De notre envoy� sp�cial � Tunis, Hassane Zerrouky. Coup de tonnerre en Tunisie. Personne ne s�y attendait. Le renoncement par Ennahda d�inscrire la Charia comme source de la l�gislation dans la Constitution a pris de court toute la classe politique. Le parti de Rached Ghanouchi a ainsi d�cid� de conserver sans modification l�article 1er de la Constitution h�rit�e de l��re Bourguiba. Le communiqu� du parti islamiste rendu public lundi dernier est on ne peut plus clair. �Le bureau ex�cutif d�Ennahda affirme son engagement � respecter son programme �lectoral d�octobre 2011 d�une mani�re g�n�rale et notamment l�article 1er de la Constitution qui stipule que la Tunisie est un Etat libre, ind�pendant et souverain : sa religion est l�islam, sa langue est l�arabe et son r�gime la R�publique�. C�est � une �crasante majorit� � 52 voix contre 12 � que la d�cision en faveur du maintien de cet article a �t� prise par la direction du parti. La d�cision d�Ennahda, qui met un terme � un d�bat qui risquait de d�raper vers une violence ouverte � cela avait d�j� commenc� � a �t� salu�e par les partis d�mocrates et la�ques et condamn�e par les salafistes, par Al Arydha du milliardaire et ex-proche de Le�la Ben Ali, Hachemi Hamdi, bas� � Londres, et par d�autres petites formations islamistes si�geant au Parlement. Tensions, menaces et sursaut des d�mocrates et progressistes Le renoncement du parti islamiste � faire de la Charia la source principale de la l�gislation intervient dans un contexte de tensions politiques et sociales extr�mes. Les discussions interminables sur l�institution ou non de la Charia dans la nouvelle Constitution paralysaient les travaux de l�Assembl�e constituante o� 40 projets de Constitution avaient �t� d�pos�s. Pendant ce temps, les groupes salafistes accentuaient leur pression sur l�Assembl�e constituante en multipliant les rassemblements et les agressions. Lamin�e, inaudible, l�opposition d�mocrate et progressiste tentait de surmonter ses divisions pour faire face aux menaces de confiscation de la r�volution du 14 janvier. Apr�s la manifestation islamiste du 16 mars devant le Parlement � l�appel d�un Front d�associations religieuses r�clamant �l�application de la Charia de Dieu�, scandant �Notre Constitution, c�est le Coran� ou �Pas de Constitution sans Charia�, le 20 mars, f�te de l�ind�pendance, plusieurs dizaines de milliers de manifestants d�mocrates � rassemblement le plus important depuis janvier 2011 � investissaient � leur tour l�avenue Bourguiba aux cris �Le peuple veut un Etat civil�, �Nous ne laisserons pas voler notre r�volution par les esprits obscurantistes�. Enfin, �l�appel � la nation� lanc� par l�ex- Premier ministre de la transition et compagnon de Bourguiba, Beji Ca�d Essebsi, qui s�est traduit le 24 mars par la pr�sence � Monastir, ville natale du p�re de l�ind�pendance tunisienne, de plus de 50 partis dont le PDP et Ettajdid, de 525 associations civiles, de tout ce que compte la Tunisie comme personnalit�s de la soci�t� civile, du monde des arts et de la culture, en pr�sence de plusieurs milliers de personnes, a constitu� un moment fort de la mobilisation en faveur de la d�mocratie en Tunisie. L�ex-Premier ministre a surtout appel� solennellement l�ensemble des forces progressistes et d�mocrates � se rassembler autour d�une �alternative� pour parer � la �r�gression� qui menace la soci�t� tunisienne. �Nous n�avons pas d�autre choix que de taire nos divisions et nous rassembler. Sinon nous sommes cuits�, assure Malek, un syndicaliste tunisien. Victoire �crasante de la gauche aux �lections universitaires et premier revers islamiste A l�origine du sursaut des forces progressistes et de la soci�t� civile face aux menaces pesant sur le pays, un fait pass� inaper�u mais qui a pes� lourd : le raz-de-mar�e �lectoral de l�UGET (Union g�n�rale des �tudiants tunisiens, domin�e par la gauche) aux �lections universitaires du 15 mars. Sur les 284 si�ges en lice pour les �lections des Conseils scientifiques des universit�s, l�UGET en a remport� 280 alors que sa rivale d�ob�dience islamiste l�UGTE (Union g�n�rale tunisienne des �tudiants) proche d�Ennahda n�en a remport� que quatre. A l�universit� de la Manouba, dans la banlieue de Tunis, o� les salafistes avec la complicit� active des militants nahdhaouis ont tent� d�imposer le niqab avant d�en �tre chass�s par la mobilisation �tudiante, les quatre si�ges en lice ont �t� rafl�s par l�UGET. Depuis la fin des ann�es 1970, les universit�s dans les pays arabes et maghr�bins ont constitu� les lieux � partir desquels les mouvements islamistes entreprenaient la conqu�te de la soci�t� : en Egypte, par exemple, l�universit� est pratiquement entre leurs mains ; il en va de m�me en Jordanie, au Y�men, dans les pays du Golfe, au Soudan, � un degr� moindre au Maroc et m�me en Alg�rie. On mesure d�s lors l�importance de la victoire de la gauche tunisienne aux �lections universitaires. Les 400 000 �tudiants tunisiens (pour une population de 9 millions d�habitants) viennent d�administrer une le�on � m�diter(1). La raison : en d�pit de la r�pression qui les frappait, d�une police politique omnipr�sente sous le r�gime de Ben Ali, les forces de gauche, pr�sentes dans les universit�s, n�ont jamais laiss� le terrain des revendications sociales et politiques aux islamistes. Ce qui, en fin de compte, a pes� et chang� la donne. Riadh Ben Fadel du PDM (P�le d�mocratique moderniste) avertissait d�j� en octobre dernier qu�Ennahda s�appr�tait � investir l�universit� par le biais de son organisation satellite l�UGTE et qu�il fallait vite r�agir ! Par cons�quent, malgr� les d�bordements salafistes, la victoire de la gauche tunisienne aux �lections universitaires, qui a revigor� l�ensemble des forces progressistes et modernistes, n�est pas sans rapport avec le revirement d�Ennahda. Autre facteur, tout de m�me, lors de sa visite en Tunisie, le Premier ministre turc, Tayyip Erdogan, a publiquement recommand� aux islamistes tunisiens une Constitution �civile� qui n�inclurait pas la Charia comme source principale de la l�gislation. Quoi qu�il en soit, le recul d�Ennahda est une mauvaise nouvelle pour leurs fr�res islamistes alg�riens. La partie est-elle gagn�e ? La question de la Charia divisait la direction d�Ennahda, entre d�un c�t� les �faucons� repr�sent�s par Habib Ellouze, Sadok Chorou et Habib Kheder, qui consid�raient qu��il n�y a pas de contradiction entre la Charia et les droits de l�Homme� et que �la majorit� du peuple tunisien est favorable � l�adoption de la Charia comme principale source de la l�gislation� et l�aile repr�sent�e par le ministre de l�Int�rieur Amar Layraydh, le dirigeant et d�put� Noureddine Bhiri, qui affirment que �la Charia n�a jamais figur� dans le programme d�Ennahda�. Ce qui est vrai. En effet, le programme �lectoral en 365 mesures ne fait nulle part r�f�rence � l�Islam. M�me Rached Ghanouchi, apr�s moult tergiversations, a fini par admettre qu�Ennahda ne veut pas graver dans la future Constitution �des d�finitions ambigu�s qui risquent de diviser le peuple�. Le camp moderniste a applaudi la d�cision du parti de Ghanouchi mais reste n�anmoins vigilant. Qualifiant de �positives� les d�clarations d�Ennahda, Abdeljawad Jouneidi, dirigeant d�Ettajdid, a estim� qu��il faut que les actes suivent et que soit mis fin au laxisme sur le terrain�, allusion au minist�re de l�Int�rieur qui ferme les yeux sur l�activisme salafiste. �C�est une lev�e de l�ambigu�t�, un engagement politique de premier niveau qui va nous permettre d�avancer dans la r�daction de la Constitution.� Les salafistes djihadistes, consid�r�s par le ministre de l�Int�rieur nahdhaoui comme �le plus grand danger pour la Tunisie�, n�ont pas renonc� � leur projet. �Je ne suis pas concern� par cette question (l�article 1er de la Constitution) encore moins par votre d�mocratie, l�ANC et ce gouvernement qui � mon sens n�est pas l�gitime (�) Un gouvernement l�gitime est celui qui gouverne selon la parole divine (�) Ennahda a d�j� fait son choix pour �tre dans la voie de la la�cit� bien loin de l�Islam et de la Charia�, a d�clar� au journal tunisien Le Temps du 30 mars, Seif Allah Ben Hassine, alias Abou Yadh, leader des salafistes tunisiens. Ces d�bats et controverses ont pour arri�re-plan une situation sociale et �conomique alarmante. Le ch�mage touche pr�s d�un million de personnes, les prix grimpent, la sp�culation enfle et m�me la p�nurie a fait son apparition. Le tourisme, qui emploie 400 000 personnes (donc autant de familles) malgr� une l�g�re reprise est en berne et l�aide financi�re occidentale promise tarde � venir alors que, par ailleurs, des entreprises �trang�res ferment leurs unit�s sous pr�texte de gr�ves ! Les probl�mes de fond, masqu�s par la pol�mique autour de la Charia, demeurent. H. Z. (1) Il existe 13 universit�s et 178 �tablissements sup�rieurs en Tunisie.