Reportage r�alis� par Mehdi Mehenni Port d�Alger. Il est 22h. Sur le pont jouxtant le square Sofia, Zakaria se tient immobile, le regard fix� sur un bateau de marchandises. Il a � peine 15 ans. Plong� dans ses r�veries, ses huit compagnons qui bavardent sans cesse n�existent plus, � ses yeux, depuis d�j� un moment. Des crissements de pneus le r�veillent brusquement. La brigade des mineurs de la division centre de la police judiciaire de la wilaya d�Alger fait une descente. La soir�e de ce dimanche 8 avril 2012 s�annonce r�v�latrice. Contr�le d�identit�. Tr�s d�contract�s, les neuf jeunes hommes ne laissent appara�tre aucun signe d�inqui�tude. Quatre d�entre eux sont des mineurs �g�s entre 15 et 17 ans. Le plus �g� a 21 ans. Zakaria est le plus jeune et le plus bavard. Il r�pond spontan�ment � toutes les questions de l�officier de police Dja�far : �Je viens chaque soir tuer le temps sur le pont du port. Je contemple les bateaux accost�s, attendant leur cargaison. Regardez, celui-ci c�est le Grace II. Il part demain vers l�Equateur. Il importe la banane. L�Equateur ! Vous imaginez ! Mais celui-l� n�est pas int�ressant. L�autre, le grand bateau bleu, il fait l�affaire. Il importe des bouteilles en verre vides en provenance de Valence, en Espagne ou de Vallonne en Italie, pour un grand industriel alg�rien. Ce sont deux destinations qui valent le coup pour la harga.� Stup�fait, l�officier Dja�far demande : �Mais d�o� tiens-tu toutes ces informations ?� Zakaria n�use m�me pas d�un ton de confidence pour r�pondre. Pour lui ce sont des informations anodines et � l�acc�s de tous. �Tu habites o� ? Ton p�re sait que tu te trouves ici en ce moment ? �a ne l�inqui�te pas de te savoir � cette heure-ci dehors ? A quelle heure comptes-tu rentrer chez-toi ?� l�interroge encore une fois l�officier de police. Le jeune mineur l�che un l�ger sourire du coin de la bouche et r�torque ouvertement : �Il sait que je suis dans la rue, mais il ne sait pas que je suis du c�t� du port. D�ailleurs, il ne cherche pas trop � comprendre, car je passe la nuit chez mon oncle.� Zakaria habite au quartier populaire, la Casbah, plus pr�cis�ment � Zoudj Ayoun. Il est issu d�une famille nombreuse qui occupe trois pi�ces, cuisine et des toilettes collectives. Il pr�f�re passer la nuit chez son oncle propri�taire d�une villa � Bordj El- Kiffan, � 15 km � l�est de la capitale. Le jour, il commerce dans l�achat et la vente de t�l�phones portables d�occasion dans un march� informel. La nuit, il vagabonde du c�t� du port. �Vers minuit trente ou 1h du matin, je prends un taxi clandestin collectif pour rentrer chez mon oncle. Ce n�est pas tr�s cher, ils prennent entre 50 et 100 DA la place. Ils stationnent juste � c�t�, � la place des Martyrs �, ajoute Zakaria. Les policiers de la brigade des mineurs demandent aux neuf jeunes hommes de rentrer tout de suite � la maison. Zakaria s�attarde encore un moment � bavarder avec les policiers. Son copain qui l�attend perd patience au bout de cinq minutes. Il ronfle le moteur de son scooter. Zakaria saisit l�appel et le rejoint sur place. Les deux saluent les policiers. D�marrage en c�te ! D�tresse humaine ! 22h30. La patrouille de la brigade des mineurs parcourt la rue des Fr�res-Oukid. L�officier Dja�far demande � son �l�ment de ralentir. Deux jeunes filles visiblement mineures s�abritent dans des escaliers sans issue � l�entr�e principale du port. Le chauffeur fait demi-tour et bloque de sa voiture l�acc�s aux escaliers. Quelques �l�ments les montent en vitesse. Panique chez les deux jeunes filles. Les policiers passent au peigne fin les lieux. Aucun indice. Juste quelques cartons �parpill�s sur la partie haute des escaliers et un sceau � moiti� rempli d�eau savonneuse, dans lequel est tremp� un pantalon. L�effet de surprise pass�, les policiers et les deux jeunes filles se reconnaissent. �Ce sont Wafa et Karima, elles sont fich�es � notre niveau. Ce sont des s�urs. La premi�re est �g�e de 20 ans et la seconde 16 ans�, l�che le brigadier Racim. Apr�s la mort de leur p�re en 2005, les deux filles et leur maman ont �t� chass�es par leur oncle d�une maison familiale � Baraki. Elles sont venues trouver refuge dans une chambre �lectrique � haute voltige, � proximit� du port, avant d�y �tre chass�es quelques mois apr�s. Les deux filles �taient alors respectivement �g�es de 13 et 9 ans. Depuis, elles occupent cet escalier sans issue. C�est le seul endroit o� elles peuvent se r�fugier sans se faire agresser. Les policiers plac�s � l�entr�e principale du port leur procurent un sentiment de s�curit�. �Elle est o� votre maman ?� demande l�officier Dja�far. �Elle est partie nous trouver quelque chose � manger�, r�pond Wafa. Apr�s quelques �changes de propos, la petite Karima fait savoir qu�elle vient de sortir d�un centre pour mineurs : �J�ai �t� embarqu�e pour vagabondage. Le juge m�a plac�e dans un centre pour mineurs � Blida puis j�ai �t� transf�r�e � Tlemcen. Au bout de neuf mois ils m�ont laiss� partir.� Le brigadier Racim lui demande pourquoi n�est-elle pas rest�e au centre pour mineurs. Karima se l�che : �Centre pour mineurs ! Regardez ce que les centres pour mineurs ont fait de ma s�ur. Wafa montre leur tatouage. Elle se l�est faite � l��ge de 15 ans. C�est l�-bas que les jeunes filles mineures apprennent les pires choses de la vie. La preuve, elle vient de sortir de prison o� elle a f�t� ses vingt ans.� Les deux filles s�engagent dans une prise de bec. Mais elle est rapidement rompue. Karim, un jeune gar�on, arrive tout � coup. Il apporte � manger. �Qui est ce gar�on ?� demande le brigadier Racim. �C�est un inconnu, il vient de temps � autre nous apporter � manger et passe un moment avec nous�, r�pond Wafa. Karim a 12 ans et habite au quartier Soustara, sur les hauteurs d�Alger. Il travail dans une menuiserie � Blida � une cinquantaine de kilom�tres de la capitale. La nuit, il vagabonde. �Ton p�re sait que t�es dehors � cette heure-ci ?� demande le brigadier Racim. �Oui, il le sait. C�est ma m�re qui m�a d�ailleurs donn� de la nourriture pour l�apporter � Wafa et Karima��, r�pond Karim. Le brigadier Racim ne trouve pas les propos du jeune gar�on suffisamment convaincants. Il lui demande son adresse exacte ou le num�ro de t�l�phone de ses parents, Karim jure qu�il ne les conna�t pas. La patrouille de la brigade des mineurs reprend la route, cette fois-ci vers le boulevard Amirouche. �Je n�ai pas pardonn� � mon p�re� Il est 11h pass�es. Au niveau de la Banque nationale d�Alg�rie (BNA) d�Amirouche, les policiers rep�rent deux jeunes filles assises sur une marche d�escalier et un jeune gar�on au visage imberbe debout � c�t�. Jusque-l� rien d�alarmant. Soudain, le jeune Karim, qui �tait il y a 15 minutes au niveau du port d�Alger, appara�t. L�officier Dja�far le rep�re. Le brigadier Racim confirme ses doutes : �J�ai senti que l�histoire de ce jeune gar�on ne tenait pas la route.� Karim se cache derri�re une arcade. En une fraction de seconde, il dispara�t. Les policiers s�arr�tent quand m�me pour interroger les deux jeunes filles. Elles sont majeures. L�une d�elles vient de sortir de prison. Elle a pass� deux ans d�incarc�ration pour implication dans une affaire de crime. Le jeune gar�on au visage imberbe s�appelle Ziane. Il a � peine 16 ans. �Que fais-tu l� ? Tu habites o� ?� demande le brigadier Farid. �Je passe tant�t la nuit chez ma grand-m�re � la Casbah, tant�t chez mes parents � A�n Na�dja. Je viens passer du temps ici�, r�pond-il. Le brigadier Farid, repr�sentant de la cellule de communication et de relations publiques de la S�ret� de wilaya d�Alger qui est notamment membre d�une cellule d��coute et de l�action pr�ventive de police r�ussit au bout de quelques minutes � lui faire tirer les vers du nez. Le petit Ziane se l�che : �Non, mon p�re ne sait pas que je suis l�. Si jamais il sait que je fr�quente ce genre de personne il me tue ! Mais c�est de sa faute. Il m�a plac� dans un centre pour mineurs � l��ge de 12 ans. Je venais d��tre renvoy� de l��cole et un ami � lui a sugg�r� de me placer dans un centre pour mineurs, afin que je puisse apprendre un m�tier et que je devienne plus rigoureux et responsable. Que dalle ! D�s mon premier jour, un jeune de 17 ans est venu me voir pour me dire que c�est lui le pr�vot. Mais je ne connais pas tout cela. J��tais tr�s jeune et soumis � la violence, la loi du plus fort. J�y suis rest� six mois, mais �a m�a beaucoup marqu�. C�est l�-bas que j�ai appris � fr�quenter ce genre de personnes. Aujourd�hui, je continue de les fr�quenter. C�est mon p�re qui a voulu que les choses soient ainsi. Qu�il en r�colte les cons�quences aujourd�hui. Je ne lui ai pas pardonn� !� �Je ne communique pas avec mon fils !� Du c�t� de la place du 1er Mai, l�atmosph�re est plut�t sereine. Un message est subitement lanc� dans le talkie walkie du brigadier Racim. La patrouille de la brigade des mineurs prend la direction du boulevard de la Victoire, dans la Haute- Casbah. Il est minuit. Un escalier m�ne vers une b�tisse en ruine, enti�rement ras�e. Un jeune, la trentaine, un portable � la main, des �couteurs aux oreilles est debout sur la terrasse � l�extr�mit� du mur de fa�ade. La police d�barque et monte illico les escaliers. Trois jeunes assis autour d�une table, �clair�e � la lueur d�une bougie, �coutent des chansons ra� sur leurs portables et jouent aux dominos. �Qu�as-tu jet� ?� demande un policier en uniforme � l�un des trois jeunes qu�il fouillait. �Rien chef, c��tait de la chique�, lui r�pond-il. Les policiers repartent les mains vides apr�s avoir fouill� la planque coin par coin. �C�est le gars aux �couteurs qui leur a donn� le signal. Ce sont certainement des revendeurs de drogue. Celui-l� assure la garde et les trois autres la vente�, lance un policier. L�un des quatre jeunes hommes est mineur, mais aucune preuve n�est retenue contre lui. 1h du matin. L�officier Dja�far apprend qu�un jeune mineur �g� de17 ans a �t� arr�t� en possession d�une arme blanche. Un couteau extr�mement dangereux. Il est au niveau des locaux de la division centre de la police judiciaire de la wilaya d�Alger. La patrouille rentre aux locaux. Le p�re du mineur est convoqu�. Il n�en revient pas ! Son fils est en premi�re ann�e sciences technologiques dans un des meilleurs lyc�es sur la place d�Alger. L�officier Dja�far explique au p�re ce que l�enfant risque comme peine. Comparution devant le juge et placement en centre d�accueil. Un dialogue s�installe entre les policiers et le p�re de l�enfant. L�officier Dja�far et le brigadier Farid tentent de d�cortiquer le probl�me. L�enfant ne souffle mot, il para�t totalement effac� devant son p�re. L�officier Dja�far essaye de le faire parler. �As-tu des probl�mes avec des gens dans la rue ? Fr�quentes-tu des d�linquants ? As-tu des probl�mes � la maison, � l��cole ? Qu�est-ce qui t�a pouss� � porter un couteau ?� lui demande-t-il. L�enfant b�gaie ! Les m�mes questions sont pos�es au p�re, mais lui aussi ne trouve pas de r�ponse. Un silence r�gne dans la salle. Le p�re laisse �chapper un mot, puis deux et ensuite il encha�ne. Il avoue qu�il ne conna�t pas son fils. �Je ne communique pas beaucoup avec mon fils. J�ai tendance � �tre dur avec lui. Il ne s�exprime pas beaucoup devant moi. Mais avec les autres il est plut�t bavard. Je pense que depuis qu�il va au stade assister � des matchs de foot, son comportement a chang� !� t�moigne-t-il. Les policiers se consultent entre eux. Ils jugent que l�enfant est d�un temp�rament inoffensif. �Je pense qu�il s�agit d�un jeune gar�on qui a tent� pour la premi�re fois dans sa vie de porter un couteau. Qu�est-ce que nous allons lui faire ? S�il est plac� en centre d�accueil, ses �tudes seront g�ch�es et sa vie enti�rement bris�e. Je pense que nous pouvons faire exception, d�autant plus que le procureur de la R�publique nous a instruit de r�gler ce genre de probl�me � notre niveau, si le mineur est scolaris� et n�a pas d�ant�c�dents��, sugg�re l�officier Dja�far. L�enfant est rel�ch�. Lui et son p�re empruntent l�escalier de la sortie en bavardant � voix basse. Ils d�couvrent la communication entre p�re-enfant dans les locaux de police. �Mieux vaut tard que jamais�, lance l�officier Dja�far � ses coll�gues.