Th�niet-El-Had � Zone III � Wilaya IV Mod�le. Malgr� la torture, les arrestations massives, les �corv�es de bois� o� des prisonniers sont pass�s de vie � tr�pas, une balle dans le dos. Malgr� la situation pr�caire dans laquelle vivaient les maquisards o� le manque d�armement, de munitions, d�habillement et de quoi s�alimenter se faisait ressentir d�une mani�re cruciale alors qu�en face les militaires fran�ais, forts par leur nombre, b�n�ficiaient de l�arsenal de l�Otan et mangeaient � leur faim, l�ALN donnait toujours, durant cette fin de printemps 1957, du fil � retordre [1] aux troupes du colonel De Schacken, chef du Secteur militaire de T�niet-El-Had. Durant cette m�me p�riode, deux batailles furent engag�es : l�une au lieudit Matmar- Lahmar [2] entre le 14e Dragon et la Katiba El Hassania qui r�ussit l�exploit d�abattre un avion T6 et se replier sur Amrouna, laissant le commandant Audrey, l�un des adjoints de De Schacken, �cumant de rage. L�autre bataille eut lieu au mois de mai 1957 au lieudit Sidi-Bakhti, dans le 1er Secteur FLN/ALN, o� un bataillon de l�ALN fut accroch� par 140 B�rets noirs � l�issue de laquelle 4 militaires fran�ais ont �t� fait prisonniers dont un officier et 30 B�rets noirs �limin�s. A la suite de ces cuisantes d�faites qui n�ont pas �t� dig�r�es par le colonel De Schacken, une importante op�ration de recherche eut lieu quelques mois apr�s o� le 11e Partisan, le groupement nomade de Th�niet-El-Had, le r�giment du 14e Dragon et le 5e Chasseur, v�ritable t�te chercheuse de l�aviation, ont accroch� la Katiba El Hassania soutenue par le fameux commando zonal �Si Djamel� � Amrouna. Les pertes ont �t� s�rieuses dans l�un comme dans l�autre camp. Malgr� le nombre de chouhada, le r�sultat de cette bataille fut une victoire plut�t psychologique pour les moudjahidine. En �coutant Cheikh Bouras chanter les d�port�s � Cayenne Pour r�pondre aux militaires fran�ais, le chef de R�gion FLN/ALN de Ghil�s prit la d�cision d�entreprendre une action kamikaze de tr�s haute importance avec � la clef un retentissant impact psychologique. Il fut d�cid� le mitraillage du centre-ville de Th�niet- El-Had. C�est une fa�on de dire aux Fran�ais qu�� Th�niet-El-Had, la R�volution avait le don de ressusciter. Elle est pr�sente l� o� on s�attend le moins. Nous sommes le 2 juin 1957, c��tait une matin�e relativement chaude d�un dimanche, jour de march� hebdomadaire. Les commer�ants ambulants emplissent petit � petit le boulevard de Taza et la rue Margueritte de leurs �talages aux mille couleurs. Au caf� Timouli, les paysans pr�f�rent les nattes en alfa aux bancs branlants pour s�asseoir en demi-cercle autour d�un th� en �coutant religieusement la m�lancolique chanson de Cheikh Abdelkader Bouras chantant les nationalistes alg�riens d�port�s � Cayenne. Les discussions se perdent quelquefois dans les m�andres des �on-dit� relatifs � la fameuse bataille de Sidi-Bakhti � Amrouna qui vient d��tre termin�e. En l�espace d�une journ�e, le boulevard de Taza, dans toute sa longueur, devient un grand souk. Le centre-ville est pris d�assaut par les colons et des militaires en permission, attabl�s � la terrasse du bar Rosfolder et Solb�s. De jeunes Europ�ens d�ambulent en groupes le long du boulevard, d�autres adoss�s � la murette du jardin public attendent l�ouverture du foyer rural. Une patrouille de militaires, � leur t�te Zerigui au regard anesth�siant, arpente lentement le trottoir, pr�c�d�e par le half-track. Elle passe devant G�rard Pastou, �l�ment de la Garde territoriale, adoss� au mur de la mairie, mitraillette en bandouli�re. Une voiture blanche de marque Vedette ayant � son bord trois personnes descend � vitesse mod�r�e le boulevard. Elle croise le half-track au niveau du monument aux morts. La voiture appartenait au ca�d Berradja, originaire de Taza, et �tait souvent conduite par son fils Ahmed qui habitait Th�niet- El-Had. Mais ce jour-l�, elle a failli �tre arr�t�e par l�officier de police communale, Daguenet, qui semblait avoir des doutes sur la mine des passagers. A la derni�re seconde, il se ravisa et continua son chemin. Il s�est peut-�tre dit que les occupants sont des parents du ca�d. En arrivant � hauteur du CFAT [3], la voiture s�emballa, le moteur rugit et le bolide fon�a � toute berzingue vers le centre-ville. Un moment apr�s, plusieurs rafales de mitraillette d�chir�rent le silence de cette matin�e dominicale, sortant de leur l�thargie les endimanch�s du bar Rosfolder. Flash-back Haouch Nouar s�est r�veill� t�t le matin juste apr�s la lev�e du couvre-feu pour lib�rer ses occupants. Si ce n��tait sa cour int�rieure admirablement fleurie par tout le voisinage, Haouch Nouar ressemble, � partir de dix-huit heures, � une grande prison qui enferme dans sa douce fraternit� ses pensionnaires. Le matin de cette journ�e, Ahmed, fils a�n� du ca�d Berradja Boua�bdela, s�appr�tait � faire d�marrer sa voiture-taxi, de marque Vedette, aux formes arrondies, pour entamer cette radieuse journ�e prometteuse car jour de march� hebdomadaire. La t�te sous le capot, il r�pondit n�gligemment � un �ni�me �salam-�liekoum� anonyme. Mais la personne qui l�a salu� reste debout devant la voiture. Ahmed leva doucement la t�te vers l�inconnu qui lui sourit. � �Ce sera pour une course-taxi jusqu�� Taza, ya Si Ahmed.� Ahmed se redressa et c�est � ce moment-l� qu�il s�aper�oit de la pr�sence, un peu en retrait, de deux autres inconnus. La �kachabia� de l�un d�eux dissimulait mal sa Mat 49. Ahmed comprit tout de suite qu�il s�agissait de maquisards venant s�rement du maquis de Sidi-Daoud, car au-del� de Haouch Nouar, c��tait la rase campagne de Ghil�s. Aussi, Ahmed a eu plusieurs fois l�occasion de faire de telles rencontres, ce qui explique son sang-froid. � Nous sommes des �fiday�n� ALN. Nous ne vous ferons aucun mal si vous nous suivez. Nous avons uniquement besoin de votre voiture. Pas de geste inconsid�r�, disait gravement l�un d�eux. Pris au d�pourvu, cela ne l�a pas emp�ch� d��tre scl�ros� par une peur qui l�envahit soudainement. Ahmed et Bouabdellah, son p�re, sont pourtant des soutiens sans faille � la R�volution. Ils ont de tout temps r�pondu aux attentes de l�ALN. Rares �taient les ca�ds de la r�gion qui �taient des supp�ts de l�arm�e fran�aise. C��taient plut�t des fonctionnaires rattach�s aux diverses administrations (tribunal, services communaux, commune mixte) comme ce fut le cas des ca�ds Khebizi Ahmed et Messabis. Quelques-uns avaient en charge l�administration des douars (ca�d Berradja) chez qui les moudjahidine trouvaient le g�te et le couvert. D�autres, par contre, �taient carr�ment acquis au service des S.A.S. de l�arm�e coloniale, dont le plus connu �tait le bachagha Zitouni. Quelques minutes plus tard, la voiture d�marra en direction de Taza, avec au volant Ahmed. Il est sept heures du matin. Arriv�e � mi-chemin de Taza, la Vedette blanche longea un oued encaiss� au fond d�un val. Elle est maintenant � l�abri des soldats de la gu�rite qui se trouve sur un piton dominant une agglom�ration. La voiture s�immobilisa et, pour ne pas compromettre son propri�taire, on se mit d�accord pour le ligoter, le b�illonner et l�installer dans le coffre de la voiture. L�un des maquisards prend le volant et fait demi-tour. Comme pour faire d�une pierre deux coups, ils s�arr�t�rent dans leur course effr�n�e, en retrait de la ferme Fernand Gu�ri entre Th�niet-El-Had et Trolard Taza, incendi�rent la remise et une aile d�habitation. C��tait une occasion r�v�e pour �liminer le propri�taire, Gu�ri, qui a toujours manifest� ses sentiments de haine contre l�Arabe et qui traitait les saisonniers indig�nes travaillant dans ses champs d�une mani�re inhumaine. Fernand pr�f�rait fouetter � mort un employ� indig�ne de sa ferme [4] que de donner le fouet � une b�te de somme. Mais, ce jour-l�, Fernand �tait absent. Apr�s avoir incendi� la ferme, ils prennent la direction de Th�niet-El-Had, o� ils arriv�rent � neuf heures au col surplombant le village. Ce jour-l�, Gaston Formonto donnait une r�ception dans son restaurant � l�occasion du mariage de sa fille Arlette avec le jeune Galb�s. Cette r�ception pr�c�da un buffet dansant qui devait avoir lieu au foyer rural. Aujourd�hui, Gaston a invit� tous les intimes pour une r�ception dans son �tablissement. La f�te bat son plein au bar-restaurant. Le champagne coule � flots, les filles �taient belles, surtout Paulette Esposito, qui, � chaque occasion, ne manquait pas d�occuper le podium de la beaut� tout en faisant les yeux doux � son petit ami Francis. Le p�re de Paulette �tait un artiste-peintre, mais il avait l��me d�un tueur. Les jeunes ne se sont pas priv�s de tcha-tcha-tcha et d�un twist effr�n� sous le regard amus� des parents qui attendent l�ouverture du buffet froid. Ils r�servent leur �nergie pour de langoureuses valses durant cet apr�s-midi. Une musique douce, tendre et quelquefois bruyante envahit la rue Margueritte et le centre-ville. C��tait l�insouciance, le bien-�tre et l�abondance de biens. Et le village n�gre regarde d�en haut, les yeux tristes, la manifestation de l�opulence, la somptuosit� et la douceur feutr�e dans lesquelles vivent les Fran�ais. Il est dix heures quarante-cinq. Sit�t arriv�e � hauteur de la banque, la Vedette s�emballa, le moteur rugit, impitoyablement malmen�, les roues labourent l�asphalte et la voiture prend de la vitesse. Un canon de mitraillette Mat 49 sort subitement de la vitre arri�re et l�che une rafale atteignant le jeune et non moins cruel G�rard Pastou qui venait tout juste de traverser le boulevard apr�s avoir pris son verre de champagne chez Formento. G�rard �tait un membre des plus virulents des Territoriaux et �tait tout le temps arm� de sa mitraillette Sten. Ce jour, il �tait en faction devant le si�ge de la mairie. C��tait son tour de garde. Il ne r�sista pas � l�envie d�aller au bar pour apaiser le �creux de dix heures� avec de la k�mia qu�il poussa avec du champagne Mo�tt Et Chandon. Il sortit avec regret pour se poster en face du barrestaurant. C�est l� qu�il re�ut une flop�e de balles qui le pli�rent en deux. L�autre moudjahid l�cha � son tour une rafale qui, malheureusement, fit un bless� indig�ne. Le �stacato� des armes fit sortir les invit�s de chez Formento. Le carrefour s�emplit de colons alors que les quelques Arabes qui d�ambulaient dans les parages s��clips�rent dans les d�dales des venelles. La nouvelle s�est r�pandue dans le souk. Les magasins sont vite ferm�s dans un vacarme de bruit de portes malmen�es. �L�essentiel pour nous �tait d�installer la terreur dans le camp ennemi� La rue Margueritte est devenue d�serte en un temps record. C��tait impressionnant de voir une rue d�serte alors que dix minutes auparavant elle �tait noire de monde. La foule d�sorient�e et tumultueuse s��tait enfuie � travers les rues Sidi- Ferruch et Mexico et de l� vers le village n�gre o� les fuyards avaient la chance de ne pas se faire prendre. Les portes s�ouvraient et se fermaient pr�cipitamment sur les fuyards. Ceux qui n�avaient aucune possibilit� de se cacher se collaient aux murs, t�tanis�s par la peur d��tre pris. En entendant la rafale de mitraillette, Solb�s sortit de son magasin et interrogea d�un regard hypnotis�, Andr� Pastou, son voisin d�en face au seuil de son bazar. Il fut surpris soudainement par une mar�e humaine qui courait �perdument venant du centre-ville � la recherche d�un abri. En appr�hendant l�intervention de la patrouille territoriale, il ouvrit largement le portail donnant acc�s � la cour, derri�re le magasin et invita pr�cipitamment la foule bigarr�e � y entrer. La Vedette est maintenant au niveau du bar Marty. Au premier claquement des balles, Nicole le bossu sortit du garage de son fr�re, pistolet en main. Le centre-ville s�emplit de colons l�air belliqueux. Les uns criaient des ordres confus, les autres r�clamaient une ambulance ou une voiture pour le bless�. L�attentat aurait d� �tre beaucoup plus meurtrier qu�il ne l�a �t�. Dans la confusion qui a suivi l�attentat, Djillali Triki, qui tenait un magasin en face de la Mairie, s�appr�tait furtivement � s�enfermer dans son magasin quand un colon fait irruption, arme au poing, un rictus lui barrait affreusement le visage d�form� par la haine. Et, sans �tat d��me, d�chargea son pistolet � bout portant sur le malheureux Djillali qui s�affala derri�re la porte. Une automitrailleuse prit en chasse la Vedette qui, suivant un plan bien pr�cis et pr�alablement �tudi�, s�engagea dans la piste de �Hazouta� o� elle fut abandonn�e en haut d�un piton surplombant Amrouna, fief de la Zone III de la Wilaya IV. Le tireur de l�automitrailleuse eut le r�flexe, pour parer � toute �ventualit�, de tirer une rafale de sa mitrailleuse 12/7 sur la voiture � l�arr�t. On d�couvrit apr�s mille pr�cautions d�approche, le cadavre du malheureux Ahmed gisant dans une mare de sang, atteint de plusieurs balles, le visage d�chiquet�. Les trois moudjahidine �taient d�j� loin, absorb�s par la dense v�g�tation des monts d�Amroun. Le lieutenant-chef de R�gion s�attendait � un carnage car d�apr�s les agents de liaison, tous les dimanches, en milieu de matin�e, la placette de la mairie ne d�semplissait pas. Mais ce jour-l� beaucoup de colons faisaient la f�te � l�int�rieur du bar-restaurant. Sauf G�rard Pastou. � �L�essentiel pour nous �tait d�installer la terreur dans le camp ennemi, de ne leur laisser aucun moment de r�pit. L�attentat en lui-m�me et les autres actions du �fida� perp�tr�s � Th�niet- El-Had [5] laiss�rent un impact psychologique sur l�ennemi, d�j� qu�� la suite de cet attentat � la Vedette nous p�mes �liminer un des plus virulents des Territoriaux, c��tait une �crasante victoire morale�, me disait, en 1980, Hadj Boutouchent Cheboub, militant et moudjahid de la premi�re heure. Dans la gu�rilla, la victoire d�une action n�est pas n�cessairement dans le nombre de tu�s ou dans la conqu�te d�un territoire. Le pouvait-on ? Elle r�side dans l�impact psychologique qu�elle engendre. Les grenades utilis�es lors des attentats commis � Th�niet-El-Had dataient de la derni�re guerre. La plupart de ces engins �taient des p�tards qui avaient pour but essentiel de mettre dans la t�te des Fran�ais l�omnipr�sence de ceux qui sont d�termin�s � arracher leur libert� au prix du sang. Les emmener � penser dans leur intime conviction que t�t au tard l�ind�pendance de l�Alg�rie sera le seul but de la R�volution et ceci quel que soit le mat�riel de guerre employ� ou le nombre de militaires ennemis engag�s sur le terrain. 1957 a �t� l�ann�e � partir de laquelle T�niet-El-Had connut une recrudescence d�attentats � la grenade. Des vagues d�arrestations s�ensuivirent. Plusieurs civils furent arr�t�s et emmen�s � A�n Sfa, � Tissemsilt ou � la caserne-forteresse de Th�niet-El-Had, o� ils furent atrocement tortur�s. Plusieurs d�entre eux furent assassin�s. La phobie des �actes terroristes� s�installa alors dans le camp fran�ais. Les portes et les fen�tres des villas du �Filedj Djedid� [6] furent grossi�rement grillag�es. On se retourne toujours en croisant dans la rue un indig�ne. Des treillis de fil de fer barbel� firent leur apparition s�parant le centre-ville du reste des quartiers indig�nes. La chasse � l�indig�ne s�intensifia. La peur entra dans la ville et a envahi les deux camps. Jusqu�� justice soit faite. Elle le sera en 1962. M.-R. Y. retrait�, fils de chahid [1] �Le torrent et la digue� du g�n�ral Massu. [2] Lieudit (Silo rouge). [3] Cr�dit foncier d�Alg�rie et de Tunisie. [4] Il s�agit de cheikh Bouziane qui a �t� fouett� presque � mort par Fernand Gu�ry pour avoir suspendu sa veste � une pi�ce de la moissonneuse qui a cass� (la pi�ce �tait d�j� ab�m�e). Cette histoire nous a �t� rapport�e par Abderrahmane Rezzoug. [5] Quatorze attentats au total. [6] Quartier europ�en. � NOS LECTEURS Un texte � faire passer dans �Vox Populi� ? : [email protected] ou [email protected]