Par Badre�Eddine Mili Les mouvements contestataires qui ont r�ussi, en 2011, � modifier la carte politique du monde arabe avaient surpris et �tonn� les acteurs traditionnels et les analystes, autant par leur caract�re populaire consensuel que par leur ind�pendance vis-�-vis des partis, avant d��tre contrari�s et r�gul�s, au nom de la raison d�Etat et des �quilibres r�gionaux, par le biais du jeu l�galiste des �lections et de l�action souterraine des grandes puissances �trang�res. Toutes les classes sociales oppos�es aux r�gimes en place, y compris les classes moyennes et m�me la bourgeoisie nationale anti-compradore, en particulier en Egypte o� la tradition capitaliste remonte � Mehmet Ali, s�y sont fondues, en compagnie de toutes les chapelles religieuses et des forces porteuses de projets de soci�t�, apparemment antinomiques, mais r�unies, par l��v�nement, derri�re des drapeaux multicolores, des portraits de r�volutionnaires et des milliers de dazibaos rafra�chis aux couleurs de Facebook, YouTube et Twitter, autour d�une revendication fondamentale commune : la fin de la dictature et de l�autoritarisme liberticide. Un an apr�s, ces mouvements ont engendr�, dans certains pays, des alliances qui ont conduit � la mise en place de gouvernements de coalition entre formations islamistes et formations de gauche, � l�issue d��lections libres exemplaires. Bien que certains protagonistes aient qualifi� ce type de d�nouement de tentative de d�voiement et de confiscation, il n�en demeure pas moins qu�il pose des questions qui m�ritent un examen sans parti pris. S�agit-il, l�, d�un rapprochement dict� par une tendance politico-civilisationnelle lourde r�pondant � une prise de conscience et � une demande sociale arriv�e � maturation ? Ou bien, en revanche, ne sommes-nous, l�, qu�en pr�sence d�un effet de conjoncture qui sert des approches politiciennes tactiques cachant des strat�gies inavouables ? Dans l��tat actuel des choses, il est difficile de r�pondre � ces interrogations par l�affirmative et ou par la n�gative tant le ph�nom�ne n�a pas encore rev�tu le caract�re d�une r�gle g�n�rale et que les exemples survenus sont particuliers et diff�renci�s par l�in�galit� des �quations �conomiques et historico-culturelles propres � chaque pays. Dans tous les cas, cet �tat de fait in�dit pousse les observateurs objectifs que nous sommes � aller en chercher les raisons, loin dans l�Histoire et plus en profondeur dans les structures mat�rielles et mentales des soci�t�s r�elles. Il nous conduit � aller plus en avant dans le questionnement du pass� et du pr�sent qu�il sugg�re et � exposer, en toute objectivit�, les termes dans lesquels il est formul� aussi bien pour la gauche la�que que pour l�islamisme qui se sont bien connus et souvent combattus depuis pr�s d�un si�cle. Pour avoir accept� de faire partie d�un m�me gouvernement et conclu ce mariage de la carpe et du lapin, il aurait fallu que l�un et l�autre aient r�ussi � faire bouger les lignes rouges qui les s�paraient. L�islamisme est-il parvenu � un stade d��volution suffisamment avanc� pour int�grer les exigences de la modernit� dans sa repr�sentation de l�individu et du monde et pour renouer avec l�esprit scientifique d�Ibn Rochd et d�Ibn Khaldoun qui fit la gloire de la civilisation musulmane au lieu de chercher, vainement, � ressusciter les vieux d�mons du salafisme n�gateur des libert�s ? Et de son c�t�, la gauche la�que estelle, d�sormais, pr�te � admettre que l�islam est une constante intransgressible de l�authropologie des soci�t�s musulmanes qui transcende ce que des historiens appellent �les parenth�ses du colonialisme et de la fausse la�cit� des syst�mes autoritaristes corrompus qui lui ont succ�d� au nom du nationalisme�. Les �lites de l�un et de l�autre p�le auraient-elles, ainsi, d�bouch�, comme le disait Raymond Aron, � un point de convergence contre les dictatures, tel qu�il leur permettrait d�imaginer, de concert, des voies de sortie de la crise politico-civilisationnelle � laquelle les peuples arabomusulmans sont confront�s depuis la chute de l�Empire ottoman ? Et qu�au-del� des calculs politiciens �troits et de la tentation de la composition et du compromis li�s au court terme, seraient-elles pr�tes � concevoir, ensemble, derri�re leur forte aspiration au changement et sans interf�rence ext�rieure, un projet de gouvernance d�mocratique en rupture avec l�ordre ancien ? A premi�re vue et connaissant les pr�jug�s et les m�fiances tenaces qui persistent chez les uns et les autres, pareil challenge s�apparenterait � une gageure et � un d�fi difficilement surmontables. Pourtant, l� o� le changement est intervenu, sous une forme violente ou habilement g�r� par le pouvoir s�culier, des pas importants ont �t� accomplis susceptibles d��tre pass�s au sas de l�investigation scientifique, compte tenu de leur potentiel d�influence sur le cours des �v�nements � venir. Pour d�fricher un terrain qui pourrait r�server, ult�rieurement, bien des surprises, c�est autant aux ressources de la sociologie et de l�anthropologie qu�� celles de la science politique et de l�histoire qu�il faudrait avoir recours. Si l�on reconstitue, de ce point de vue, les principales �tapes de la gen�se et du parcours des formations de gauche et des formations islamistes tels qu�ils se sont produits dans le monde arabo-musulman, tout au long du si�cle pr�c�dent, que d�couvrons-nous ? En v�rit� beaucoup de donn�es connues mais tomb�es dans un oubli qu�il faut s�empresser de d�poussi�rer pour bien comprendre les situations qui nous interpellent aujourd�hui. 1 - La gauche est une r�alit� politique tr�s ancienne de l�histoire des pays arabo-musulmans. Elle est apparue, au plus fort de l�occupation coloniale et des protectorats, et fut la r�sultante des luttes nationales et sociales tr�s rudes que la paysannerie pauvre, la classe ouvri�re et le sousprol�tariat ont men� contre le pacte colonial et l��conomie de traite ainsi que contre la f�odalit� et la bourgeoisie compradore alli�es au colonialisme et � l�imp�rialisme occidentaux. Cette gauche, constitu�e de partis communistes ou de partis progressistes, activant sous diff�rentes appellations, s�implanta l� o� les conditions l�avaient permis, dans des pays connus pour l�anciennet� de leur capitalisme manufacturier comme l�Egypte, l�Iran et l�Alg�rie ou dans des pays connus pour �tre d�importants comptoirs commerciaux comme le Liban, la Syrie, la Palestine, le Y�men du Sud et la Tunisie auxquels il faut ajouter des pays occupant des positions charni�res dans la g�ostrat�gie mondiale tels que le Soudan, l�Afghanistan et l�Indon�sie. Alli�s de l�Union sovi�tique, ces partis prirent part, � des degr�s divers, au combat anticolonial, puis � l�instauration du socialisme, apr�s l�ind�pendance, et ce, � l�int�rieur ou � la p�riph�rie des pouvoirs dirig�s, en g�n�ral, par les partis nationalistes. Certains d�entre eux avaient, en effet, fait partie de coalitions gouvernementales, notamment en Irak sous la pr�sidence du g�n�ral Hassan El-Bakr aux c�t�s du parti Ba�th et du Parti populaire kurde ; en Syrie, le parti de Khaled Baghdache soutenait le triumviral marxisant d�El-Atassi, Zouayen et Makhos et en Indon�sie, les communistes activaient sous la protection de Soekarno, �vinc�, � cause de cela, en 1965, par le g�n�ral Suharto. Au Y�men du Sud, les marxistes ont �t� jusqu�� prendre la t�te du gouvernement, � part enti�re, sous la direction de Abdelfattah Isma�l avec le m�me appui que le Kremlin consentira plus tard au parti de Babrak Karmel pour s�installer aux commandes de l�Afghanistan. Le PAGS, successeur du PCA interdit en 1964 par le pr�sident Ahmed Ben Bella, pr�conisait, lui, le soutien critique au gouvernement du pr�sident Houari Boumediene qui l�avait tenu en suspicion jusqu�au lancement des trois r�volutions, � partir de 1972. Le FPLP de Georges Habache et le FDLP de Nayef Hawatmah occupa aux c�t�s du Fatah de Yasser Arafat une place d�avant-garde dans le combat contre Isra�l, notamment apr�s Septembre noir, quant au Liban, le parti communiste dirig� par El-Hawi, assassin� ces derni�res ann�es, juste apr�s le Premier ministre El-Hariri, joua longtemps le r�le d�une force populaire anti-sioniste aux c�t�s du Parti progressiste de Kamel Djoumblat � l�instar du Parti de la libert� et du socialisme de Ali Yata, tol�r� par le Makhzen marocain en raison de la force de sa base ouvri�re structur�e au sein de l�UMT de Ben Mahjoub. Le PC tunisien, traqu� par le N�o- Destour, n�eut, quant � lui, de r�pit, dans la clandestinit�, que pendant la br�ve exp�rience socialiste tent�e par Ahmed Ben Salah, l�omnipotent ministre de l�Economie des ann�es 1970, vite limog� par le pr�sident Bourguiba pour crime de l�se-majest� id�ologique. Le Parti communiste soudanais accus� de complot par le g�n�ral Nume�ry fut, pour sa part, lamin�, malgr� sa toute-puissance organique et populaire et ses dirigeants pendus apr�s avoir �t� livr�s par la Libye du colonel Khadhafi o� ils avaient cru pouvoir trouver refuge. La force de ces partis r�sidait dans l�entrisme de leurs �lites dont ils avaient fait un moyen de pression efficace en s�appuyant sur les milieux intellectuels, syndicaux et m�diatiques et bien entendu sur la proximit� qu�ils entretenaient avec le camp socialiste et le Kominform qui les faisaient balancer entre l�all�geance due � l�internationalisme et les positionnement nationaux qu�ils s�effor�aient de prendre dans leurs pays respectifs pour marquer leur relatif ancrage, d�o� de fr�quents conflits avec les pouvoirs en place qui se terminaient, souvent, par la r�pression et les massacres comme ce fut le cas pour le Parti communiste indon�sien r�duit � n�ant et pour le Toudeh, le Parti communiste iranien, d�clencheur de la r�volution contre le Shah et victime expiatoire de l�ayatollah Khomeiny, une fois install� � la t�te de la r�publique islamique. L� infitah, le bazar du lib�ralisme sauvage, confort� par le triomphe de la r�volution en Iran, l�essor du wahhabisme saoudien et de la d�faite de l�Union sovi�tique en Afghanistan, sonna le glas de la gauche dans le monde arabo-musulman pour c�der le pas � une autre configuration sociopolitique, au sein de laquelle les mouvements religieux allaient occuper une place de plus en plus visible, parfois combattus, parfois instrumentalis�s selon les int�r�ts du moment. 2 - L�islamisme, comme id�ologie et syst�me de gouvernance communautaire o� le pouvoir temporel ob�it aux exigences du dogme religieux n�est, certes, pas n� d�hier. Il est contemporain du khalifat instaur� � la mort du Proph�te. Apr�s le rayonnement universel que l�islam connut, vinrent les p�riodes de l� inhitat,de la chute de la Sublime Porte, de la colonisation, des protectorats et du reflux qui le r�duisirent � la r�pression et � la clandestinit� jusqu�� la Nahda qui lui insuffla une nouvelle �me gr�ce � l��uvre r�formatrice titanesque sign�e par Mohamed Abdou, El- Afghani, Rachid R�dha, Chakib Arslane, Ali Djinah et Abdelhamid Ben Badis, lesquels avait pris la mesure des d�fis auxquels faisaient face les peuples d�Orient allant jusqu�� instaurer un dialogue avec l�Eglise catholique � travers ses �pigones les plus �clair�s et les plus ouverts, saint Augustin et saint Thomas d�Aquin. Ils partirent en guerre contre les atavismes, le charlatanisme et l�interpr�tation tendancieuse de la r�volution et remirent au go�t du jour la qu�te du savoir et de la science, de la m�me fa�on que le Japon du Meiji, la Chine de Sun Yat Sen et l�Inde du Mahatma Ghandi marqu�rent la rupture avec les sch�mes de la pens�e traditionnelle impuissante � fournir les moyens de l��mancipation et donn�rent le d�part � des r�volutions qui, tout en empruntant � l�Occident ses r�f�rents technologiques et sa d�mocratie, s�employ�rent � moderniser leur syst�me d��ducation sans renoncer � l�essentiel de leur identit� civilisationnelle. Malheureusement, l� o� ces r�surrections des peuples d�Orient ont arrach� leur visa pour le d�veloppement, parfois au prix de tr�s lourds sacrifices humains et mat�riels consentis dans des guerres injustes, la Nahda buta sur la r�sistance des pesanteurs de la scolastique et de la tradition qui firent capoter le mouvement r�formiste musulman dont le seul gain collat�ral fut la division du sous-continent indien et l��mergence � la fin des ann�es 1940 du Pakistan de Ali Djinah en tant qu�Etat islamique ind�pendant, �ternel adversaire de l�hindouisme. Aux lieu et place de ce mouvement, commenc�rent � appara�tre des organisations dont la principale revendication fut l��tablissement d�un ordre moral rigoriste et l�application de la charia�. Ils se donn�rent le nom de Fr�res musulmans et un chef, particuli�rement charismatique, Hassan El-Banna. C��tait en Egypte, quelques ann�es avant la r�volution des Officiers libres de 1952. Leur fait d�armes le plus notoire fut l�incendie des cin�mas du Caire dirig�, non contre le protectorat britannique d�cri� par Sa�d Zaghloul, mais contre la vie dissolue du roi Farouk et de sa cour. La d�position de celui-ci par le mouvement de Nasser mit un terme brutal � l�organisation �t�t�e de son leader, pendu pour l�exemple. La purge laissa des traces ind�l�biles aussi bien dans les rangs de la formation islamiste que dans la m�moire collective de la soci�t� �gyptienne de la m�me fa�on que les massacres de Hama perp�tr�s, lors d�une nuit des longs couteaux tr�s meurtri�re, par les milices paramilitaires du Ba�th syrien de Hafez El-Assad intronis� par un coup d�Etat. L�accalmie ne fut que de courte dur�e puisque, tour � tour, le Soudan o� Sadek El-Mahdi et Tourabi mont�rent au cr�neau, aid�s en sous-main par l�arm�e, apr�s l�extermination des communistes et l�Afghanistan tomb� sous le contr�le de Masoud et de Heykmetyar qui, apr�s la d�route des troupes sovi�tiques, replac�rent sur orbite l�islamisme d�sormais organis� en Internationale. L�arriv�e sur la sc�ne de Ben Laden acheva de doter celle-ci de moyens financiers colossaux qui lui permirent de cr�er El-Qa�da, de ma�triser les technologies de communication les plus sophistiqu�es et d�en faire un usage syst�matique, en particulier sur Internet. La suite est connue : le mouvement surgit en Palestine avec le Hamas et Cheikh Yassine en Tunisie avec Ennahda et Ghanouchi, en Alg�rie avec le FIS et Abassi Madani, au Y�men avec Ezzendani, au Maroc avec le Parti de la justice. Ces partis connurent des fortunes diverses selon qu�ils agirent pacifiquement ou en utilisant la violence. Interdits pour les uns, r�duits � la clandestinit� ou int�gr�s dans le jeu politique pour d�autres, ils emprunt�rent un profil bas au lendemain de l�attentat du 11 septembre 2001 et des guerres du Golfe, d�Afghanistan et d�Irak jusqu�� ces fameux 14 et 25 janvier 2011 qui �branl�rent le monde et au cours desquels ils prirent le train en marche. En apparence seulement, car en r�alit�, leur victoire aux �lections l�gislatives de Tunisie, du Maroc, d�Egypte, celles d�avant, en Palestine occup�e qui consacr�rent le Hamas de Macha�l et de Hanya, et celles attendues, selon toute vraisemblance, en Libye, au Y�men et en Syrie, sans m�sestimer les acquis d�j� obtenus en Jordanie, au Kowe�t et sans parler des avanc�es op�r�es en Indon�sie, au Nigeria et m�me en Malaisie, un pays �mergent qui a r�ussi sa mue sous l�empire de la charia�, leur victoire, dis-je, appara�t plut�t comme le fruit d�un travail long et patient, op�r� dans une soci�t� r�elle, encadr� par une �cole et des m�dias islamis�s et aussi gr�ce � des fonds immenses lev�s en Arabie Saoudite, au Qatar et dans la diaspora. Le triomphe obtenu � la r�guli�re � plus de 65% en Egypte, salafistes compris, et � la majorit� relative en Tunisie et au Maroc, ouvre la voie royale � l��tablissement d�une sorte de d�mocratie islamique quasi comparable � la d�mocratie chr�tienne qui r�gna apr�s la Seconde Guerre mondiale sur l�Europe avec le RPF du g�n�ral De Gaulle, la CDU de Konrad Adenauer et de la D�mocratie chr�tienne italienne. Et d�j�, l�AKP de Turquie, l�ancien membre du Pacte de Bagdad, l�ex- Cento, appendice de l�Otan, pr�sent�e comme respectueuse des �quilibres internes globaux, est d�sign�e, de facto, par ses supporters europ�ens et am�ricains, comme le mod�le � suivre. La ceinture verte de Zbigniew Brezinski pourra, ainsi, �tre boucl�e. Un seul maillon y manquera : l�Iran difficile � g�rer avec ses ambitions nucl�aires. Dans l�id�e des partisans de cette th�orie, la parenth�se du colonialisme et de la fausse la�cit� des pouvoirs nationalistes sera, de cette fa�on, referm�e, comme le fut la parenth�se communiste en Russie et en Europe de l�Est et le retour � la A�ala, l�authenticit� des soci�t�s arabo-musulmanes sera assur�e dans un monde globalis� qui tend � devenir plus asiocentriste qu�occidentalocentriste. Alors, que vient faire ici l�alliance entre des partis de gauche et des partis islamistes en Tunisie et au Maroc ? A quelle r�alit� et � quelle demande r�pond-elle ? Des tentatives doctrinales et politiques abondant dans ce sens ont vu le jour en Union sovi�tique dans les ann�es 20 et en Alg�rie dans les ann�es 30 et 90 du si�cle dernier. En Union sovi�tique, Sultan Galiev, un transfuge de l�Asie musulmane, nomm� secr�taire aux nationalit�s par L�nine, entreprit d��laborer une synth�se entre l�islam et le communisme, �une h�r�sie� sanctionn�e rapidement par une sentence d�ex�cution command�e � la police politique par Staline. Le Congr�s musulman convoqu� en 1936 � Alger par la coalition form�e par les nationalistes, les ul�mistes et les communistes contre le colonialisme c�l�brant sa gloire, quelque temps auparavant, lors du Centenaire, pr�figura ce que le FLN sera plus tard, plus exactement � partir de 1956 ; un pr�c�dent qui inspira, sans doute, les partis co-signataires de la d�claration de Sant'Egidio r�unissant le FIS, Nahda, le FLN, le FFS et le PT, au lendemain de l�annulation du processus �lectoral du 26 d�cembre 1991. Que peut-on conclure de tous les d�veloppements qui pr�c�dent et sur quelle projection peut-on les prolonger ? La r�apparition de la gauche et des syndicats, plus actifs sur la sc�ne politique maghr�bine et dans une moindre mesure au Machreck, bien que minoritaire, �miett�e et �lim�e, apr�s une tr�s longue clandestinit�, a-t-elle, avec ses �lites, encore un r�le � jouer dans l�orientation de la soci�t� ? Certains commentateurs politiques arguent que l�entr�e du CPR (le Congr�s pour la R�publique) de Merzouki et du Takatoul dans le gouvernement du parti Ennahda n�est qu�un moyen d�emp�cher celui-ci d�appliquer son programme dans un pays o� la soci�t� attache une grande importance � la question de la femme, aux droits de l�homme, � la libert� d�expression, au progr�s social et � l�alternance d�mocratique. Le palais royal marocain partagerait, aux yeux de ces commentateurs, la m�me pr�occupation en encourageant le Parti progressiste et social, h�ritier de l�ex-PC marocain, dirig� par Nabil Benabdallah et le Mouvement populaire amazigh � entrer dans le cabinet de AbdeliIllah Benkirane, le leader du Parti de la justice et du d�veloppement, vainqueur des �lections. �Le compromis historique� aurait-il des chances d��tre pass� malgr� ces arri�re-pens�es ? Les Fr�res musulmans �gyptiens g�n�s par la perc�e salafiste voudraient bien aller vers la soci�t� civile et ouvrir leur prochain gouvernement aux �lites repr�sentatives pour donner des gages aussi bien aux jeunes initiateurs de la r�volution qu�aux puissances occidentales. Encore faut-il que le Bloc de la r�volution continue et que le Mouvement du 6 Avril, Al-Karama des Nass�riens, le Wafd et le Parti des Egyptiens libres le veuillent bien. Le spectre politique qui se profile � l�horizon du Y�men et de la Syrie augure de la m�me tendance. Reste la Libye qui n�a pas encore sold� ses comptes avec l�ancien r�gime et tra�ne un d�ficit institutionnel tel qu�il lui faudra davantage de temps pour stabiliser les rapports de forces et former, l� aussi, une alliance islamo-technocratique capable de diriger le pays sans heurter les puissances qui l�ont aid� � se d�barrasser de l�ancien pouvoir, un vice de fond dont les thouwar libyens tentent, aujourd�hui, avec grand fracas de se d�barrasser. Est-ce pour autant la fin des luttes politiques et sociales ? Pas si s�r, r�pond Samir Amine, l��conomiste �gyptien qui pense que �les �lections de ces derni�res semaines avaient pour but de r�cup�rer la r�volution et que le combat pour le triomphe final du mouvement r�volutionnaire qui d�boulonna Hosni Moubarek est loin d�avoir cess�. Dans cette violente temp�te qui a emport� quatre r�gimes, l�Alg�rie constitue-t-elle une exception ainsi que le pr�tendent des ex�g�tes politiques ? Ou bien conna�tra-t-elle le m�me sort que ses voisins, par l�effet de la contagion. Oui et non si l�on en croit les uns et les autres. Oui, parce qu�elle r�unit les m�mes ingr�dients socio�conomiques et historiques qui ont provoqu� le raz-de-mar�e arabe. Le tableau des disparit�s sociales aggrav� par la corruption, l��conomie informelle, l�effritement de l�Etat, l�accumulation des d�ficits en droits humains, le ch�mage, la crise du logement, la r�pression malgr� la lev�e de l��tat d�urgence r�unit, selon les pessimistes, toutes les conditions pour d�clencher un mouvement semblable � ceux qui l�ont pr�c�d� ailleurs. Non, r�pondent les optimistes, l�Alg�rie n�a pas � suivre de mod�le, elle constitue, elle-m�me, un mod�le fort de sa R�volution du 1er-Novembre, de ses ressources naturelles, de ses infrastructures, de ses revenus, de ses �lites, de sa communaut� � l��tranger et de son arm�e r�publicaine garante de l�unit� de la nation. Ses islamistes partagent les pouvoirs ex�cutif et l�gislatif depuis 20 ans et s�appr�teraient, m�me, sous r�serve d�un scrutin libre et transparent, � conduire une majorit� avec le concours d�autres forces repr�sentatives de la soci�t� r�elle, assur�s qu�ils sont d�un �lectorat soud� et disciplin� et, naturellement, d�un r�seau tr�s ramifi� de bailleurs de fonds. Qui dit vrai ? Qui dit faux ? Les tout prochains mois livreront les premiers �l�ments de r�ponse � cette interrogation, lors de ce qui est jug� comme le test de la derni�re chance, m�me si les plus sceptiques pensent que ces �lections sont un trompe-l��il destin� � calmer les ardeurs de l�opposition et � isoler les facteurs de d�flagration sociale. Une mobilisation cons�quente de l��lectorat sauverait la mise des r�formes et devrait inciter les successeurs de l�actuel gouvernement � travailler, dans le respect d�une charte des libert�s, � l�accession rapide des �lites au pouvoir r�el, quelles que soient leur origine sociale, leur formation et leur ob�dience id�ologique. A d�faut, la soci�t� alg�rienne ira droit vers l�inconnu ; un inconnu gros de tous les dangers. N�anmoins, ne tirons pour l�heure des plans sur la com�te, tant il est vrai que l�Histoire ne se forge pas � coups de supputations. Marx avait pr�vu la r�volution prol�tarienne en Allemagne dont les caract�ristiques r�pondaient � tous les crit�res requis. Elle a eu lieu en Russie pr�- capitaliste et en Chine f�odale qui n�en r�unissaient que tr�s peu. Comme quoi nul n�est proph�te en son pays.