A notre �poque, l��cole fonctionnait tr�s diff�remment. Nous arrivions le matin, il fallait absolument �tre en rang par deux et attendre l�instituteur pour avoir le droit d�entrer en classe. Apr�s cela, nous restions debout jusqu�� ce que l�instituteur nous dise �assis ! �. La journ�e commen�ait par une le�on d�instruction civique et de politesse. L�instituteur regardait si nous avions les mains propres. A aucun moment nous n�avions le droit de parler sans avoir auparavant lev� le doigt et avoir l�ordre de l�instituteur. Les punitions, c��tait le coin (il arrivait d�y rester plus d�une demi-heure), l�instituteur tapait sur le bout des doigts avec sa r�gle et pouvait ainsi donner des pages enti�res d��criture. Chacun de nous �tait responsable d�une t�che pr�cise, � savoir ramasser les cahiers de classe, ramener du bois et du charbon en hiver, effacer le tableau, remplir l�encrier, etc. Ces besognes �taient � tour de r�le et on se plaisait de les faire. Le ma�tre enseignait la grammaire, la conjugaison, le calcul mental, le calcul, l�histoire, la g�ographie. La classe �tait compos�e de pupitres en bois de deux places. Il y avait un encrier pour chaque �l�ve et on �crivait avec un porte-plume (sergent major). La trousse s�appelait un plumier en bois. Nous devions obligatoirement avoir une blouse. On jouait aux billes et � la d�livrance. S�il existe en fran�ais, pour s�adresser � autrui, deux pronoms personnels de la deuxi�me personne, l�un au singulier, tu, l�autre au pluriel, vous, appel� pluriel de politesse, c�est que la langue fran�aise se pla�t � certaines nuances qui sont les bases de la civilit�. Il ne s�agit pas l� de code, mais tout simplement d�usages naturels, qui se perdent. Ce plaisir-l� s��mousse. On me dira que d�autres motifs plus graves et plus irritants y concourent, d�autres l�sions de civilisation ; et que c�est consid�rer les choses par le petit bout de la lorgnette, mais dans ce seul domaine de la civilit�, peuvent entra�ner de grands effets d�vastateurs. Aujourd�hui, ce sont d�abord nos enfants que nous voyons condamn�s � nous tutoyer. Je ne m�en prends point au tutoiement naturel d�affection et d�intimit� (la famille, les amis) ou de solidarit� (les copains, les camarades), mais � celui que nous infligent syst�matiquement les plus jeunes, comme si on n�avait pas droit au respect. D�une fa�on significative, et qui ne doit rien au hasard, cela commence d�s l��cole, ou plus un instituteur ne prend la peine de vouvoyer un enfant. Au premier jour de classe, l�ex-ma�tre devenu enseignant par banalisation de la fonction et refus de cette sorte de sacerdoce qu�elle repr�sentait autrefois, ne demande plus � l�enfant dont il fait connaissance : �Comment vous appelez-vous ?� Ce qui serait au moins du bon fran�ais, mais : �C�est quoi, ton nom ?� Sans que l�enfant en ait conscience, le voil� d�j� rabaiss�, marqu� comme un �l�ment de troupeau. On lui e�t dit �Vous� d�embl�e, ainsi qu�� ses camarades, qu�ils en auraient retir� tous ensemble l�impression d��tre consid�r�s et appel�s � de grands destins, ce qui est faux, naturellement, pour la plus grande partie d�entre eux, mais repr�sente quand m�me un meilleur d�part dans la vie que d��tre raval�s d�s l�enfance au matricule de tutoiement. Le jeune �l�ve va �tre conditionn�. D�s qu�il pourra lire et �crire, ses premiers livres �d��veil� lui poseront leurs premi�res questions sous la forme autoritaire du tutoiement : �Dessine un arbre, une vache�� Ou encore : �Ecris les noms des fleurs que tu connais�� Ce n�est pas bien m�chant, mais c�est ainsi que le pli se prend. Tout cela semble si bien admis, que c�est un aspect des choses que personne � ma connaissance n�a jusqu�� pr�sent soulign�. On se pose pour principe que l�enfant s�y trouve plus � l�aise. C�est sans doute vrai au premier degr�. Cette pente-l� est facile et semble toute naturelle. C�est justement pourquoi l�on devrait s�en m�fier. Car dans cet immense combat de soci�t� qui divise le pays depuis d�j� longtemps, qui est loin d��tre termin�, quelles que soient ses p�rip�ties politiques, nos enfants sont un enjeu formidable : ils pr�sentent l�avenir. Tout se tient et c�est au nom de l��galitarisme et de l�uniformit� larv�e qu�on prive ainsi l�enfant de la d�f�rence �l�mentaire et du respect qu�on lui doit. Le tutoiement qui sort de la bouche d�un instituteur, f�t-il de l�enseignement priv� et de la plupart de ceux qui font profession de s�occuper des enfants, est d�abord un acte politique, m�me s�il est inconscient. Cela fait partie du dressage et cela donne des r�sultats. Dans de nombreux milieux de travail, le tutoiement devient un passeport obligatoire dont on ne saurait se passer sous peine de d�viationnisme bourgeois, alors que, chez les compagnons d�autrefois, c��tait le vouvoiement qui marquait l�esprit de caste. Cela peut para�tre sympathique, amical, empreint de simplicit�. En r�alit�, ce n�est qu�un pi�ge. Quand les convenances du langage tombent, l�individu perd ses d�fenses naturelles, rabaiss� au plus bas niveau de la civilit�. Pour ma part, j�ai �t� dress� autrement. Je me souviens de la voix du ma�tre qui tombait de l�estrade ; �Omar ! Vous me copierez cent fois�� Ou : �Omar ! Sortez !� J�avais douze ans. C��tait pendant la guerre, je fr�quentais l��cole de la ville. Plus tard au lyc�e, les professeurs nous donnaient naturellement du monsieur sans la moindre d�rision : �Monsieur Omar, au tableau !� On se tutoyait entre condisciples. Choisir tout est l� ! Ne rien se laisser imposer sur le plan d�usages, ni le tutoiement d�un �gal ni � plus forte raison celui d�un sup�rieur. Il y avait une exception, de ce temps-l� : le scoutisme. Je me souviens de ma surprise quand je m��tais aper�u � seize ans qu�il me fallait tutoyer cet imposant personnage en culotte courte et qui s�appelait le commissaire Kouider (dit Jerouitou), et qu�� l�int�rieur de la troupe dirig�e par le chef Sa�d Boukhalkhal tout le monde se tutoyait aussi avec une sorte de gravit�. Mais il s�agissait l� d�une coutume de caste, d�un signe de reconnaissance r�serv� aux seuls initi�s, comme la poign�e de main gauche, l�engagement sur l�honneur, et les scalps de patrouille, car le scoutisme avait le g�nie de l�originalit�, une soif de singularit� forcen�e, dont nous n��tions pas peu fiers. On se distinguait nettement de la masse, on s��levait par degr�s � l�int�rieur de cette nouvelle �cole, mais il fallait s�en montrer digne. S�il est certain que le scoutisme alg�rien joue un r�le important depuis 1936, date de sa cr�ation, il est permis de se poser la question de savoir s�il peut encore aujourd�hui avoir un r�le � jouer� Parce que de nos jours, on ne voit plus de vrais scouts. Sauf �� et l�, quelques anciens qui essayent d�activer pour eux-m�mes sans souci de former les jeunes pour assurer leur rel�ve, alors que notre nombre va en diminuant. Malheureusement ! Dans tous les pays du monde, l�enfant a besoin d�un cadre appropri� pour lui procurer des besoins et des moyens d�un d�veloppement harmonieux tant sur le plan physique que sur le plan moral et civique. Ce besoin est encore plus imp�rieux dans notre pays dont la pyramide des �ges montre que sa population est form�e plus de 75 % de moins de vingt ans et qui vit un bouleversement politique, �conomique et socioculturel qui met tout en cause, bouleversement volontaire, changement subi et irr�fl�chi. L��volution de notre soci�t� laisse appara�tre du moins dans le domaine qui nous int�resse : � Une baisse tr�s sensible des valeurs morales, une contestation de toutes les valeurs de civilisation, un d�s�quilibre dans nos structures sociales. Mais chose plus grave, nos valeurs de civilisation sont contest�es soit par snobisme soit par mim�tisme. De l�organisation des bandes aux buts inavou�s � la contestation estudiantine d�inspiration �trang�re, on assiste � une sorte de d�sagr�gation des forces vives de notre peuple ; c'est-�-dire de sa jeunesse. L�absence de cette prise de conscience qui engage le comportement de chacun pose, effectivement, bien des probl�mes quant � la pr�servation de notre personnalit� authentique. Ces orientations posent �videmment en tout premier lieu le probl�me de l�engagement individuel du chef et du niveau intellectuel des encadreurs. Le 27 d�cembre 1962, Ahmed Ben Bella, pr�sident de la R�publique alg�rienne, rend visite aux neuf cents chefs Scouts musulmans alg�riens qui participaient � Z�ralda au camp �cole pr�paratoire �Omar Lagha�. Apr�s avoir rendu un hommage vibrant aux scouts, il dira : �Le spectacle que je vois ici est le plus r�confortant que j�ai vu depuis la constitution de notre gouvernement.� Nous consid�rons que cet appel a aussi toute sa place dans la dynamique pr�paratoire de la c�l�bration du 50e anniversaire de notre ind�pendance. Conclusion : quand il n�y a pas de manipulations politiques ou id�ologiques et quand l�intention n�est rien d�autre qu�instruire (�duquer) les �l�ves pour les construire pour se faire eux-m�mes construire, si le scoutisme et l�enseignement que ce soit � l�ancienne, au pr�sent ou au futur moderniste, en fran�ais, en arabe, en berb�re, d�une fa�on bien intentionn�e uniquement pour transmettre des connaissances et des savoirs, je dis tout haut � qui veut m�entendre : �J�aime �a et bravo.�