Par Abdellali Merdaci La r�cente tourn�e isra�lienne de Boualem Sansal (Walid Mebarek, 2012) pose explicitement la question irr�solue de la projection de l��crivain dans un plan de carri�re qui �chappe aux d�terminations politiques et soci�tales de son milieu d�origine. La litt�rature de Sansal � plus sp�cialement son engagement dans la vie litt�raire � n�a objectivement plus aucun rapport avec le pays qui lui fournit ses th�mes. L�Alg�rie n�est plus pour lui qu�un pr�texte � s��riger � aux yeux de l�Occident, dont il sollicite v�h�mentement la validation et la cons�cration de son art � en censeur et impr�cateur dans le glacis politico-id�ologique d�un pouvoir de �g�n�raux� et d�Islamistes�. D�s son entr�e en litt�rature avec la publication par Gallimard d�un premier roman Le Serment des barbares (1999 ; toutes les �uvres cit�es ici sont publi�es, � Paris, par cet �diteur), Sansal est confront� � la structuration d�une identit� litt�raire ; il d�lib�re ainsi d�une �posture� au sens que lui donne J�r�me Meizoz (2011) : �La posture est constitutive de toute apparition sur la sc�ne litt�raire.� Ing�nieur de formation, f�ru de culture technicienne, plus soucieux de m�canique des turbor�acteurs que de m�taphore fil�e et de prosopop�e, longtemps �tranger � la litt�rature, dont on peut supposer qu�il n�a jamais �t� un grand lecteur, mais parfaitement instruit des itin�raires des auteurs historiques de la litt�rature alg�rienne de langue fran�aise des ann�es 1950-1980, Sansal va plus s�attacher � l�effr�n�e proclamation de la �figure de l�auteur� (Maurice Couturier, 1995) et aux �digressions d�auteur� (David Lodge, 2009), textuelles et paratextuelles, qu�� la pers�v�rante construction d�une �uvre. Aura-t-il ainsi, assez t�t, assimil� l�usage des m�dias d�Occident et la facult� de persuasion qu�ils peuvent g�n�rer au-del� des limites de l��uvre �crite ? Dans le champ litt�raire alg�rien actuel, o� les trajectoires d�auteurs producteurs d�opinions se cantonnent � l�exercice (toujours lisse) d�une �transgression contr�l�e�, Sansal compose l�inconfortable position de �l�h�r�tique�, celui qui se dresse en dehors de la �r�gle du jeu� (Pierre Bourdieu, 2012). La recherche de �coups� m�diatiques prend-elle, en cons�quence, le- dessus sur l��uvre ? L��crivain rassemble consciencieusement, hors de ses romans, mais dans le semblable registre de d�nonciation d�une Alg�rie ruineuse, les �l�ments d�un redoutable Livre blanc �parpill�s dans les journaux, radios et t�l�visions de France. Souvent, il a �nonc� un simple constat : le syst�me et l�islamisme br�lent l�Alg�rie par les deux bouts, vite major�, depuis 2008, d�une d�routante mise en cause du nazisme et de l�antis�mitisme dans la sph�re de l�Etat. Mais ce message, � l�usage des seuls Occidentaux, est-il cr�dible ? Sansal ne parle jamais � Alger. S�il soutient ne pouvoir le faire dans la presse et l�audiovisuel gouvernementaux, comment douter qu�il ne recevrait pas l�accueil de la presse priv�e, sans distinction d�opinion et de ligne �ditoriale, pour interpeller les Alg�riens et les convaincre du bien-fond� de ses accusations contre le syst�me ? Le voyage d�Isra�l, qui corrobore un processus r�fl�chi dans la formation d�une figure d�auteur rebelle au pouvoir d�Alger, constitue un nouvel �pisode, le plus d�tonant, dans une d�marche d��crivain, �prement tendue vers une reconnaissance et une attribution de l�gitimit� par le champ litt�raire germanopratin. Dans ses formes comme dans ses desseins, cette d�marche � dont il faut interroger les fondements intellectuels � reste discutable. L�invention de l�h�r�tique Le capital symbolique personnel dont dispose Sansal, au d�but de sa carri�re d��crivain, est relativement pauvre. Pour sa visibilit�, il ne pouvait se r�clamer que du �voisinage de palier� du romancier Rachid Mimouni (1945-1995), qui fut, comme lui, dipl�m� dans les sciences et techniques. Il fait du projet tardif d��crire un moment de son histoire personnelle, en recherchant � avec conviction � de n�cessaires ruptures au plan litt�raire et politique. Contrairement � bon nombre d��crivains alg�riens qui, forts d�un premier succ�s parisien, traversent la M�diterran�e et sollicitent comme un d� nationalit� et r�sidence fran�aises, Sansal demeure un Alg�rien de Boudouaou, dans la banlieue d�Alger. Cela aurait �t� certainement un grand m�rite, si l��crivain contribuait � l�animation des espaces politique et litt�raire nationaux. Son r�cit de vie, Sansal l�a voulu comme un roman. Dans l�anamn�se du petit Boualem (Marianne Payot, 2011), il y a cette ind�l�bile fantasmagorie de r�citants du Saint Livre autour de la d�pouille de son p�re, d�c�d� dans un accident de voiture. Il avait cinq ans. Ce premier contact traumatique avec la religion inf�re-t-il, plus tard, toutes les incertitudes d��tre dans le monde � l��ge adulte ? Lorsqu�au d�but des ann�es 1990 �mergent dans la soci�t� de funambulesques tueurs aux gestes sanglants et rituels, aux crimes licit�s par les ma�tres de la fatwa, les songes de l�enfance et les voix r�ches des r�citants resurgissent dans la mitraille de saisons � la fois troubles et coupables. Le Serment des barbares explose dans une �criture, s�che et hach�e, pour conjurer les peurs de l��poque. Dans un pays en crise, qui conjugue au futur ses angoisses de mort et de finitude, Sansal confie son manuscrit � la poste qui le fera parvenir � l�adresse parisienne de l��diteur Gallimard. Le manuscrit �choue sur le bureau de Jean-Marie Laclavetine, romancier et �diteur, qui l�inscrit au catalogue de la rentr�e litt�raire de l�automne 1999. Inimaginable naissance d�un auteur ? L�ing�nieur Sansal a cinquante ans : il ne laissera personne dire que c�est le plus bel �ge de la vie pour entamer une carri�re litt�raire. Hors de l�enthousiasme admiratif de la presse alg�rienne, la r�ception critique du Serment des barbaresdans les m�dias fran�ais mettra davantage l�accent sur l�audace du th�me trait� � dans un pays o� la nuisance des groupes islamiques arm�s s��talait chaque aube en chiffres cramoisis � la �une� des quotidiens � que sur ses potentialit�s d��crivain. C�est de cette p�riode, fondatrice et triomphante, que datent les premiers choix � politiques � de Sansal. Rejoint-t-il le Rassemblement pour la culture et la d�mocratie (RCD) et son pr�sident, le docteur Sa�d Sadi, illustre homme politique, mais aussi avec Rachid Alliche (1953-2008), un des pionniers de la litt�rature moderne en langue kabyle ? Ce compagnonnage se nourrit moins de lectures romanesques que de valeurs politiques dissidentes. L��crivain, flatt� � Paris, engage un autre choix tout autant d�cisif : il guigne une carri�re fran�aise et il estime en avoir les moyens. Il s��loigne, peu � peu, de son pays ; d�un abord rude envers ses concitoyens, peu coutumier des salons de la capitale, il marque, dans le bouillonnant Alger des ann�es 2000, une distance � l��gard de la presse d�Etat et de la presse priv�e, affichant envers elles une inextinguible morgue. Assure-t-il, exceptionnellement, � la demande de l��quipe d�Edif 2000, diffuseur de Gallimard en Alg�rie, de rapides signatures de ses ouvrages dans les campus universitaires en dehors d�Alger ? En g�n�ral, r�serv� envers lecteurs et critiques, il n�exprime pas d�empathie. Ce mutisme, � int�rieur du pays, est contrebalanc� par une expansive loquacit� et une douce am�nit� � l�ext�rieur, dans les pays d�Occident. Dans une carri�re litt�raire, la veine prometteuse des d�buts ne permet pas de pr�juger de la survenue d�insucc�s et d�infortunes. Les trois romans qui suivent Le Serment des barbares ; L�Enfant fou de l�arbre creux, 2000 ; Dis-moi le paradis, 2003 ; Harraga, 2005) rencontrent, en France, une faible audience. Menac� d�oubli, Sansal ranime utilement dans les m�dias occidentaux la figure de l�opposant tourment� par le pouvoir d�Alger. S�il n�apporte rien de nouveau au travail litt�raire, notamment au genre romanesque qu�il adopte, il querelle � dans des exc�s de langage soulign�s � le pouvoir alg�rien, qui, en d�autres temps, l�avait coopt� � de hautes fonctions de l�Etat. Il a, certes, comme des milliers de cadres alg�riens, endur� les vexations du pouvoir qui ne conna�t qu�une seule r�gle : �tre avec ou contre lui. Comment nier cette avalanche de brimades qui s�abattent sur l�homme dans le m�pris et l�arrogance d�un personnel politique infatu�, qui mobilise contre lui toutes ses ressources de nuisance ? Au lendemain de la parution de son troisi�me roman ( Dis-moi le paradis), il est limog� de son poste de directeur central au minist�re de l�Energie. Dans un entretien avec le journaliste fran�ais Renaud de Rochebrune (2011), il �gr�ne les avanies r�p�t�es que lui font subir � sur injonction � les administrations du gouvernement. Comment admettre que ce sp�cialiste du turbo, qui ajoute � sa panoplie les comp�tences de docteur en gestion, habilement immerg� dans les arcanes de l�industrie nationale, aux premi�res lignes de forges de l�industrie lourde, sous Boumedi�ne, et l�g�re, comme il se devait, sous Chadli, soit refus� par l�universit� alg�rienne, au moment o� celle-ci fait appel � des licenci�s, fra�chement dipl�m�s, bassement analphab�tes, pour assurer des s�minaires et des encadrements de m�moires de fin d��tudes et m�me � un �tudiant en cycle de licence � dans une facult� de l�Est � pour des conf�rences doctorales ? Convient-il aussi de rappeler, pour m�moire, des turpitudes litt�raires largement connues ? Lorsqu�ils ne sont pas carr�ment interdits de diffusion, par oukase minist�riel, comme cela a �t� le cas de l�essai Poste restante : Alger (2006), ses ouvrages ne sont pas disponibles en librairie. Autour de lui, et principalement � Boudouaou, la traque polici�re serait omnipr�sente. Cette quarantaine pers�cutoire, d�cr�t�e et ex�cut�e � tous les �tages de d�cision du pouvoir alg�rien, s�explique-t-elle par le seul contenu sulfureux de ses romans ? Sansal, dont le nom est syst�matiquement ray� de la liste (collig�e par la ministre de la Culture) des invit�s au Salon international du livre d�Alger o� ses �uvres ne sont pas expos�es, devait-il aussi appara�tre, par l�effet d�une rumeur persistante, comme une sorte d��crivain maudit, un �g�nie malheureux� (Pascal Brissette), proscrit dans son pays ? A d�faut de l�avoir cr��, le syst�me aura ainsi reconnu son h�r�tique. En 2007, alors que sa carri�re d��crivain est au creux de la vague et ne sera relanc�e qu�avec son cinqui�me opus Le Village de l�Allemand ou le Journal des fr�res Schiller(2008), Sansal fait partie des quarante-quatre signataires du Manifeste sur la litt�rature-monde en fran�ais, initi� par Michel Le Bris (Michel Le Bris, Jean Rouaud, 2007). Il r�v�le une insurmontable contradiction : �crivain alg�rien, autant par ses th�mes que par sa r�sidence en Alg�rie, il se projette exclusivement dans une bruyante carri�re litt�raire fran�aise. Son image d��crivain se profile, en France, pr�f�rentiellement dans la chronique �troite des exactions et des brimades du pouvoir d�Alger plut�t que dans les aptitudes et la profondeur de son travail d��crivain. Il aurait pourtant �t� essentiel pour lui de circonscrire le temps de l��uvre et d�en favoriser une perception alg�rienne comme a su le faire Rachid Boudjedra, son contre-mod�le dynamique. Et surtout de forger une dimension morale de l��crivain qui ne peut s�autoriser que de son �uvre. Lorsque l��crivain fran�ais Andr� Gide, de retour du Tchad et de la d�funte URSS, pointait les malheurs du colonialisme et du stalinisme, il �tait accr�dit� par la seule vigueur d�une �uvre fran�aise devenue universelle. Partout, dans ses d�clarations, l�opposant politique Sansal a pr�valu sur l��crivain. On serait en mal de trouver dans la presse �trang�re un entretien de Sansal qui �voque sa sensibilit� de romancier, son rapport � la litt�rature de son pays et au-del� � la litt�rature mondiale. Le mod�le de communication �gophorique dont il s�inspire, qui fonde sa pratique litt�raire et m�diatique est celui du Sulman Rushdie des Versets sataniques (1988). Un soup�on de talent et beaucoup de scandale dans une fi�vreuse alchimie. Il n�est pas assur� que ce m�lange enfante de grands �crivains. N� � la litt�rature au d�but du r�gne d�Abdelaziz Bouteflika, Sansal est-il � la mesure d�une attitude, �minemment hugolienne, en se faisant le turbulent contestataire du pouvoir d�Alger et de son pr�sident aux trois mandats ? La partie �tait belle pour lui qui bataillait vent debout contre une soci�t� politique archa�que, issue de la guerre d�ind�pendance, ferm�e et inamendable, qui entrave l�av�nement de la d�mocratie et de la justice. Mais ce qui rend inop�rante sa critique du syst�me, c�est qu�elle exclut toute sommation des faits : l�essayiste de Poste restante : Alger ne saura forger le ton juste pour cingler les palinodies du r�gime. Se posant volontiers comme victime du syst�me en place � Alger, en raison m�me de ce que dit son �uvre (que ne lisent que de rares lecteurs professionnels), se montre-t-il particuli�rement r�silient ? Face � la violence aveugle du syst�me, il lui retourne une violence sans nuances et une fixation parano�de. Qui aboutissent vite au d�rapage sur le �nazisme� et les �camps�. Une surench�re politicienne sur le nazisme et le v�cu des juifs Il est patent que l�invitation d�Isra�l concerne principalement l�auteur du Village de l�Allemand. Ce roman, qui sort des orni�res de l�histoire, de la Seconde Guerre mondiale � la guerre d�Alg�rie (1939- 1962) et � la p�riode actuelle de terrorisme islamiste (commenc�e en 1992), est le plus contrefait de Boualem Sansal. Il y campe Hans Schiller, un ancien nazi, qui rejoint � dans les ann�es 1950 � les maquis de l�ALN et s�installe d�finitivement dans le pays � l�ind�pendance, faisant prosp�rer dans une rigueur toute germanique un village recul� de l�hinterland o� il sera � sur le tard � massacr� par des islamistes ; il reviendra, dans un journal � quatre mains, � ses deux fils Rachel et Malric, n�s en Alg�rie et �lev�s en France, de retranscrire dans le pr�sent les apories du pass�, entre autres le nazisme, pour les entrecroiser dans les d�sastres d�un pr�sent sacr�ment islamiste. Le romancier, qui a souvent d�clar� �crire et charpenter ses �uvres � l�appui d�une vaste documentation, a �t� dans le d�ni de l�histoire de l�Alg�rie combattante et de la congruence des faits. En l�absence de statistiques sur les forces en pr�sence sur le terrain des affrontements militaires de la guerre d�ind�pendance, il est possible de relever le recrutement d�anciens soldats nazis dans la seule L�gion �trang�re, troupe de baroudeurs mercenaires de l�arm�e fran�aise. Le seul nazi avou� dans les rangs de l�ALN �tait Sa�d Mohammedi (1912-1994), engag� � Berlin dans la Wehrmacht, en 1941, officier de la Deutsche Arabische Legione, de 1942 � 1944, titulaire de plusieurs m�dailles du Reich, organisateur pendant la guerre d�Alg�rie de la tuerie, le 27 mai 1957, � la mechta Kasba, douar Beni Ilm�ne (Melouza), de 301 habitants de sexe masculin, soup�onn�s de soutien au MNA, parti de Messali Hadj. Ce que le discours d�id�e, qui d�borde la fiction chez Sansal, veut fortement assimiler par une rh�torique de la contigu�t�, c�est le rapprochement entre le nazisme et les combattants de l�ALN qui accueillent Schiller, entre l�islamisme et le syst�me. Dans Le Village de l�Allemand, le fascisme habille de vert de gris Alger tandis que les banlieues de France, terreau d�un islam mortif�re, sont rabaiss�es en camps de concentration. Les raccourcis du romancier, qui a une connaissance m�diocre de l�histoire, sont aussi tragiques que dangereux. �voque-t-il ainsi des situations extr�mes qu�il n�a jamais v�cues en Alg�rie, qui ne peuvent en rien correspondre � ce qu�ont �t� le nazisme et ses camps de la mort en Europe centrale et le totalitarisme stalinien dans l�ancienne Union sovi�tique ? Le terrorisme islamiste et ses dizaines de milliers de victimes, recens�es depuis les ann�es 1990, justifient-ils des appr�ciations cataclysmiques sur la nature de l��tat alg�rien ? Sansal n�en a cure : il est dans la perversit� s�mantique lorsqu�il restitue � ses interlocuteurs occidentaux une Alg�rie �prison � ciel ouvert� et �camp de concentration� (Gr�goire Lem�nager, 2008). Assur�ment, la plus conforme � leur lisibilit�. Comme il ne suffisait pas � Sansal, pour la promotion de son roman en France, de �taper� sur la camarilla de g�n�raux d�Alger et sur le syst�me, de guider le cours des fleuves de sang qu�irrigue, jusqu�aux cit�s fran�aises, l�islamisme, il lui a fallu aussi en rajouter dans une surench�re sur le v�cu juif, plus pr�cis�ment sur le th�me sensible de la Shoah : �La Shoah �tait totalement pass�e sous silence en Alg�rie, sinon pr�sent�e comme une sordide invention des juifs�, ass�net- il dans une sorte de bilan du Village de l�Allemand (Lem�nager, 2008). Sansal, qui serait bien embarrass� de r�unir une bibliographie du n�gationnisme en Alg�rie, aurait (presque) souhait� que l�extermination des juifs dans les chambres � gaz nazies ait ses contempteurs et qu�elle suscite des �mules de Robert Faurisson. Mensonge ? Sansal conna�t s�rement les travaux acad�miques d�Isma�l S�lim Khaznadar, qui est comme lui, et Malek Chebel, � titre personnel, membre du projet Aladin de la Fondation pour la M�moire de la Shoah, �programme �ducatif visant � lutter contre le n�gationnisme de la Shoah dans le monde arabo-musulman�. Le philosophe et math�maticien Isma�l S�lim Khaznadar (2005), professeur � l�Universit� Mentouri de Constantine, qui a b�n�fici� d�un financement de la Fondation pour la M�moire de la Shoah, pr�sid�e par Simone Veil et anim�e par Serge Klarsfeld, pour un s�jour de recherche � Auschwitz (Pologne), a publi� � en partie � ses travaux dans le revue Naqd(Alger) de l�historien Daho Djerbal. Il y a donc, en Alg�rie, dans le champ acad�mique, bien avant la publication du Village de l�Allemand, une r�flexion libre sur la Shoah qui rend l�incrimination du pouvoir alg�rien sur cette question simplement pol�mique. L�historien anglais Tony Judt (1948-2010), petit-fils de rabbins lituaniens, qui a longtemps milit� en Isra�l pour le sionisme et qui en �tait revenu, pr�venait contre la possible instrumentalisation du ph�nom�ne de la Shoah (2008). Est-il inappropri� de s�attarder sur les intentions d�auteur � subites � de Sansal s�emparant de la question juive et de la Shoah ? Avec la m�me conviction, l�auteur du Village de l�Allemand d�roule son expertise � qui fait mouche � pour le lecteur occidental qui m�conna�t la r�alit� politique de l�Alg�rie : �En avan�ant dans mes recherches sur l'Allemagne nazie et la Shoah, j'avais de plus en plus le sentiment d'une similitude entre le nazisme et l'ordre qui pr�vaut en Alg�rie et dans beaucoup de pays musulmans et arabes. On retrouve les m�mes ingr�dients et on sait combien ils sont puissants. En Allemagne, ils ont r�ussi � faire d'un peuple cultiv� une secte born�e au service de l'extermination ; en Alg�rie, ils ont conduit � une guerre civile qui a atteint les sommets de l'horreur, et encore nous ne savons pas tout. Les ingr�dients sont les m�mes ici et l� : parti unique, militarisation du pays, lavage de cerveau, falsification de l'histoire, exaltation de la race, vision manich�enne du monde, tendance � la victimisation, affirmation constante de l'existence d'un complot contre la nation (Isra�l, l'Am�rique et la France sont tour � tour sollicit�s par le pouvoir alg�rien quand il est aux abois, et parfois, le voisin marocain), x�nophobie, racisme et antis�mitisme �rig�s en dogmes, culte du h�ros et du martyr, glorification du Guide supr�me, omnipr�sence de la police et de ses indics, discours enflamm�s, organisations de masses disciplin�es, grands rassemblements, matraquage religieux, propagande incessante, g�n�ralisation d'une langue de bois mortelle pour la pens�e, projets pharaoniques qui exaltent le sentiment de puissance (ex : la 3e plus grande mosqu�e du monde que Bouteflika va construire � Alger alors que le pays compte d�j� plus de minarets que d'�coles), agression verbale contre les autres pays � propos de tout et de rien, vieux mythes remis � la mode du jour...� (Lem�nager, 2008). Affirmations extr�mes et rapi��age d�une inusable nomenclature de preuves � charge contre un pouvoir d�ment ? Dans cet �cheveau, l��crivain devrait surtout convaincre de la comparaison extr�me entre le nazisme et �l�ordre qui pr�vaut en Alg�rie� et d�imputations inv�rifiables, comme celle de �l�exaltation de la race�. � l��vidence, un tableau de peste, et peut en importe la couleur. En lisant Sansal, on n�a jamais le sentiment de vivre dans le m�me pays que lui : �x�nophobie�, �racisme�, �antis�mitisme�, �culte du h�ros et du martyr�, �glorification du Guide supr�me� : irrattrapables vices de l�enfance politique du tiers-monde r�unis dans un m�me pays. Cette repr�sentation fantasm�e de l�Alg�rie, rabattue � l�envi dans les m�dias d�Occident, l�auteur ne cesse de rappeler qu�elle s��nonce depuis Boudouaou, Alg�rie. Un pays o� se propagent d�aussi intempestifs et ineptes propos � le lien assert� avec le nazisme est ind�fendable, grossier et tapageur � ne peut �tre qu�un pays de libert�. En Alg�rie, dans un pass� si proche, les �crivains ne manquaient pas de critiquer vertement les gouvernants et de d�fier la culture l�gitime de l��tat. Omar Mokhtar Chaalal (2004) rapporte comment Kateb Yacine avait morig�n� le ministre de la Culture, Ahmed Taleb El Ibrahimi, qui pronon�ait une docte conf�rence, empreinte de solennit�, dans la salle du Th��tre national, square Port-Sa�d. Le ministre va se plaindre au pr�sident Boumediene pour lui demander de faire un sort � l�impudent chahuteur. Le pr�sident convoque Mohamed- Sa�d Mazouzi, ministre du Travail et des Affaires sociales, qui avait grandement contribu� � la cr�ation par l�auteur du Cercle des repr�sailles de l�Action culturelle des travailleurs et lui tient ce discours : �J�ai eu vent de ce qui s�est pass� entre Kateb et Taleb, alors il faut dire � Kateb d��crire, de ne pas parler, parce qu�il ne sait pas parler !� Kateb avait bien ri de cette r�partie du pr�sident et l�avait re�ue comme un hommage � son m�tier d��crivain. Aujourd�hui, les rapports entre le pouvoir et les intellectuels ont-ils chang� pour plonger dans la sombre d�r�liction ? Sansal n�est pas dans cet �change critique et loyal avec ses adversaires politiques (r�incarn�s en ennemis mythiques). L�insidieuse th�matique nazie qu�il oppose � l�Alg�rie et � l��tat alg�rien renforce-t-elle un style de �terre br�l�e� ? Dans sa guerre au syst�me, il tisonne ses mots de feu et de cendres et d�horribles souvenances d�un monde d�chu. Le paquetage du voyageur d�Isra�l La seule force qui entra�ne Sansal, qui �crase tout et agr�e toutes sortes de subterfuges, c�est la gloire litt�raire. Il est tout entier dans cet affairement o� il ne n�glige aucune ressource, � l�aune d�une furieuse app�tence de lauriers. L��crivain ambitieux a compris que pour monter au pinacle, il n�en finira pas de claquer les verges sur Alger, ses g�n�raux, ses spadassins barbus, et sur tout ce qui, par hypoth�se, d�range la communaut� juive et bient�t l��tat h�breu. Quitte � faire, par effet de r�troaction, depuis Paris, un agent stipendi� du syst�me ou un antis�mite av�r� tout critique de sa d�marche. Auteur, entre 1998 et 2011, de six romans, Boualem Sansal a re�u des r�compenses de second et troisi�me rangs pour quatre d�entre eux ( Le Serment des barbares, 1999, Prix du premier roman, Prix Tropiques ; L'Enfant fou de l'arbre creux, 2000, Prix Michel Dard ; Le Village de l'Allemand ou Le journal des fr�res Schiller, 2008, Grand prix RTL-Lire 2008, Grand Prix de la francophonie 2008, prix Nessim Habif de l�Acad�mie royale de langue et de litt�rature fran�aises de Belgique ; Rue Darwin,2011, prix de la Paix des libraires allemands). Il a conscience que de maigres accessits comme le prix des lecteurs de RTL ou une m�daille de la soci�t� des gens de lettres ne sanctifient pas le succ�s et la fortune d�un �crivain. Est-ce seulement cela la raison d�une hyperactivit� pour enraciner les �tais d�une improbable carri�re litt�raire en France ? En 2011, le prix de la Paix des libraires allemands � relativement cot�, dont il serait, toutefois, prudent de lire l�expos� des motifs qui lui a valu leur attention unanime � apporte une premi�re r�ponse et justifie cette fringale de reconnaissance jamais apais�e. Apr�s une partie de sa carri�re pass�e � confondre le pouvoir d�Alger et ses collusions avec la doctrine nazie et � pourfendre l�islamisme, pour se r�soudre, last but not least, � r�former l�islam (pour le �lib�rer, d�coloniser, socialiser�, Marianne Payot, 2011), Sansal a d�sormais le bon usage du filon juif, et son s�jour en Isra�l est le point d�orgue dans la maturation d�une posture d��crivain �opposant� et �philos�mite�, comme si le discours alg�rien �tait fondamentalement m� par l�antis�mitisme. Il ne s�agit pas ici de discuter sa libert� � et celle de tout Alg�rien � de circulation, la question qui se pose est celle de sa l�gitimit� d�auteur confabulant sur l�Alg�rie, tr�s contestable et � bon droit contest�e. Sansal a con�u une �uvre et son fuligineux discours d�escorte pour des lectorats �trangers, selon un horizon d�attente bien entendu, en dehors de toute pr�sence active, concr�tement observable, dans son propre pays. L�incoh�rence de cette position entache n�cessairement son discours et son appr�ciation politique de l�Alg�rie des derni�res d�cennies, sujet unique de ses �uvres. Autant le discours sur Isra�l de ses interlocuteurs � Tel-Aviv et � J�rusalem, les romanciers Amos Oz, David Grossman (qui sont depuis plusieurs ann�es distribu�s en Alg�rie et lus par les Alg�riens) et Avraham B. Yehoshua, int�gre le champ d�une histoire de violences r�p�t�es et en reproduit la fragmentation dans des �uvres litt�raires, c�l�br�es au premier plan par les lecteurs isra�liens, autant celui de Sansal sur l�Alg�rie, d�fini par la surcharge rh�torique sur le syst�me de pouvoir alg�rien et l�islamisme, r�unis dans la m�me d�testation, et l�antis�mitisme qui, semble-t-il, devrait caract�riser tous les Arabes, fonctionne � vide. Pour diverses raisons : 1 - R�pondant au cahier des charges de l��dition fran�aise et aux desideratas du �lecteur moyen fran�ais�, s�emp�trant dans la qualification, autrefois �pingl�e par Malek Haddad, d��Arabe de service �, Sansal n��crit pas pour les Alg�riens. Ce qu��tablirait subs�quemment une analyse du �lecteur implicite� (Wayne C. Booth, Wolfgang Iser) dans ses textes et de la figure du narrataire. 2� - Son face-�-face avec le pouvoir alg�rien � qui dans les faits n�est qu�une vue de l�esprit � s�enferme dans le path�tique. Il en vient m�me � utiliser � son endroit, comme dans un raptus, le discours de l�extermination : �On a vu alors que les dictatures sont extr�mement puissantes parce qu�une dictature, �a n�est pas un homme, mais un syst�me tr�s enracin�, et qu�il est tr�s difficile de d�sherber : m�me en utilisant les d�sherbants les plus puissants, trois mois apr�s tout repousse.� (Gr�goire Lem�nager, 2011). Curieux ces �d�sherbants puissants� que ne d�savoueraient pas les sp�cialistes de la �solution finale� ? 3� - A J�rusalem et � Tel-Aviv, que p�se Boualem Sansal, qui court derri�re le grand �uvre, qui a r�pudi� la litt�rature pour les clameurs du scandale, face � ses interlocuteurs isra�liens ? Faut-il croire que son dialogue, sur les plans politique et litt�raire, avec des �crivains isra�liens plus p�n�tr�s de leur m�tier, bien enracin�s dans leur pays, plus exigeants dans leur rapport aux situations politiques de leur pays et du Moyen-Orient, sinc�res partisans de la paix avec les Palestiniens, qui sont l�honneur de la litt�rature de leur pays, qui s�adressent aux Isra�liens en Isra�l, se satisfera des seules p�titions de principe � qu�il livre habituellement aux m�dias occidentaux � sur le nazisme, l�antis�mitisme et les Dioscures alg�riens, le syst�me et l�islamisme meurtrier, qui en seraient les pendants ? En somme, voici ce qui garnit chichement le paquetage du pr�somptueux voyageur d�Isra�l : une �uvre litt�raire accord�e aux circonstances, vou�e aux crit�res publicitaires de l�autopromotion, une �criture d�socialis�e, sans assise ni dans la soci�t� alg�rienne d�origine ni dans la soci�t� fran�aise � laquelle elle est destin�e, et un argumentaire politique parsem� de v�ux pieux et de contre-v�rit�s. Sur l�Alg�rie, Sansal a coutume de pr�senter les faits dans le canevas d�une �r�trodiction� (Paul Veyne), jouant sur l�ambivalence d��v�nements du pass� et sur leur insertion dans le pr�sent et dans l�avenir. Il lui suffit ainsi de penser comme probable la relation dans le pass� des Alg�riens au nazisme, � l�antis�mitisme, � l�islamisme, pour qu�elle devienne vraie dans leur pr�sent ou qu�elle trouve confirmation dans leur avenir. Cependant, l�histoire enseigne qu�� quelques exceptions notables (Abdellali Merdaci, 2008), l�Alg�rie et les Alg�riens ne sont pas des z�lateurs du nazisme, cela est connu depuis les positions de Messali Hadj et du PPA sur cette doctrine pendant la Seconde Guerre mondiale ; ni les fourriers de l�antis�mitisme : ce sont les populations, les �lites indig�nes et leurs partis, toutes sensibilit�s confondues, qui se sont solidaris�s avec les juifs d�Alg�rie lorsqu�ils perdaient leur statut de Fran�ais et �taient mis au banc de la soci�t� coloniale par l�Etat fran�ais de Vichy. En mai 1922 d�j�, dans cette soci�t� coloniale qui les a divis�s, La Voix des Humbles, organe des instituteurs alg�riens d�origine indig�ne, relevait dans son �ditorial- programme : �On ne saurait donc trop bl�mer ceux qui manifestent le m�pris de l�Arabe et du juif et qui provoquent de regrettables actes de vengeance.� (Abdellali Merdaci, 2007). Les Alg�riens ont �t�, par dizaines de milliers, les premi�res victimes dans le monde de l��mergence d�un islamisme d�l�t�re, qui continue � menacer leur nation et leur unit�. Des attentes de cons�cration Sansal ne peut �tre, pour l�Alg�rie, le Vassili Grossman (1905- 1964) de Vie et destin, ouvrage longtemps interdit en Union sovi�tique, dont la version int�grale est publi�e en Europe en 2005. Si le parall�le entrepris par l��crivain ukrainien entre le nazisme et le stalinisme, leurs charrois de morts, leurs camps d�extermination et leurs goulags, correspond � des histoires qui r�vulsent l�humanit�, comment le rendre objectif pour l�Alg�rie ? La strat�gie de communication de Sansal repose sur la d�composition du langage, sur l��vitement des proc�dures de v�ridiction des mots, sur l�effondrement du sens. M�me si formellement, rien ne rattache, depuis sa cr�ation en 1962, l�Etat alg�rien, ses textes fondamentaux et ses pratiques au nazisme et � l�antis�mitisme, � leurs milices fascistes, � leurs camps, la charge destructrice de ces mots est prescrite par l��crivain dans l�image fantasm�e de l�Alg�rie qu�il construit et qu�il fait valoir � l��tranger. Dans le pays ind�pendant, qui croit � sa litt�rature nationale, l�auteur du Village de l�Allemand, plus pr�occup� par Paris, Francfort et d�sormais Tel-Aviv, pense, �crit et vit la litt�rature dans une conscience typiquement fran�aise. Cette forme d�ali�nation n�ocoloniale oriente les conduites du romancier en en agr�geant les effets de r�clame � nombreux, disparates et cumulatifs. D�bite-t-il � l�envi �nazisme� et �camps� alg�riens, s�accrochant d�sesp�r�ment � un succ�s de scandale ? T�t � ou tard �, cette op�ration de d�molition par la fiction (et par les d�clarations m�diatiques qui la supportent) du monde r�el alg�rien sera payante. Le voyage d�Isra�l confortera � � court terme � les attentes de cons�cration de l��crivain dans le champ litt�raire germanopratin, au b�n�fice d�une posture litt�raire rageusement h�r�tique, mais en d�finitive bien factice, parce que Sansal qui vitup�re � Paris n�existe pas � Alger. Cette posture litt�raire, si elle amplifie une �uvre et une carri�re � tourn�es vers l��tranger �, reste sans lendemain ; elle confinerait, � terme, � l�extraordinaire imposture litt�raire, au demeurant tr�s borg�sienne, d�un �crivain fictif. Il n�y a pas chez Sansal une assignation au champ litt�raire alg�rien, � ses comp�titions et � ses enjeux de captation de l�gitimit� et de pouvoir symbolique. Pour faire entendre la voix (litt�raire et politique) de l�Alg�rie en Isra�l ou partout ailleurs dans le monde, il aurait fallu que Boualem Sansal n�excipe pas seulement d�une adresse en Alg�rie, comme il se pla�t � le marteler, mais aussi qu�il y trouve un lieu d�expression cardinal dans la complexe maturation de sa litt�rature nationale, loin des foucades et des incantations. L�exploitation carri�riste par Sansal du v�cu juif, le tropisme isra�lien, la solidarit� envers l��tat d�Isra�l et le sionisme qui en d�coulent, accentu�s depuis la publication du Village de l�Allemand, doivent au plan de carri�re et � ses ind�montables crescendos r�gl�s aux impulsions de Paris, aux accommodements d�une pose devant la gloire et � ce qui demeure un p�rilleux ego. L��crivain, plus que l�homme, qui a fait le choix de la fortune de l�oppresseur contre la souffrance de l�opprim�, devra l�assumer face au silence bless� des enfants de Palestine, aux plaies toujours vives et aux d�combres de Ghaza aux tombes ouvertes.