Marnia Lazreg est professeur de sociologie � la City University of New York, Graduate Center. Elle est titulaire d'une licence �s lettres, un master et un PHD. Ses domaines de recherche se concentrent sur l'histoire coloniale, le d�veloppement international, les droits humains, les �tudes des femmes, la sociologie de l'islam ainsi que la th�orie sociale classique et contemporaine. Elle a re�u de nombreuses bourses de recherche y compris aupr�s du prestigieux Institut des �tudes avanc�es � Princeton. Elle est aussi parue dans un documentaire sur la torture r�alis� en Su�de et dans lequel apparaissent �galement Henri Alleg et le r�v�rend Desmond Tutu. L�Alg�ro-Am�ricaine est l'auteur de nombreux articles et livres comme L'Emergence des classes en Alg�rie, �Etude sur le colonialisme et le changement socio-politique, L'Eloquence du silence : Les femmes alg�riennes en question, La question du voile : lettres ouvertes aux femmes musulmanes. Elle ach�ve en ce moment deux ouvrages : une critique de la philosophie qui sous-tend l'�uvre d'Albert Camus, et une analyse de la conception de la culture chez l'historien Michel Foucault. Edit� aux Etats-Unis par Princton University Press (en anglais), son livre Torture and the twilight of empire : from Algiers to Baghdad vient d��tre traduit en arabe et en fran�ais, deux versions disponibles en Alg�rie gr�ce � Dar El-Hikma. AAlger, lundi, nous avons rencontr� Marnia Lazreg. Le Soir d�Alg�rie : Le titre de la version fran�aise de votre essai est �La torture et le d�clin : d�Alger � Baghdad�. De quel empire et de quel d�clin est-il question dans ce livre ? Marnia Lazreg : Cet empire, c�est �videmment la France coloniale. Ma th�se est que quand un empire est sur le point de s�effondrer, ses tenants redoublent de f�rocit� pour le maintenir en vie et la torture est un des moyens pour arriver � ce but. Nous avons vu �a avec la France et avec les Etats-Unis qui ont r�habilit� la torture sous l�administration Bush et qui a �t� pratiqu�e contre les Irakiens et les Afghans. Les Etats-Unis ont �galement appliqu� la politique de la rendition � qui consiste � envoyer des personnes suspect�es d�actes terroristes vers des pays qui appliquent la torture. Des gens ont ainsi �t� envoy�s vers l�Egypte, la Jordanie, la Syrie ou le Maroc. Ils ont �t� envoy�s vers ces pays parce qu�aux Etats- Unis, une personne qui a subi des tortures peut ester l�Etat en justice. Et pourquoi �d�Alger � Baghdad � dans le titre de l�ouvrage ? Je dis qu�il y a un lien entre les Etats imp�rialistes qu�ils fussent la France ou les Etats-Unis qui tous les deux ont utilis� la torture comme dernier recours pour sauver l�empire de l�effondrement. En mai 1954, la France a �t� d�faite par le Vi�t-Minh � Dien Bien Phu. Apr�s l�Indochine, elle va aussi perdre Madagascar ainsi que le Maroc et la Tunisie. Alors, elle s�est rabattue sur la colonie qui lui �tait la plus importante : l�Alg�rie. Pour garder l�Alg�rie, la France a mis le paquet. Tous les moyens, dont la torture, et � n�importe quel prix, �taient bons pour rester en Alg�rie. Ceci est donc la th�se que j�ai d�velopp�e dans ce livre. Comment vous est venue l�id�e d�un tel livre ? J�ai �crit auparavant le livre sur l��mergence des classes sociales en Alg�rie apr�s l�ind�pendance, ainsi qu�un livre sur la condition f�minine en Alg�rie. Rien ne me vouait � me concentrer sur la torture. Ce sont deux ��v�nements� qui m�ont fait entrevoir la n�cessit� d��crire un livre sur la torture. Un �t� � Alger, j�ai vu deux livres dans une librairie. Le premier est celui du g�n�ral Paul Aussaresses et dans lequel il reconna�t avoir tortur� des centaines d�Alg�riens, sans m�me savoir s�ils �taient coupables ou non et qu�il ne regrettait pas de l�avoir fait. A c�t� de ce livre, il y avait un livre de Louisette Ighilahriz, une femme alg�rienne qui a �t� la premi�re � briser le silence sur la torture qui a �t� exerc�e non seulement sur les hommes, mais aussi sur les femmes et le viol est aussi une forme de torture. L�autre aspect du livre de Louisette Ighilahriz est quand elle parle de la torture sexuelle. La torture a pour but de d�truire la dignit� de la personne humaine. Si vous portez atteinte � l�identit� sexuelle d�une personne, vous d�truisez son identit�. Des hommes et des femmes ont �t� victimes de viols. Concernant le viol des hommes, il y a le t�moignage de Abdelhamid Benzine qui dans son livre parle d�une sc�ne que vous ne pourrez m�me pas reprendre dans un journal�Le deuxi�me ��v�nement �, c�est quand aux Etats- Unis, on a commenc� � parler de la torture comme m�thode n�cessaire dans des �circonstances sp�ciales� lorsqu�il s�agit d��pargner la vie des citoyens. J�ai vu alors qu�il y a un lien entre la fin de l�empire fran�ais et celui des Etats-Unis. Dans votre nouveau livre, vous donnez des d�tails sur la torture durant la guerre de Lib�ration nationale� La torture pendant la guerre d�Alg�rie faisait tellement partie de la doctrine militaire de �la guerre r�volutionnaire�, qu'elle �tait enseign�e au Centre d'entra�nement � la guerre subversive (Camp Jeanne-d' Arc) � Skikda, et au Centre d'instruction pacification et contre-gu�rilla � Arzew. La conception fran�aise de la �guerre r�volutionnaire� et la doctrine militaire qui se basait sur elle est parfois appel�e �L��cole fran�aise�. A partir des ann�es 60, elle fut enseign�e � l'arm�e am�ricaine : Aussaresses, Charles Lacheoy et d'autres officiers ont donn� des conf�rences sur leurs th�orie et doctrine. Elle �tait aussi enseign�e � l'Ecole militaire de Paris que fr�quentaient, entre autres, des militaires d'Am�rique latine, d'Isra�l, d'Afrique du Sud et du Portugal. Comment votre livre a �t� accueilli aux Etats-Unis ? Il a eu une grande m�diatisation. Par exemple, il a �t� pr�sent� dans une trentaine de radios am�ricaines. J�ai aussi �t� invit�e � animer des conf�rences dans plusieurs villes des Etats- Unis.