y en a deux. Renseignement pris, l�un d�eux est son fils �g� de 14 mois et l�autre b�b� n�est pas le sien. �Ils partagent le m�me lit. Tout sourire, Farida, maman de Aymen �g� de 14 mois, se pr�te tout naturellement � raconter sa vie dans un h�pital. Pas besoin de l�interroger sur sa maladie, cet enfant jovial a une sorte de �bosse� dans le dos. �Les nerfs de son cerveau ont converg� dans le dos. Il ne peut pas marcher, il souffre d�une paralysie totale. Veiller son fils Aymen sur uneliterie pos�e � m�mele sol, c�est son lot quotidien. Les m�decins disent que c�est un miracle qu�il ait v�cu jusque-l�. Il peut juste rire et balbutier. Nous avons d�j� fait plusieurs h�pitaux avant d�arriver ici. Nous venons de la wilaya de Ouargla. Cet h�pital est notre ultime espoir. Je n�ai ni famille ni amis ici, mais je n�en fais pas cas. Le plus important est que mon fils ne souffre pas et qu�il ait une petite chance de vivre longtemps. � Veiller son Aymen sur une literie pos�e � m�me le sol, c�est son lot quotidien. �Comme vous voyez, il n�y pas assez d�espace pour les enfants, alors que dire des adultes. Au d�part, je partageais le lit de mon fils mais depuis l�hospitalisation de cet autre enfant, je lui ai c�d� ma place. Je me consid�re chanceuse par rapport aux autres gardes-malades. Moi, au moins, j�ai une literie. Je sens que mon fils souffre en silence. Ma souffrance n�est rien devant la sienne. Ils ne veulent pas lui faire d�intervention, je le sais, mais s�ils ne me le disent pas. C�est tr�s dur de ne pas savoir. Son sourire jovial disparait tout d�un coup, elle fond en larmes. �Tout ce que Dieu nous accorde, nous l�acceptons. Mais les m�decins doivent prendre le temps de nous parler au lieu de nous laisser comme �a dans l�incertitude. J�ai l�impression d��tre seul avec mon fils et quelques �mes charitables�, dit-elle entre deux sanglots. �Cela me fait mal de voir mon fils mourir ainsi. Je sais qu�apr�s tant de souffrance, ils vont nous demander de rentrer chez nous comme pour les autres cas. Dites-leur de prendre soin de nous !� Des t�moignages qui renseignent sur la vie des malades et de ceux qui les veillent. Plus que des t�moignages, il s�agit de SOS.