Jeudi soir, la salle El Mouggar était comble : artistes, amis et officiels s'étaient donnés rendez-vous pour rendre hommage au doyen et maître incontesté de la chanson chaâbie, Boudjemaâ El Ankis (de son vrai nom Mohamed Boudjemaâ). Un hommage largement mérité après soixante années de carrière, un parcours exemplaire et une notoriété qui n'est plus à faire. Cet hommage à l'initiative du ministère de la Culture fait suite à celui rendu dernièrement, à titre posthume, à El Hadj M'hamed El Anka, l'icône du chaâbi. Bien avant le début de la soirée, le hall de la salle a vibré au rythme de la Zorna, des notes exécutées par de jeunes musiciens, affublés de costumes traditionnels, et qui ont choisi de perpétuer la tradition de Boualam Titiche. “Cela fait longtemps que les artistes algériens attendent ce genre d'initiative. Je remercie vivement madame la ministre”, lance El Ankis dans le salon d'honneur. L'animation de cette soirée est revenue à Nadia de la radio El Bahdja qui a, entre autres, rappelé le riche parcours du maître du chaâbi avant de céder place à la chorale Naghem qui assurera la première partie de la soirée et présentera un programme bigarré de chansons algériennes : Koum tara (du patrimoine andalou), Tir el qafs de H'sissen (chanson kabyle) et Rah el ghali hah de Mahboubati. Cette prestation de courte durée a été bien appréciée du public. La chorale se retire pour céder la scène à un orchestre chaâbi en bonne et due forme. Une vingtaine de musiciens, dont une demi- douzaine de violonistes, trois qanoundji, deux banjos, derbouka, mandoles… Les musiciens vont accompagner, en un premier temps, Mokhtar Boudjemaâ, qui n'est autre que le fils d'El Ankis. “Permettez-moi, d'abord, de vous inviter à souhaiter un prompt rétablissement au président de la République ainsi qu'à nos maîtres El Ankis, Guerouabi et Ezzahi”, dira Mokhtar, avant d'entonner Djana el intissar, une chanson écrite par le père en réaction aux manifestations du 11 décembre 1961. Des photos du vieil Alger, servant d'arrière-plan, alternent avec des photos du grand maître. Mokhtar est le digne fils de son père, sans nul doute, en témoignent les applaudissements du public. La suite du programme sera assurée par Youcef Totah qui interprétera Lyem Zahia, puis Didine Karoum, un autre chanteur de la nouvelle génération, qui présentera Ray'ha win. Hakim, un autre fils d'El Ankis, investira la scène pour interpréter un des titres phares du répertoire du père, notamment Tcha'ourou. Hakim n'est pas seulement le “clone” de son père physiquement parlant, mais il a dans la voix ce timbre mélancolique, inimitable d'El Ankis. Ne dit-on pas dans le monde du chaâbi que “Cheikh bla cheikh mahou cheikh”, (on ne peut être maître si on n'a pas fréquenté l'école d'un grand maître). Et Boudjemaâ El Ankis est incontestablement un grand du chaâbi. Un maître issu de l'école d'El Anka et d'El Hadj M'rizek. Lorsque le chantre monte sur scène, c'est toute la salle qui se met debout pour acclamer ce monstre du chaâbi. Mais au grand dam des nombreux fans, El-Ankis ne chantera pas, mais ça fait du bien de le savoir en bonne santé. À 78 ans, ses admirateurs ne peuvent que lui souhaiter une année 2006 pleine de santé. Longue vie maître. W. L.