Durant l�interm�de estival, synonyme de vacances, nous vous proposons de lire ou de relire quelques textes publi�s dans cet espace. La chronique d�aujourd�hui a �t� publi�e en janvier 2005. La chronique s�intitule �La guerre de 130 ans�. Dans l�atmosph�re de l��poque � nous sommes en 1960 �, on imagine les r�actions violentes qu�elle a pu susciter dans les milieux bien pensants qui glorifiaient la colonisation, au point de la consid�rer comme une �uvre civilisatrice ayant cultiv� les �sauvages � et d�velopp� les pays colonis�s. En se basant sur les documents publi�s dans un livre (L�histoire d�un parjure), et qui ne sont pas l��uvre de journalistes ou d�intellectuels, mais proviennent des t�moignages et des �crits des plus grands g�n�raux qui ont men� la colonisation � ses d�buts, l�auteur nous livre des v�rit�s assommantes. On y apprendra que l�Alg�rie de 1830 n��tait pas aussi pauvre, ni aussi d�peupl�e qu�on nous le raconta par la suite. On y apprendra surtout que ce pays qui vivait en parfaite harmonie avec la nature et qui avait les moyens de se d�velopper par ses propres moyens a �t� litt�ralement br�l� ! On y apprendra aussi que les populations autochtones ont �t� massacr�es, que les villages furent ras�s et que rien, absolument rien, n��chappa � la sauvagerie de l�arm�e fran�aise ! Cet �pisode, le premier, ne fut pas, malheureusement, le dernier. Durant les 132 ann�es de cette longue guerre livr�e � la colonisation par nos a�euls, nos grandsp�res et nos p�res, ce ne furent que sang, deuil et larmes. Aujourd�hui que la r�conciliation est � la mode, il ne s�agit pas pour nous de raviver les souvenirs douloureux, ni de nous opposer au cours de l�histoire qui finit toujours par cicatriser les plaies les plus profondes. N�anmoins, il serait juste que la France r�publicaine, si prompte � honorer �son� Alger pour sa contribution � la lib�ration de la M�tropole, soit assez grande et digne pour pr�senter officiellement ses excuses au peuple alg�rien. Ce pardon, tout � fait symbolique,symbolique, effacerait � jamais ces tristes p�rip�ties que l�on ne saurait en aucun cas attribuer � la France de la fraternit�, de la libert� et de l��galit�. Ce sont des moments d��garement o� toute une nation, pr�cipit�e dans des aventures hasardeuses par les ultras, peut oublier l�essentiel. La France officielle, qui a eu le courage de se remettre en cause apr�s les ann�es noires de la collaboration, peut se d�marquer d�une mani�re �clatante de l'action barbare des g�n�raux sanguinaires de la colonisation. Qu�elle demande pardon au peuple alg�rien ! Le texte qui suit a �t� �crit en janvier 1960 par un chroniqueur courageux du Canard encha�n�, Morvan Lebesque. D�c�d� en 1970, ce journaliste restera dans les m�moires comme l�un des plus brillants de sa g�n�ration. L�un des plus honn�tes aussi. La guerre de 130 ans �Au moment o� la guerre d�Alg�rie rue, mord et bave, cabr�e dans ses derniers soubresauts � du moins, nous l�esp�rons, et prenons garde ! Car c�est alors, chacun le sait, que la b�te est la plus dangereuse ! � il para�t un petit livre qui remonte � ses origines. Il s�intitule Histoire d�un Parjure et son auteur, M. Michel Habart, y a recueilli des textes qui rempliraient plusieurs colonnes de l�anti-France. Sujet ? La conqu�te. Et qu�y trouve-t-on ? Exactement tout ce que nous ignorions, malgr� nos livres d��cole, non : � cause d�eux. �Allons, direz-vous : encore un livre partisan � les Editions de Minuit, n�est-ce pas ? � bas� sur des t�moignages d�extr�me gauche. Vous n�y �tes pas du tout. Ses t�moins, M.Habart ne les a pas choisis parmi les �tra�tres� d�aujourd�hui ou d�hier : ni Jean-Paul Sartre, ni Lamartine. Il est all� les chercher tout bonnement � la Biblioth�que nationale, et ils s�appellent Louis- Philippe, Bourmont, Clauzel, Bugeaud, Saint Arnaud, Thiers. Massacreurs d�Arabes et fusilleurs d�ouvriers, la caution est-elle assez bonne ? Si oui, lisez ce qui va suivre. �Un des mensonges ultras les plus en vogue dan cette guerre fut que lorsque les troupes fran�aises d�barqu�rent en Alg�rie, elles trouv�rent un pays anarchique, d�peupl� et mis�rable. Or �coutez ce qu�en dirent � l��poque les conqu�rants eux-m�mes. �Rien de comparable en Europe � la r�gion de Blida� (colonel Saladin) ; �La Kabylie est superbe, un des pays les plus riches que j�ai jamais vus� (Saint Arnaud). �Pays couvert d�arbres fruitiers de toutes esp�ces, jardins cultiv�s jusqu'� la mer, grande vari�t� de l�gumes gr�ce � un syst�me d�irrigation tr�s bien entretenu par les Maures� (Gentry de Bussy). D�peupl�e, l�Alg�rie ? En 1844, � la Chambre, le d�put� Joly �value le nombre des Alg�riens � plus de sept millions, chiffre probablement inf�rieur � la r�alit� (il y avait, � la m�me �poque, huit millions d�habitants au Maroc ). Sept millions, vous avez bien lu, � peine trois de moins qu�aujourd�hui. Il est vrai que, quelques ann�es plus tard, de Bussy, le premier �ultra�, avouera : �Depuis l�occupation, le pays n�offre plus que s�cheresse et nudit�. � �Que s�est-il pass� ? Ces pages, je le r�p�te : �crites par les conqu�rants, nous l�apprennent. Elles nous racontent d�abord l�histoire d�un parjure : les troupes fran�aises n�entr�rent � Alger qu�en jurant �sur le sang� que les Arabes garderaient leur ind�pendance (�Vous r�gnerez dans votre pays, ma�tres ind�pendants de votre patrie�). Ensuite, l�histoire d�un crime. Ce crime ou, pour l�appeler de son nom, ce g�nocide, commen�a d�s la prise d�Alger. On vit les �pacificateurs� � car le mot pacification avait d�j� trouv� son plein emploi ! � piller, enfumer, assassiner, vendre en vrac, apr�s le sac d�une ville, des bracelets auxquels adh�raient encore les mains coup�es. On vit� Mais �coutez-les plut�t : �On a compt� 78 t�tes au bout des ba�onnettes � l�entr�e du camp� ( Le Moniteur). �Dans deux mois les tribus hadjoutes auront cess� d�exister� (Clauzel). �Mes hommes ont trouv� leur distraction dans les razzias� (Changarnier). �Nous avons br�l�, pill�, ravag� les tribus entre Blida et Cherchell� (Canrobert). �Je br�lerai vos villages et maisons� (Bugeaud). Dans son journal L'Afrique fran�aise, le mar�chal Clauzel avoue les raisons de ce carnage : � Il nous faut Tlemcen et Constantine comme il fallait Calais � la France� Les avantages de l�Alg�rie seraient immenses si, comme en Am�rique, les races indig�nes avaient disparu� Colonisons, Colonisons ! A nous la Mitidja ! A nous la plaine ! Toutes ces terres sont de premi�re qualit� ! A nous seuls !� Et Bugeaud, enfin le d�finit : �C�est la guerre continue, jusqu�� extermination�� �Cependant, tout ne va pas si bien dans le meilleur des massacres, et tandis que l�Europe ricane de ces �pauvres Fran�ais� engag�s dans une guerre sans fin (�Laissons-les faire ! Ils vont au d�sastre�, disent Wellington et Lord Ellenborough : (�Il n�y a pas de plus mauvaise affaire que l�Alg�rie�), la M�tropole, soudain, se m�le d�avoir une conscience et de protester. D�s 1840, de nombreux pr�tres se plaignent des confessions � atroces� qu�ils re�oivent. �La torture d�barquant � Alger avec l�arm�e fran�aise n�aura pas �t� un des moins curieux �pisodes de notre �poque� (Barchou Pohen). �On parle beaucoup des exc�s des soldats, mais vous les jetez dans des combats f�roces. Comment voulez-vous qu�ils ne soient pas cruels ? � (Passy). On �voque les supplices : la crapaudine, le clou au rouge, le silo, la barre, anc�tres de la �corv�e de bois�. On vitup�re �les monstruosit�s judiciaires des tribunaux d�Alger�� Alors, l�arm�e s�agite. Tout le mal vient de Paris qui ne la comprend pas, des �lib�raux�, des �tra�tres� (d�j�, mai oui !). Mais patience : il faut �alg�riser la France !� s��crie Emile de Girardin, et Bugeaud : �Ne nous y trompons pas ! Les vrais B�douins sont � Paris !�. Parole sublime qu�un membre de la Congr�gation, le comte de Brue, paraphrase en ces termes : �Devant la d�moralisation, devant la perte du sentiment national du faible citadin, l�arm�e, ce noble sanctuaire, a seul conserv� honneur et loyaut�. Que les clameurs de ces l�gistes se taisent et que ces rh�teurs verbeux qui cherchent � �garer la nation reculent devant le bruit de nos armes.� Ils reculeront, en effet. Pendant dix-huit ans, la France sera gouvern�e par un homme qui ne fut peut-�tre pas plus mauvais qu�un autre. Il s�appelait Napol�on 3, et il avait compris, lui, que l�Alg�rie �tait �un boulet aux chevilles� (�) En 1872, il parut que l�Alg�rie �tait � enfin ! � pacifi�e. Mais le 1er novembre 1954� �La le�on de ce livre ? Non, certes, lecteurs d�Alger ! il ne faut pas oublier certains assassinats inutiles et odieux commis par ceux d�en face. Mais sinc�rement, cette situation coupable, la guerre, n�est-ce pas nous qui l�avons install�e dans ce pays, n�en sommes-nous pas, au premier degr�, responsables ? �Je l�ai �crit maintes fois : je ne crois pas au p�ch� originel, et le petit Europ�en de Bab-el-Oued n�a pas � payer pour les massacres de Bugeaud. Ce n�est pas l� une raison pour oublier ce que fut cette guerre de cent trente ann�es. Et maintenant, de la fa�on la plus directe, la plus humaine et la plus loyale possible, qu�on en finisse, vite, vite, avec ce cauchemar ! � Morvan Lebesque (janvier 1960) P. S. : Quelques mots d�un message �lectronique de Meriem, fid�le lectrice : �Apr�s la lib�ration de la journaliste fran�aise Florence Aubenas, je lui ai �crit un message pour lui souhaiter bon retour mais aussi pour lui rappeler que chez nous aussi on a un otage. Mais cette prise d'otage a �t� l�galis�e par la loi de notre pays. Je lui ai demand� de parler de lui partout� Benchicou nous doit bien �a ! Qu'on crie son nom � chaque virage, chaque tournant. Moi qui ai tant aim� ce m�tier, je l'aime encore plus gr�ce � vous et c'est aussi gr�ce � des hommes comme Benchicou que le journalisme alg�rien se portera bien. Je vous salue et bon courage et toute mon affection � Mohamed Benchicou.�