Par Dr Rachid Messaoudi Dans un orchestre cha�bi, il est de coutume d�avoir un banjo �guitare� aux sons graves et un banjo �t�nor� aux sons aigus. L�un �tant l�alter ego en quelque sorte de l�autre. L'origine de l'instrument moderne remonte d'abord aux ann�es 1830-1840 durant lesquelles a commenc� l'industrialisation et la commercialisation d'un instrument plus ancien, le banjar (XVIIe si�cle), utilis� par les esclaves africains d�port�s aux Etats-Unis et travaillant dans les champs de coton. Le principe en est assez simple : une peau animale tendue sur une calebasse. Les musiciens noirs exploit�rent l'aspect rythmique de l'instrument avec un tel succ�s que les Blancs du sud des Etats-Unis s'y int�ress�rent. A partir de la derni�re d�cennie du XIXe si�cle, le banjo � 4 cordes ou banjo t�nor se distingua dans le style de pr�-jazz appel� �dixieland� appel� aussi hot jazz ou New Orleans, vogue qui s�imposa en 1910 � Chicago et New York, et qui continua � �tre diffus� jusque dans les ann�es 1930. A partir des ann�es 1940, le banjo 5 cordes va reprendre du service. Cette musique (m�lange de musique irlando-�cossaise et de country) a permis de relancer le banjo. Aujourd'hui, la plupart des banjos fabriqu�s sont � 5 cordes. En Alg�rie, le banjo � 4 cordes est tr�s utilis� dans la musique cha�bie (populaire) alg�rienne. Il a remplac� progressivement la kuitra ou mandoline, sorte de petit luth � quatre cordes, apr�s sa d�couverte par les musiciens alg�rois probablement au lendemain de la Deuxi�me Guerre mondiale de 1939 � 1945. Au Maroc, il est l'instrument le plus utilis� dans la musique chleuh contemporaine. Les joueurs de banjo sont l�gendaires et paradoxalement peu connus. Modestes, effac�s, ce sont pourtant eux qui habillent le texte melhoun et lui donnent une �me. Les �banjo�stes� ne sortent pas de grandes �coles et ne se produisent qu�avec un talent qu�ils construisent � coups de petites exp�riences acquises aupr�s des a�n�s et qu�ils �toffent au fur et � mesure qu�ils butinent de chanteur en chanteur. Ils sont les bras sans lesquels aucun mouvement musical ne prendrait vie. De caf�s maures en petits concerts sans grande audience, ils affinent et improvisent. Le banjo est l�instrument p�le des �isthisbarate � et des r�pliques ou �djiouabate�. Il vient au secours du mandole pour relayer la qacida au �khlass�. Parfois, c�est lui qui donne le mode au chanteur en mal d�inspiration. Parmi les plus c�l�bres musiciens du banjo, j�ai choisi de dresser le portrait de Sid-Ahmed Amarouche dit Naguib.
AHMED AMAROUCHE DIT NAGUIB La carri�re �court�e d�un virtuose On ne peut parler de banjo t�nor alg�rois sans se r�f�rer � ce vertueux musicien, absent regrettable de la famille du cha�bi depuis 1980, ann�e durant laquelle il mit volontairement fin � sa carri�re. Sans forfaiture et sans volont� de forcer dans l��loge, Naguib reste, � ce jour, le plus talentueux banjo t�nor au vu de ses m�lodies fouill�es, ses r�pliques originales et son sens de l�anticipation. Il a jou� avec les plus grands ma�tres du cha�bi tels que Hadj M�hamed El Anka et Amar Ezzahi sans oublier Boudjema� El Ankis et El Hadj El Hachemi Guerouabi. Quand je l�ai rencontr� le 6 mai 2011, il s�est livr� avec parcimonie, avec une profonde modestie tout en refusant d�licatement le titre de meilleur t�nor. Sobre et r�fractaire � toute ostentation, il a bien voulu prendre un caf� et bavarder sur le th�me de son parcours musical. Natif de Bougie (B�ja�a) en 1953, p�re de quatre enfants et grand-p�re depuis quelques mois, il doit son pr�nom Naguib � son p�re qui l�a gratifi� � sa naissance de ce pr�nom par sentiment patriotique et par admiration pour ce grand g�n�ral �gyptien, compagnon de Gamal Abdennaser. N� dans une famille de musiciens, il fut naturellement r�ceptif � la musique d�s l��ge de quatorze ans. En 1963, Mourad, le fr�re a�n�, revint de France, o� il �tait en formation, avec une guitare. Apr�s avoir aiguis� son �coute, Naguib effectua en 1966 ses premiers essais avec cet instrument. Sa source d�inspiration reste Mohamed Kabour dit �Ettailleur� qui ont fait �cole et dont les �istikhbarate� n�avaient pas leurs pareils. Cependant, Naguib consid�re que Aouali Mohamed Seghir, dit Moh Essghir la�ma,a des touches et des finesses particuli�res d�autant que sa fa�on de jouer de l�ext�rieur vers l�int�rieur et � contre-courant des autres musiciens est impressionnante. Naguib insiste sur Bouherahoua Abdelkader dit Kaddour Eccherchali n� � La Casbah en 1911 et d�c�d� en 1968, originaire de Cherchell qui fait figure de pionner dans l�art du banjo. N�oublions par Mohamed Rachidi, dit Cheikh Ennamous, �voluant dans un autre style. C�est son p�re qui lui offrit son premier banjo mandoline achet� � la rue Tanger chez M. Lamri. En 1963 toujours, Naguib s�inscrivit au Conservatoire d�Alger o� il rencontra des �l�ves de Hadj M�hamed El Anka tels que Tamache, Bouafia, Chercham et bien d�autres. Mustapha Skandrani, qui dirigeait l�orchestre cha�bi o� se produisaient des figures marquantes comme Bahar, Serguoua, etc., a vite remarqu� la force de Naguib qui s�inspirait alors de Mohamed �Ettailleur�. De passage � B�ja�a, il apprit � jouer les touachi aupr�s de Sadek El Bdjaoui. Quand Naguib interpr�ta, sous le regard d�El Anka, la touchia ghrib, le grand ma�tre finit par l�adopter et lui proposa de venir apprendre la musique en dehors du groupe de ses �l�ves. La l�gende nous apprend que Hadj M�hamed El Anka le surnommait �El ghoul diali�, mon ogre, pour souligner le talent naissant du jeune prodige. Abdelkader Chercham int�gra Naguib dans son orchestre en 1968. Une sollicitation de Hadj M�hamed El Anka en 1969 a �t� cordialement refus�e par Naguib, sans doute par crainte du grand pilier et embl�me de la chanson cha�bie. En 1970, Hadj M�hamed El Anka �tait pr�sident d�honneur de la JSEB, club de football d�El Biar. Un certain ammi Zoubir et Mustapha Sakhri ont �voqu� Naguib en pr�sence d�El Anka qui finit par imposer le jeune musicien dans son orchestre. D�s lors, Naguib faisait partie de la troupe. En 1973, lors d�un mariage, Naguib commit l�impair de ne pas ex�cuter un koursi deux fois mais une. El Anka lui en fit la remarque d�un geste. Ce fut le seul �accroc�. El Anka donnait toute libert� � Naguib �tant assur� de la ma�trise du jeune �l�ve. Ezzahi, en pleine verve en 1973, fit appel � Naguib apr�s un contact du d�funt El Hadj Bena�ssa. Il l�accompagna jusqu�en 1979. Je ne saurais tarir d��loges sur cette p�riode de l�histoire du cha�bi d�Alger. Peuvent en t�moigner les enregistrements de f�tes o� le mandole d�Ezzahi et le banjo de Naguib se donnaient la r�plique. C�est � la mort de ce virtuose que fut Kadour Eccherchali en 1968 que Naguib d�buta sa carri�re quand il rencontra Mohamed �Ettailleur�. Pourquoi le banjo t�nor ? Pour le rythme, rapide, libre � l�instar de Dahmane El Harrachi qui fut d�abord banjo t�nor sous l�aile de Kaddour Eccherchali avant de passer au mandole. Les bonnes oreilles vous diront combien la touche de Dahmane reste difficile � imiter tant sa ma�trise de l�instrument �tait totale. D�ailleurs, Naguib reste friand des concerts de ce grand artiste m�connu jusqu�� nos jours. Boudjema� El Ankis avait le privil�ge de chanter avec l�un des meilleurs orchestres d�alors. C�est ainsi que Bachir Mires, ayant un lien de parent� avec Naguib, en accord avec Dja�far Fassouli, sugg�ra � Boudjema� El Ankis d�int�grer ce jeune musicien � l�orchestre. Le chanteur se montra h�sitant avant de c�der sous la pression de Mouhouche le percussionniste (derbouka) La premi�re prestation de Naguib fut possible avec Boudjema� El Ankis lors de la c�l�bration du mariage de Kalem, le c�l�bre joueur du CRB, en 1968, au sein des b�timents du groupe du 1er Mai. Naguib fit un bref s�jour � Marseille. Un certain sauveur voulait le coopter avec Lili Boniche � Paris, en lui offrant toutes les conditions. En vain. En 1980, Naguib coupe court � sa carri�re pour des raisons religieuses de son propre aveu, nous privant � ce jour de ces gouttes sonores qui tombent comme la ros�e sur nos sens. Quand je l�ai interrog� sur les jeunes joueurs de banjo d�aujourd�hui, il m�a parl� de l�anarchie de certains musiciens. Il n�a pas retrouv� l��me de l�artiste qu�il exprime par le voyage des sens, ce transport qui fait dire � l�instrument des choses surprenantes et inattendues. Nous avons parl� de l��motion, du trac du musicien sur sc�ne. Beaucoup d�agr�ables souvenirs avec Amar Ezzahi qu�il consid�re comme l�actuel fer de lance du cha�bi, de sa capacit� � emprunter les chemins les plus ardus de la musique, de sa curiosit� � se d�fier dans des po�sies m�connues et qu�il met au grand jour. Il donne n�anmoins faveur � Abdenour Mohamed dit �Ptit Moh� qu�il sent �mergeant. A l�instar de nos grands artistes cha�bis, il partage un parcours professionnel insolite. En 1970, il fut horloger et s�occupait de la vente de pi�ces de rechange, puis gestionnaire d�un atelier de menuiserie, ensuite magasinier dans un Souk El Fellah. Aujourd�hui, il travaille aux Ch�ques postaux.