Par Ma�mar FARAH [email protected] La ville n�est belle que sous les premiers rayons du soleil. Trop de lumi�re la d�shabille et alors elle s�offre aux regards avec tous ses d�fauts : sale, repoussante, laide, sans verdure, sans attrait, livr�e � la cohorte inerte des femmes et des hommes qui croient vivre mais qui sont morts depuis longtemps dans cette cit� o� th��tre, cin�ma, concert, course de chevaux, cirque, zoo, a�roclub, bowling, terrasses vivantes et anim�es donnant sur le rivage, kermesses et joie de vivre ne sont plus que souvenirs racont�s par les plus vieux aux jeunes qui ont encore la patience de les �couter � Sous le soleil qui se l�ve, la ville se colore du rouge et or qui d�barque de l�horizon ; elle s�habille de reflets pourpres qui la prolongent dans l�eau paisible du golfe. Habitant tout pr�s, j�ai une chance extraordinaire de voir l�astre de feu se lever sur ma belle plage et ces matins-l�, le bonheur est tout simplement ce spectacle magnifique qui monte comme un hymne � la nature, lorsque s�ouvrent, devant mes yeux enchant�s, les rideaux d�un op�ra aux dimensions infinies� Oh, bien s�r, ce n�est plus le Mai d�antan ! Les industries boulimiques d�Europe, d�Am�rique et d�Asie, leurs guerres � succession ont chass� le printemps pour installer une saison hybride, excentrique, cingl�e par les coups de gueule d�un vent b�tard qui s�engouffre dans nos villes avec ses colonnes de sable jet� partout. Ces exc�s rageurs sont suivis d�accalmies qui laissent pointer un soleil agressif� Ce n�est plus le doux soleil hivernal : l��t� pr�coce succ�de d�j� � l�hiver tardif et du printemps, feu le printemps, il ne subsiste qu�une tombe plant�e devant la mer et fouett�e par les temp�tes du large, avec cet �pitaphe : �cig�t le printemps : 150 millions d�ann�es avant J-C 1990�. Mais il est des matin�es de Mai qui vous font oublier cette nouvelle saison orpheline et qu�il faudra bien, un jour, affubler d�un nom quelconque, un de ces noms modernes, high-tech, qui nous dira que nos printemps color�s et joyeux sont bien finis et qu�on ne pourra les revoir que sur les �crans �blouissants d�une t�l� LED ou d�un micro� Le meilleur moment est celui o� la nuit est lac�r�e par les premi�res lueurs �carlates du jour naissant. Puis, rapidement, la d�chirure devient ouverture b�ante : le grand �clat de lumi�re chasse les derniers lambeaux d�obscurit� vers l�ouest, derri�re l�Edough. Puis, en discernant mieux les �tres et les choses, on aper�oit une rang�e de petites barques, sto�quement align�es sur le sable, attendant l�arriv�e des premiers p�cheurs qui referont les m�mes gestes et chanteront les m�mes complaintes avant de prendre le large pour y semer leurs filets affam�s par la longue nuit. Un bolide s�arr�te brusquement. Trois jeunes dont deux filles ouvrent brusquement les porti�res et courent vers la mer. Ils plongent tous habill�s. Un chien les regarde en se demandant si les humains sont des �tres raisonnables. Un autre jeune, qui r�ve certainement d�avoir un bolide semblable, regarde froidement les plongeurs excentriques et continue de planter des parasols qu�il louera cent dinars la journ�e. G�n�ralement pour des couples qui se diront des mots d�amour et plus si affinit�s, prot�g�s du regard curieux � parfois r�probateur � des passants� Un ivrogne rejette violemment dans un foss� l�alcool qu�il a ingurgit�. Un taxi s�arr�te devant la discoth�que, quatre belles de nuit s�y engouffrent. Elles ne sont plus belles car leur maquillage a fondu. Comme fondent les espoirs de ce joueur inv�t�r� qui, chaque matin, jure � la mer qu�il abandonnera les parties de poker ruineuses. Mais ce soir, il remettra �a parce qu�il croira, encore, qu�il va gagner� Le soleil grimpe plus haut. La promenade s�anime. Maintenant, il y des flics. Les pickpockets ne le savent pas, sinon ils changeraient l�horaire de leur boulot. Ne le dites pas, s�il vous pla�t. Je n�ai pas envie de faire une mauvaise rencontre et de g�cher cette randonn�e matinale au bord de la mer qui est un pur moment de f�licit�. Les voleurs de portables ne me lisent pas. Mais je suis s�r que certains grands pr�dateurs parcourent ces lignes : ces derniers ne me font pas peur. Ils n�ont que faire de mon �Samsung� digital, ni des quelques dinars que je prends chaque matin pour acheter les croissants, le lait et un jus d�orange. Ce qui les int�resse, ce sont les millions de dollars des march�s avec l��tranger� C�est peut-�tre le moment de rentrer. Il n�y a plus rien � voir. La vie normale a repris ses droits. Les baigneurs vont arriver par cars entiers. Ils vont salir la plage et repartir. Pourtant, il y a un gros engin qui fait le va-et-vient pour d�barrasser le sable de toutes les impuret�s apport�es par les nageurs de la veille. Et rien ne me dit que ceux de ce matin seront plus sages. Il y a, accroch�s aux lampadaires, quelques corbeilles qui font la sieste� Le soleil grimpe encore et le boulevard grouille de vie. Les commer�ants montent les rideaux de leurs magasins. Et �a fait �criiiiiiiiiiiiisssssssssssss�. Dans toute l�Alg�rie, des millions de commer�ants font �criiiiiiiiiiiiisssssssssssss�. Avec leurs rideaux et c�est comme le nouvel hymne du pays. Nous sommes tous commer�ants et viendra le jour o� chacun ach�tera ses aliments dans sa propre �picerie. Et vous me dites qu�on va construire notre pays avec ces gars assis sur leur chaise devant des rideaux lev�s et qui referont �criiiiiiiiiiiiisssssssssssss�. Ce soir, � l�heure de la fermeture ? Un pays se construit avec des usines, des ouvriers qui partent t�t le matin vers le travail, sagement assis dans les trains et les cars� Avec des fonctionnaires qui arpentent les rues d�un pas d�cid�, avec des secr�taires au teint frais qui laissent tra�ner derri�re elles les belles odeurs des parfums f�minins� Avec des agriculteurs qui suent� Avec des jeunes qui apprennent, innovent, d�cident� Le tohu-bohu couvre le boulevard. Vite, c�est l�heure de d�camper. En esp�rant que ces responsables et �lus tomb�s sur la t�te ne viendront pas b�tonner la mer et planter sur ses vagues un de leurs sinistres projets faits de ciment et de fer. Croyez-moi, ils en sont capables. Et si j�aime la mer, c�est parce que c�est le seul endroit qui �chappe � leur rapacit�. Pour combien de temps encore ? Je ne le sais pas mais je reste optimiste : ils ont plus de 2 millions de kilom�tres carr�s pour y jouer � la d�vastation de la nature et �a prendra un sacr� bout de temps. Alors, mer, ma M�diterran�e, je reviendrai demain � la m�me heure. Quand je te regarde, je sais que je tourne le dos � leurs b�tises : c�est pour �a que la lumi�re �blouissante me pousse vers la maison. Comme un vampire. Car, je n�ai plus envie de voir ce qu�ils ont fait de toi, belle baie des corailleurs, bijou de ma B�ne ch�rie�