[email protected] A l�occasion du cinquantenaire de l�ind�pendance de l�Alg�rie, nous poursuivons la publication des t�moignages sur les crimes commis par les g�n�raux de la colonisation. Il s�agit d�un v�ritable g�nocide dissimul� par la France officielle. Et l�Alg�rie ne fait rien pour que cette extermination syst�matique d�un peuple soit reconnue par l�Etat qui en �tait responsable. Au lieu de cela, nous subissons affront sur affront � le dernier a �t� l�audition du ministre des AE par le� Parlement fran�ais ! Si certains pensent � leurs familles �vacu�es en Suisse et en France et � leurs petites affaires l�-bas, nous continuons, ici, dans notre patrie et avec la majorit� de notre peuple, � revendiquer le pardon de la France. Les Arm�niens valent-ils plus que nos anc�tres ? Voici, �crite par un Fran�ais digne et courageux, une chronique qui date de 1960, c�est-�-dire � l��poque o� les ultras aiguisaient leurs armes pour pr�parer la grande offensive de l�OAS qui tuera tant d�innocents et br�lera tout sur son passage. Le titre de ce texte : La guerre de 130 ans . L�auteur est Morvan Lebesgue, journaliste au Canard encha�n�, terrass� par une crise cardiaque en 1970. Paix � son �me. M. F. Au moment o� la guerre d�Alg�rie rue, mord et bave, cabr�e dans ses derniers soubresauts � du moins, nous l�esp�rons, et prenons garde ! Car c�est alors, chacun le sait, que la b�te est la plus dangereuse ! � il para�t un petit livre qui remonte � ses origines. Il s�intitule Histoire d�un parjure et son auteur, M. Michel Habart, y a recueilli des textes qui rempliraient plusieurs colonnes de l�Anti-France. Sujet ? La Conqu�te. Et qu�y trouve-t-on ? Exactement tout ce que nous ignorions, malgr� nos livres d��cole, non : � cause d�eux. Allons, direz-vous : encore un livre partisan � Les Editions de Minuit, n�est-ce pas ? � bas� sur des t�moignages d�extr�me gauche. Vous n�y �tes pas du tout. Ses t�moins, M. Habart ne les a pas choisis parmi les �tra�tres� d�aujourd�hui ou d�hier : ni Jean- Paul Sartre, ni Lamartine. Il est all� les chercher tout bonnement � la Biblioth�que nationale, et ils s�appellent Louis-Philippe, Bourmont, Clauzel, Bugeaud, Saint-Arnaud, Thiers. Massacreurs d�Arabes et fusilleurs d�ouvriers, la caution est-elle assez bonne ? Si oui, lisez ce qui va suivre. Un des mensonges ultras les plus en vogue dans cette guerre fut que lorsque les troupes fran�aises d�barqu�rent en Alg�rie, elles trouv�rent un pays anarchique, d�peupl� et mis�rable. Or �coutez ce qu�en dirent � l��poque les conqu�rants eux-m�mes. �Rien de comparable en Europe � la r�gion de Blida� (colonel Saladin) ; �La Kabylie est superbe, un des pays les plus riches que j�aie jamais vus� (Saint-Arnaud). Pays couvert d�arbres fruitiers de toutes esp�ces, jardins cultiv�s jusqu'� la mer, grande vari�t� de l�gumes gr�ce � un syst�me d�irrigation tr�s bien entretenu par les Maures� (Gentry de Bussy). D�peupl�e, l�Alg�rie ? En 1844, � la Chambre, le d�put� Joly �value le nombre des Alg�riens � plus de sept millions, chiffre probablement inf�rieur � la r�alit� (il y avait, � la m�me �poque, huit millions d�habitants au Maroc). Sept millions, vous avez bien lu, � peine trois de moins qu�aujourd�hui. Il est vrai que, quelques ann�es plus tard, de Bussy, le premier �ultra�, avouera : �Depuis l�occupation, le pays n�offre plus que s�cheresse et nudit�.� Que s�est-il pass� ? Ces pages, je le r�p�te : �crites par les conqu�rants, nous l�apprennent. Elles nous racontent d�abord l�histoire d�un parjure : les troupes fran�aises n�entr�rent � Alger qu�en jurant �sur le sang� que les Arabes garderaient leur ind�pendance (�Vous r�gnerez dans votre pays, ma�tres ind�pendants de votre patrie�). Ensuite, l�histoire d�un crime. Ce crime ou, pour l�appeler de son nom, ce g�nocide, commen�a d�s la prise d�Alger. On vit les �pacificateurs� � car le mot pacification avait d�j� trouv� son plein emploi ! � piller, enfumer, assassiner, vendre en vrac, apr�s le sac d�une ville, des bracelets auxquels adh�raient encore les mains coup�es. On vit� Mais �coutez-les plut�t : �On a compt� 78 t�tes au bout des ba�onnettes � l�entr�e du camp� (�Le Moniteur�). �Dans deux mois les tribus Hadjoutes auront cess� d�exister� (Clauzel). �Mes hommes ont trouv� leur distraction dans les razzias � (Changarnier). �Nous avons br�l�, pill�, ravag� les tribus entre Blida et Cherchell� (Canrobert). �Je br�lerai vos villages et maisons � (Bugeaud). Dans son journal l�Afrique fran�aise, le mar�chal Clauzel avoue les raisons de ce carnage : �Il nous faut Tlemcen et Constantine comme il fallait Calais � la France� Les avantages de l�Alg�rie seraient immenses si, comme en Am�rique, les races indig�nes avaient disparu� Colonisons. Colonisons ! A nous la Mitidja ! A nous la plaine ! Toutes ces terres sont de premi�re qualit� ! A nous seuls !� Et Bugeaud, enfin, le d�finit : �C�est la guerre continue, jusqu�� extermination� � Cependant, tout ne va pas si bien dans le meilleur des massacres, et tandis que l�Europe ricane de ces �pauvres Fran�ais� engag�s dans une guerre sans fin (�Laissons-les faire ! Ils vont au d�sastre�, dit Wellington et Lord Ellenborough : (�Il n�y a pas de plus mauvaise affaire que l�Alg�rie�), la m�tropole, soudain, se m�le d�avoir une conscience et de protester. D�s 1840, de nombreux pr�tres se plaignent des confessions �atroces� qu�ils re�oivent. �La torture d�barquant � Alger avec l�arm�e fran�aise n�aura pas �t� un des moins curieux �pisodes de notre �poque� (Barchou-Pohen). �On parle beaucoup des exc�s des soldats, mais vous les jetez dans des combats f�roces. Comment voulez- vous qu�ils ne soient pas cruels ?� (Passy). On �voque les supplices : la crapaudine, le clou au rouge, le silo, la barre, anc�tres de la �corv�e de bois�. On vitup�re �les monstruosit�s judiciaires des tribunaux d�Alger�� Alors, l�Arm�e s�agite. Tout le mal vient de Paris qui ne la comprend pas, des �lib�raux�, des �tra�tres� (d�j�, mais oui !). Mais patience : il faut �alg�riser la France !� s��crie Emile de Girardin, et Bugeaud : �Ne nous y trompons pas ! Les vrais B�douins sont � Paris !� Parole sublime qu�un membre de la Congr�gation, le comte de Brue, paraphrase en ces termes : �Devant la d�moralisation, devant la perte du sentiment national du faible citadin, l�Arm�e, ce noble sanctuaire, a seul conserv� honneur et loyaut�. Que les clameurs de ces l�gistes se taisent et que ces rh�teurs verbeux qui cherchent � �garer la nation reculent devant le bruit de nos armes.� Ils reculeront, en effet. Pendant dix-huit ans, la France sera gouvern�e par un homme qui ne fut peut-�tre pas plus mauvais qu�un autre. Il s�appelait Napol�on 3, et il avait compris, lui, que l�Alg�rie �tait �un boulet aux chevilles�. (�) En 1872, il parut que l�Alg�rie �tait � enfin ! � pacifi�e. Mais le 1er novembre 1954� La le�on de ce livre ? Non, certes, lecteurs d�Alger ! il ne faut pas oublier certains assassinats inutiles et odieux commis par ceux d�en face. Mais sinc�rement, cette situation coupable, la guerre, n�est-ce pas nous qui l�avons install�e dans ce pays, n�en sommes-nous pas, au premier degr�, responsables ? Je l�ai �crit maintes fois : je ne crois pas au p�ch� originel, et le petit Europ�en de Bab-El-Oued n�a pas � payer pour les massacres de Bugeaud. Ce n�est pas l� une raison pour oublier ce que fut cette guerre de cent-trente ann�es. Et maintenant, de la fa�on la plus directe, la plus humaine et la plus loyale possible, qu�on en finisse, vite, vite, avec ce cauchemar ! M. M. Morvan Lebesque (In Le Canard encha�n�, janvier 1960).