Par Nour-Eddine Boukrouh [email protected] Dans une de mes derni�res contributions parues dans ces m�mes colonnes (23-26 janvier), je disais que l�islamisme arriv� au pouvoir par l�alchimie des r�volutions arabes, et qui laisse entendre qu�il va r�ussir chez lui comme l�AKP en Turquie, a en fait peu de chances de r��diter cette r�ussite car il n�a pas �t�, comme lui, soumis depuis sa naissance et des d�cennies durant � deux limites entre lesquelles il �tait oblig� d��voluer sans possibilit� de les transgresser : la la�cit� inscrite dans la Constitution, et les pr�-requis n�cessit�s par la perspective d�int�grer l�Union europ�enne. Ces deux contraintes qui, � la longue, ont fa�onn� sa nature et lui ont servi de garde-fou, se sont av�r�es fructueuses et salutaires puisqu�elles lui ont permis de gouverner sans interruption pendant douze ans. Il manque � l�islamisme arabe un autre atout : l�anciennet� et l�exp�rience de l�AKP qui n�a gouvern� seul qu�apr�s quarante ans de cohabitation au parlement et au gouvernement avec d�autres forces, et apr�s avoir dirig� de grandes agglom�rations comme Ankara et Istanbul dont l�actuel Premier ministre a �t� le maire pendant des ann�es. C�est dans ces fonctions �lectives que les cadres de l�AKP ont fait leur apprentissage de la gestion de l�Etat. En op�rant un recul dans l�histoire, on remarque que ces deux contraintes �taient pr�sentes dans l�Alg�rie coloniale. Au sein du Mouvement national qui s��tait form� pour combattre le colonialisme, il y avait une composante islamique, l�Association des oul�mas alg�riens. Invoquant le principe de la s�paration du culte et de l�Etat, elle a revendiqu� pendant des d�cennies son application au culte musulman afin d�en prendre la charge, et r�ussit � quadriller le pays avec un r�seau de plusieurs centaines d��tablissements d�enseignement libre. Vivant sous le r�gime de la la�cit� qu�ils voulaient tourner � leur avantage, les oul�mas accomplissaient leur mission sociale et �ducative tout en r�fl�chissant � l�avenir, au jour o� l�Alg�rie recouvrerait sa souverainet�. Comme s�il avait devin� l�usage qui pourrait �tre fait de la religion dans le domaine politique, Ben Badis avait donn� pour devise � son journal ( Al-Mountaqid) : �La v�rit� au-dessus de tous, la patrie avant tout�. C��tait en 1924. Quel journal islamiste de par le monde afficherait une telle devise aujourd�hui ? Et comme s�il s��tait repr�sent� ce qu�allait �tre cet avenir � celui que vit l�Alg�rie depuis que l�islamisme charlatanesque s�est abattu sur elle �, il avait �crit dans le Manifeste doctrinal de l�Association des oul�masen 1937 : �L�islam honore et glorifie la raison et recommande de baser tous les actes de la vie sur l�usage de la r�flexion� Il propage sa doctrine par l�argumentation rationnelle et la persuasion, non par la ruse et la contrainte� Son r�gime est essentiellement d�mocratique et n�admet point d�absolutisme, m�me au profit de l�homme le plus juste.� Dans les madrassas ouvertes par l�Association, on enseignait les m�mes mati�res que celles dispens�es dans les �coles fran�aises en dehors de l�arabe et des cours religieux. J�ai �t� �l�ve pendant plusieurs ann�es dans l�une d�elles � El- Biar dans les ann�es cinquante. Elle portait le nom de Madrassat at-Tahdib et �tait dirig�e par un personnage � l�allure martiale dont j�ai oubli� le pr�nom mais gard� le nom : M. Foudhala. La mixit� �tait quelque chose de naturel puisque j�y allais avec mes s�urs. Les ma�tres s�habillaient selon leurs moyens, le directeur �tait toujours impeccablement mis, avec costumecravate, et il n�y avait ni qamis, ni calotte blanche ou rouge, ni barbe, bien ou mal taill�e, ni claquettes aux pieds. On n�avait jamais vu ou entendu parler de hidjab ou de niqab, et encore moins de tenue afghane. Il faut dire que Kaboul n�avait pas encore ravi sa place � Paris dans le �chic f�minin�. Dehors, les femmes mettaient le ha�k, mais pas les jeunes filles. A l�int�rieur du pays, on ne savait pratiquement pas ce que c��tait. Les Alg�riens vivaient � l��cart des Europ�ens, entre eux, selon leurs coutumes locales et leurs traditions religieuses. Dans cette soci�t� pauvre, indiff�renci�e socialement mais solidaire et fraternelle, les oul�mas, les imams et les hadjis occupaient une place prestigieuse. Ils �taient regard�s comme les guides moraux du peuple sans qu�ils cherchent � lui imposer une quelconque tutelle ou � s��riger en directeurs de conscience. Ils ne se posaient pas en guides, c�est la consid�ration morale dont ils �taient entour�s qui les faisait passer pour tels parce qu�ils �taient ouverts d�esprit et donnaient le bon exemple. Il existait dans les villes des lieux mal fam�s, dans la haute et basse Casbah notamment, il y avait des d�bits de boissons alcoolis�es, le kif se vendait � la sauvette, et si ces march�s existaient et florissaient, c�est parce que les consommateurs et les habitu�s des lieux �taient musulmans, les Europ�ens ayant leur propre monde. Les imams et les sages du quartier leur faisaient la morale quelquefois, � l�approche du Ramadan et des f�tes religieuses, ou alors ils �taient fl�tris par quelque juron lanc� � leur face quand ils se livraient � un affront en public. Tout le monde, au fond, s�apitoyait sur eux plus qu�il ne les bl�mait. On ne connaissait pas la promptitude � excommunier, les vocif�rations et les anath�mes, m�me envers les ivrognes, les personnes de mauvaise vie, ou ceux et celles qui s��taient compl�tement �francis�s �. Il r�gnait une tol�rance naturelle, g�n�reuse et bonhomme, sans tendre � la connivence ou verser dans la permissivit�. Au contraire, la soci�t� secourait les d�viants au lieu de les juger et de les condamner. Toute seule, sans avoir un Etat ou l�argent du p�trole. Chacun menait son existence, droite ou zigzagante, selon son bon vouloir mais dans le respect des codes sociaux. En lisant Lebbe�k de Bennabi ou Ce que le jour doit � la nuitde Khadra, on retrouve un peu de cette ambiance. Il y avait beaucoup d��me, de philosophie et de mis�ricorde dans les rapports humains. Que l�on fut pieux ou d�vergond�, il fallait juste respecter les usages, les formes et les convenances. Il ne pouvait pas venir � l�esprit de quelqu�un d�accoster un autre pour l�inciter � aller � la mosqu�e, l�interroger sur sa tenue, celle de sa femme ou de sa s�ur, ou pour lui demander s�il je�nait ou non. Personne ne surveillait personne alors qu�on �tait en pleine guerre et que la d�lation �tait redout�e. Cette ambiance de tol�rance s��tendait aux Europ�ens et aux juifs. Dans les grandes villes, il existait entre les trois communaut�s un climat d��mulation, et les plus d�favoris�s �conomiquement et politiquement � les Alg�riens � �taient ceux qui avaient le plus � c�ur d��tre � la hauteur, peut-�tre parce qu�on tenait � les faire rentrer de force dans les clich�s de �fanatiques � et d��arri�r�s�. Malgr� la modestie des moyens, ils avaient leur tenue du dimanche et ciraient leurs chaussures pour sortir se promener ce jour-l� ou aller faire une partie de dominos ou de ronda. Qui met un costume le vendredi, aujourd�hui ? Combien sont ceux qui poss�dent chez eux une brosse et du cirage ? On s�est d�barrass� de ce souci avant m�me l�apparition du qamiset des claquettes. Le 5 ao�t 1934, des affrontements d�une grande violence �clatent entre Alg�riens et juifs � Constantine o� un Isra�lite �m�ch� avait urin� contre le mur d�une mosqu�e, avant de s��tendre � d�autres villes. Ils se solderont par une vingtaine de morts de part et d�autre. Les oul�mas, Ben Badis en t�te, ont d�ploy� pendant ces �v�nements toute leur �nergie pour les faire cesser. Bennabi, qui se trouvait � T�bessa, apporte dans ses M�moires ce t�moignage : �Nous nous oppos�mes � T�bessa � ce que la minorit� juive subisse le moindre dommage. La nuit, nous faisions m�me une garde sous le balcon d�un certain Moraly que nous pensions �tre le plus susceptible d�attirer une vendetta. L�imam de la ville fut sublime, rassurant jusqu�� sa porte un malheureux juif attaqu� par un voyou� Le cheikh Ben Badis fut durant ces p�nibles �v�nements d�un grand courage et d�une parfaire dignit�.� Quel savantissime cheikh, quelle figure intellectuelle arabe ou musulmane ferait aujourd�hui barrage de son corps pour prot�ger les chr�tiens d��gypte ou d�Irak ? Je n�ose pas parler de juifs. C�est dire s�il faisait bon vivre dans les r�duits laiss�s par l�occupation fran�aise aux Alg�riens. Il y avait l�islam, sans l�islamisme, il y avait la foi et la joie de vivre en m�me temps, tout le monde �tait musulman, mais personne n��tait islamiste. En comparaison avec la terreur apparue dans le sillage de l�islamisme depuis deux d�cennies, c��tait l��ge d�or, un �ge que ce pays ne retrouvera peut-�tre jamais. Il en allait de m�me en Tunisie, au Maroc, en Libye et en �gypte. Il n�y a qu�� voir les films en noir et blanc de l��poque. Notre pays est l�un des rares au monde � ne pas abriter de minorit�s religieuses ou ethniques. Que serait-il advenu d�elles pendant la d�cennie noire ? L�islamisme a introduit dans la soci�t� alg�rienne la suspicion, la d�shumanisation des rapports, la laideur, la haine et la mort. Il a cr�� l�ennemi intime, l�ennemi invisible qui s�insinue dans les familles, les quartiers, les lieux de travail et les hameaux. Les dommages apport�s � l�islam et aux Alg�riens par l�islamisme sont plus grands et plus graves que ceux que leur a caus�s le colonialisme. En pr�s d�un si�cle et demi, celui-ci n�a pas r�ussi � diviser les Alg�riens ou � les conduire � s�entretuer. L�islamisme � r�ussi � le faire en � peine quelques ann�es. Il les a divis�s intellectuellement et politiquement en deux : les musulmans de toujours et les musulmans islamistes. Il a �radiqu� une partie de l��lite, des fr�res sont devenus ennemis, des familles se sont disloqu�es, les voisins sont devenus suspects les uns aux autres, et les quartiers ont perdu leur solidarit�. Sans possibilit� de se s�parer ou d�aller se refaire ailleurs. Il est la cause directe ou indirecte de centaines de milliers de morts. C�est un bilan de guerre, d�une grande guerre dont les s�quelles dureront longtemps. C�est que l�ennemi intime est plus probl�matique que l�ennemi �tranger. L��tranger peut partir, il a o� aller, mais pas le compatriote, le voisin ou le fr�re. Contre le colonialisme, les choses �taient claires. La ligne de d�marcation �tait connue, visible, �vidente, et les adversaires bien camp�s dans leurs r�les respectifs. En cas de conflit, chacun savait ce qu�il aurait � faire et que l�affaire finirait par se r�gler d�une fa�on ou d�une autre. Sept ans ont suffi pour que l�envahisseur retourne d�o� il est venu. Apr�s vingt ans de tueries, le terrorisme islamiste s�vit toujours. Ce sera peut�tre pour cent ans, comme dans les guerres de religion connues par l�Occident au Moyen-�ge. L�islam maghr�bin �tait ouvert, tol�rant, civilis�, pacifique, jusqu�� l�arriv�e de l�islamisme radical import� d��gypte, du Pakistan et d�Afghanistan � partir des ann�es 1970. De tous les pays arabo-musulmans, nous sommes celui qui a pay� le plus lourd tribut � cette importation qui, m�lang�e au populisme et au nihilisme locaux, a donn� un islamisme de bas �tage, haineux et violent. Les principaux promoteurs intellectuels de cet islamisme sont l�Egyptien Sayyed Qotb et le Pakistanais Mawdudi. Le pronostic vital de leurs pays respectifs est aujourd�hui engag� de leur fait. C�est l�effet boomerang ou, comme dirait Bennabi, �la n�m�sis des id�es trahies�. Ben Badis a �t� l�une des rares personnalit�s religieuses du monde musulman � approuver le projet d�abolition du califat par Mustapha Kemal en 1924. Il a �crit � la veille de cette d�cision : �Le jour o� les Turcs aboliront le califat, ils n�auront pas aboli le califat au sens islamique du terme, mais un r�gime de gouvernement qui leur est propre. Ils ont liquid� un symbole sans consistance qui a �t� une source de fitna absurde entre les musulmans� Le mythe du califat ne deviendra pas r�alit�, les musulmans finiront par s�aligner sur ce point de vue.� (Cf. Penseurs maghr�bins contemporains, Horizons maghr�bins, Ed. C�r�s, Tunis, 1997). Ce faisant, le cheikh s��tait mis en porte-�-faux avec les positions prises par Rachid R�dha et l�universit� islamique d�Al-Azhar qui �taient rest�s attach�s � l�id�e de restaurer le califat. Il soutiendra �galement Ali Abderrazik quand celui-ci essuiera les foudres des oul�mas �gyptiens pour avoir publi� en 1925 son fameux livre L�islam et les fondements du pouvoir. C�est dans cette effervescence (1924- 1928) que sont n�s en Inde le mouvement Jamaat at-tabligh (Groupes de pr�dication) et en �gypte le mouvement des Fr�res musulmans. Ben Badis ne voyait le califat qu�assum� par une structure coll�giale r�unissant sunnites et chiites qui assumerait des fonctions purement morales et religieuses, les fonctions politiques, sociales et �conomiques restant du ressort des Etats. Il �crit � ce sujet : �Aucune personne n�est autoris�e � prendre la direction des affaires de la oumma sans que celle-ci l�en ait charg�e. � La vision du monde d�velopp�e entre les ann�es vingt et cinquante par nos v�n�rables oul�mas �tait tr�s en avance sur celle que pr�nent aujourd�hui les oul�mas les plus �clair�s et les plus mod�r�s. On s�en rend compte mieux que jamais � la lumi�re de la nouvelle situation du monde arabe : ils �taient dans le vrai et le juste. Quel homme de religion de premier plan se hasarderait aujourd�hui � offrir de partager le califat avec les chiites ? La charte des Fr�res musulmans, r�dig�e par Hassan al-Banna sous le titre Notre Cr�do, stipule en son point 5 : �Je crois ( achhadou anna�) que le musulman a pour devoir de faire revivre la gloire de l�islam en promouvant la renaissance de ses peuples, en restaurant sa l�gislation. Je crois que le drapeau de l�islam doit dominer l�humanit�, et que le devoir de tout musulman consiste � �duquer le monde selon les r�gles de l�islam. Je m�engage � lutter tant que je vivrai pour r�aliser cette mission, et � lui sacrifier tout ce que je poss�de. � �Dominer l�humanit�, ��duquer le monde�, rien moins que �a. Cela ressemble aux tartarinades d�Ahmadinedjad promettant obsessionnellement de rayer Isra�l de la carte alors que ce dernier poss�de depuis les ann�es soixante des centaines de bombes atomiques tout en le niant, m�ne des cyber-attaques contre les centrifugeuses iraniennes dans le plus grand silence, �limine l�un apr�s l�autre les ing�nieurs atomistes iraniens � T�h�ran m�me sans le reconna�tre, et se pr�pare � bombarder les installations nucl�aires iraniennes dans le secret le plus absolu. C�est aussi ce que promettaient de faire Nasser et Saddam devant d�innombrables foules en d�lire avant de conna�tre l�humiliation de la guerre des Six jours et la destruction de l�Irak au terme de la guerre du Golfe. Saddam ne poss�dait m�me pas les armes avec lesquelles il mena�ait de br�ler l�Etat juif. Elle est bien curieuse cette propension des leaders arabo-musulmans � r�v�ler � l�ennemi leurs intentions, et � promettre � l�ennemi plus qu�ils ne peuvent tenir. C�est comme si, travaillant contre leurs propres int�r�ts, ils voulaient donner l�alerte pour que le monde entier se mobilise contre eux et leur inflige d�effroyables dommages. A-t-on jamais entendu leader isra�lien annoncer ses intentions dans un grand meeting ? Isra�l n�annonce pas, il fait. Eux annoncent, mais ne font pas. Allez savoir pourquoi ! L�islamisme arabe et l�islamisme turc ne se ressemblent que de loin. A ce que l�on sache, ce dernier n�a pas tu� pour arriver au pouvoir ; il n�a pas divis� en deux son peuple ; il n�a pas clochardis� la Turquie, ni enlaidi et attrist� sa vie. Il y est arriv� par les voies de la persuasion, de la l�galit�, de la d�mocratie et de la rationalit�. Comme je le disais dans la derni�re s�rie, la la�cit� et le tutorat de l�arm�e l�ont servi plus qu�ils ne l�ont desservi. Au surplus, l�islamisme n�a �t� qu�un juste retour des choses en consid�ration de ce qu�a fait subir Mustapha Kemal � ce pays. �Chassez le naturel, il revient au galop�, dit un adage fran�ais. Ce qui est arriv�, c�est que l�islam � le naturel chass� � est revenu au galop apr�s la mort d�Ataturk. Il l�avait vraiment chass� de la vie des Turcs. Entre 1921 et 1923, il commence par faire adopter par la Grande assembl�e nationale une s�rie de lois constitutionnelles disposant que �la base de l�Etat turc est la souverainet� du peuple� et la Turquie �une d�mocratie parlementaire�. Hostile � l�abolition du califat, l�Assembl�e lui propose de devenir calife, mais il refuse l�offre avec d�dain. Le 3 mars 1924, il lui pr�sente un projet de loi supprimant le califat et imposant la la�cit�. Sous la menace des armes, les d�put�s votent le texte. Ceux qui s�y sont oppos�s, m�me parmi ses anciens compagnons, ont �t� pendus ou fusill�s. Ayant d�sormais les mains libres, il entreprend une t�che que peu d�hommes dans l�Histoire ont os�e : changer l��me d�un peuple, le couper de ses racines spirituelles et historiques, le v�tir d�une identit� qui n�est pas la sienne, lui inculquer autoritairement des gestes et des habitudes �trangers � sa nature. Il abroge la l�gislation ottomane inspir�e de la chari� et la remplace par le code civil suisse, le code p�nal italien, et le code de commerce allemand. Il interdit sous peine d�emprisonnement l�usage des salutations islamiques (salamou ala�koum) et toute expression de la culture arabe (litt�rature, po�sie, musique, danse�). Il promulgue une loi assimilant le port du fez (tarbouche rouge) � un �attentat contre la s�ret� de l�Etat�, remplace le vendredi par dimanche comme jour de repos, et le calendrier arabe par le calendrier europ�en. Il fait fermer les mosqu�es, interdire les livres religieux, coupe toute relation avec les Arabes et se tourne compl�tement vers l�Occident. Il donne une ann�e � la nation pour s�habituer � �crire en caract�res latins la langue turque qui utilisait jusqu�alors les caract�res arabes. Ces transformations radicales sans pr�c�dent furent men�es en moins de quatre ans et se sold�rent par la mort de dizaines de milliers de r�calcitrants. Le remplacement des caract�res arabes par les caract�res latins a rencontr� la compr�hension de Bennabi qui �crira un demi-si�cle plus tard : �Il ne faut pas mettre tous les torts du c�t� turc. La mesure d�abolition peut �tre interpr�t�e comme une r�action passionnelle� Il faut tenir compte d�une conjoncture dramatique dans laquelle la Turquie nouvelle faisait face aux suites du d�membrement de l�Empire ottoman. Or l�historien ne peut pas ne pas tenir compte de la responsabilit� des Arabes dans ce d�membrement qui aboutira, entre autres, � l��tablissement d�Isra�l en Palestine.� ( Les avatars de l�arabisation, in R�volution africainedu 2 juin 1968). Quand Ataturk d�c�de en 1938, Ben Badis lui rend un vibrant hommage : �Mustapha Kemal n��tait pas l�artisan de la renaissance de la seule Turquie. Il fut l�artisan de la renaissance de tout l�Orient musulman, et de ce fait, il modifia le cours de l�histoire et jeta les bases d�une formation nouvelle ; il �tait � juste titre l�un des plus grands g�nies de l�Orient qui ont influenc� la religion de l�humanit� et son existence depuis les si�cles les plus recul�s� Mustapha Kemal a arrach� aux Turcs les �commandements de la jurisprudence traditionnelle�, et il n�est pas seul responsable de cela. Les Turcs ont la possibilit� de les remettre en cours quand ils le voudront et comme ils le voudront. Mais il leur a restitu� la libert�, leur ind�pendance, leur souverainet� et leur grandeur parmi les nations de la terre� Quant au calife des musulmans, �il s�asseyait dans son palais sous l�autorit� des Anglais occupant sa capitale, immobile et muet��� (Cf. B. Bessa�eh in L�Alg�rie belle et rebelle, de Jugurtha � Novembre, Ed. Anep, Alger, 2004). Quelle autre personnalit� religieuse l�a fait, quel alemdirait aujourd�hui quelque bien de cet homme ? Il n�y a pas qu�un hommage dans ce texte, il rec�le une vision de l�avenir qui ne peut �tre comprise qu�aujourd�hui. Effectivement, Ataturk a sauv� la Turquie et en a fait une nation moderne, libre et souveraine. Or voici que l�AKP a pu, � partir de cet acquis, lui restituer dans la paix et la s�r�nit� son identit�. Le leader turc s�est essay� � quelque chose d�irr�alisable : on ne change pas de force l��me d�un peuple ; une �me n�est pas un organe qu�on peut remplacer par un autre. Le colonialisme s�y est essay� en Alg�rie, comme le communisme dans le monde slave, avec exactement le m�me �chec. On peut par contre la d�poussi�rer et la faire �voluer si elle est persuad�e de l�int�r�t et de la justesse de l��volution propos�e. Le probl�me de l�islamisme appelle d�autres solutions que les coups d�Etat et la r�pression, il attend des r�ponses �ducationnelles, culturelles, intellectuelles et �conomiques. Il ne s�agit pas de chercher � refermer la bo�te de Pandore sur lui, cela a d�j� �t� fait en pure perte, mais d�am�liorer le niveau d��ducation et de d�veloppement socio�conomique des masses. Comment sortir de la culture th�ocratique ? Comme en sont sortis les pays de tradition chr�tienne, comme sont sortis du communisme les peuples qui y �taient asservis : par l�aspiration � la libert�, par la lib�ration de la pens�e et de l�expression, par une r�novation du fond mental. L�Occident est pass� par l�, il a attaqu� le despotisme de droit divin � la base, sap� ses fondements culturels en lui opposant la raison, la philosophie, la critique, les sciences humaines et le droit des gens, avant de l�achever par les r�volutions politiques. Ensuite, il a mis � sa place la souverainet� populaire, le droit positif, la libert� de culte et d�expression, et le couronnement de tout cela, l�Etat de droit. C�est ainsi que la culture th�ocratique a �t� progressivement remplac�e par la culture d�mocratique. La religion n�a pas �t� supprim�e ou interdite, mais �loign�e de l�exercice du pouvoir qui est la somme des d�lib�rations, d�cisions et actes pris au quotidien pour g�rer au mieux et sur la base de ces valeurs les int�r�ts de tous. En quelques d�cennies les peuples arabo-musulmans peuvent r�aliser ce que les Occidentaux ont mis un demi-mill�naire � r�aliser parce qu�ils n�avaient pas � leur disposition le savoir, le potentiel �conomique et les technologies de communication d�aujourd�hui. Les id�es circulaient � la vitesse du cheval alors que de nos jours elles vont � la vitesse de l��clair, du clic d�une souris d�ordinateur.