CAN-2025 U20 (Zone UNAF) 4e journée (Tunisie-Algérie) : victoire impérative pour les "Verts"    Sansal, le pantin du révisionnisme anti-algérien    Ghaza : 25 Palestiniens tombés en martyrs dans des frappes de l'armée sioniste    L'OCI salue les mandats d'arrêt de la CPI contre deux responsables de l'entité sioniste    Startups : Les mécanismes de financement devraient être diversifiés    Jeux Africains militaires–2024 : l'équipe nationale algérienne en finale    Organisation du 20e Salon international des Travaux publics du 24 au 27 novembre    La Révolution du 1er novembre, un long processus de luttes et de sacrifices    70e anniversaire du déclenchement de la Révolution : la générale du spectacle "Tahaggart ... l'Epopée des sables" présentée à Alger    Nécessité de renforcer la coopération entre les Etats membres et d'intensifier le soutien pour atteindre les objectifs    Accidents de la circulation en zones urbaines: 11 morts et 418 blessés en une semaine    Entrée prochaine de la première startup à la Bourse d'Alger    Le Conseil de la nation prend part à Montréal à la 70e session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN    Le ministre de la Santé met en avant les progrès accomplis par l'Algérie dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens    Khenchela: 175 foyers de la commune d'El Mahmal raccordés au réseau du gaz naturel    Le Général d'Armée Chanegriha préside la cérémonie d'installation officielle du Commandant de la 3ème Région militaire    Foot féminin: maintenir la dynamique du travail effectué pour bien préparer la CAN-2025    Palestine: des dizaines de colons sionistes prennent d'assaut l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa    JSK – PAC en amical le 21 novembre    La liste des présents se complète    Combat de la spécialité muay thai : victoire de l'Algérien Mohamed Younes Rabah    Poutine a approuvé la doctrine nucléaire actualisée de la Russie    L'entité sioniste «commet un génocide» à Ghaza    Liban : L'Italie dénonce une nouvelle attaque «intolérable» de l'entité sioniste contre la Finul    Un nourrisson fait une chute mortelle à Oued Rhiou    Sonatrach s'engage à planter 45 millions d'arbres fruitiers rustiques    Campagne de sensibilisation au profit des élèves de la direction de l'environnement de Sidi Ali    Sonatrach examine les opportunités de coopération algéro-allemande    Semaine internationale de l'entrepreneuriat    La 3e édition du salon «Algeria WoodTech», prévue du 23 au 26 novembre    Il y a 70 ans, Badji Mokhtar tombait au champ d'honneur    L'irrésistible tentation de la «carotte-hameçon» fixée au bout de la langue perche de la Francophonie (III)    La femme algérienne est libre et épanouie    Les ministres nommés ont pris leurs fonctions    «Dynamiser les investissements pour un développement global»    Le point de départ d'une nouvelle étape    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



50e ANNIVERSAIRE DE L�IND�PENDANCE
LA FIN TRAGIQUE D�UNE CELLULE OCFLN[1] (2e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 05 - 2012


A mon p�re.
A tous ceux qui sont tomb�s au champ d�honneur
Pour que vive l�Alg�rie libre et ind�pendante.
M.-R. Y.
En cet apr�s-midi de septembre 1958, le choc �motionnel que j�ai subi du haut de mes dix ans est rest� grav� dans ma m�moire. Un psychodrame jou� en deux actes qui hante quelquefois mes nuits. L�arrestation de mon p�re et, deux mois apr�s, une sc�ne que l�enfant que j��tais n�as pu soutenir �tant donn� mon jeune �ge : ma m�re, le visage noir de suie, se frappant cruellement les cuisses et la poitrine, se griffant les joues en pleurant son mari assassin�. Ma pauvre m�re, ma pauvre Yamena �tait m�connaissable. Le cliquetis de la vieille machine Singer donnait une triste atmosph�re � cette ambiance lourde de m�lancolie. Ma m�re s��tait allong�e devant Nadia qui s��tait assoupie. Moi et mes fr�res jouons calmement dans une totale insouciance. Soudain, dans le silence de la nuit, une lointaine salve de coups de feu d�chira le silence. Ma m�re redressa brusquement son buste : �Votre p�re !� Ma grand-m�re arr�ta sa machine, comprenant le sens de l�expression de sa belle-fille. Elle resta un moment p�trifi�e, puis repoussant sa machine, elle s�entoura des enfants qui ne comprirent rien � ce revirement de l�ambiance. Tout le monde resta fig�, t�tanis�. J�interroge des yeux ma m�re et ma grand-m�re sur ce qu�il vient de se passer, esp�rant une explication. Le temps s�est arr�t�, il ne veut plus avancer. Nous nous sommes tous couch�s. Mais ma m�re passa une nuit blanche. Elle s�est s�rement imagin�e plusieurs suppositions pouvant donner des explications � la salve de coups de feu. Ce n�est peut-�tre qu�une fausse alerte, parce que les militaires avaient pris l�habitude de tirer sur n�importe quoi, surtout durant les rondes de nuit. N�ont-ils pas tir� r�cemment sur un attard� mental qui �tait sorti apr�s le couvre-feu ? Ne serait-ce pas un tir de diversion des maquisards pour d�tourner l�attention de la patrouille du char ? Ou peut-�tre� Ahmed� Le lendemain, ma m�re rassembla toutes ses forces physiques d�j� chancelantes et alla, t�t le matin, aux nouvelles, mue par une pr�monition d�un grave �v�nement. Elle se pr�senta � la caserne, la peur au ventre, les jambes flageolantes. L�officier lui dit d�aller voir � la gendarmerie pour de plus amples renseignements. Arriv�e � la gendarmerie, le brigadier lui r�pondit sans aucun �tat d��me, le plus cyniquement possible : �Ton mari a voulu s�enfuir de la caserne, on l�a canard� !� La Ve R�publique de De Gaule venait de marquer son instauration par des crimes et notamment l�assassinat des trois derniers membres d�une des cellules OCFLN de la ville, fusill�s tous les trois au pied des cypr�s qui existent toujours � c�t� de la chambre o� moi et mes camarades d�infortune avions vu pour la derni�re fois nos p�res. Ahmed Yahiaoui, Daoud Tergou dit �Agu�de� et Daoud Moussaoui sont tomb�s cette nuit-l� au champ d�honneur. Et cette nuit-l�, le temps s��tait arr�t� pour eux lorsque la porte de leur cellule s�ouvrit brutalement. Une horde sauvage fit irruption dans la salle o� �taient enferm�s les trois supplici�s, couch�s � m�me le sol humide, g�missant et pansant leurs blessures. �Leurs visages �taient �corch�s. Ils n�avaient plus de cils, les l�vres �taient fendues, les joues taillad�es�, me disait un jour Mohamed Haddad, qui a eu la lourde t�che de les enterrer. Ils ont subi pendant quatre jours d�inqualifiables s�ances de torture allant de la baignoire et de �l�h�licopt�re � � la fameuse �g�g�ne� ex�cut�e par leurs tortionnaires assouvissant ainsi leurs instincts sadiques dans une salle pleine de remugle d�o� s��chappaient les odeurs de chair br�l�e. Mohamed Haddan t�moigne : �C�est � coups de crosse et de cris que les soldats ont fait sortir les supplici�s encore sous le choc des tortures de l�apr�s-midi. Ils form�rent une file indienne d�sarticul�e et path�tique qui fut men�e, sous un tonnerre d�injures et une pluie de coups, vers des cypr�s. Vers la Gloire.� Ils les attach�rent chacun � un arbre. �El Hamdou Lillah[7] �c�est la fin tant esp�r�e. Le calvaire va prendre fin. Nous allons enfin nous acquitter du tribut du sang pour que nos enfants soient libres et ind�pendants�, aurait pu dire mon p�re. Tergou, Yahiaoui et Moussaoui, sont, telles des statuts, fig�s, presque sans vie ni teint. Dignes. Avec peut-�tre m�me un sourire narquois au bout des l�vres qui semblait dire � cette horde sauvage : �Tirez, nous vous offrons volontiers nos poitrines nues pour que vive l�Alg�rie.� Pour lib�rer Th�niet-El-Had. Ont-ils eu le temps de s�imaginer qu�un certain mois de Juillet allait ouvrir les bras aux fils de Novembre, � tout un peuple meurtri, � l�euphorie de l�ind�pendance, l�embl�me national imp�tueux flottant avec fiert�, le rire des enfants, les youyous des femmes et les larmes des hommes longtemps retenues par dignit� devant l�ennemi. Tout ce peuple opprim� savourant enfin la libert� gr�ce � leurs fr�res tomb�s au champ d�honneur. Le pass� de Yahiaoui l�a rattrap� in extremis : Rachid, Nadia, Yamena, Mama, Ghania qu�il ne verra jamais. Dieu le Tout- Puissant... Il n�y a de Dieu que Dieu et son Proph.... Une salve de coups de feu arr�ta net le film et la Chahada[8]. Les balles firent l�effet d�un tisonnier chauff� � blanc qu�on enfonce dans la chair mais mon p�re ne sentit aucune douleur parce que la camarde avait commenc� son �uvre destructrice, �Une belle et douce mort�, comme l�a si bien dit le po�te. Toujours selon Mohamed Haddad : �Sa t�te tomba sur sa poitrine ensanglant�e. Ses mains li�es derri�re son dos retiennent fermement son corps presque debout.� M�me � demi-mort, Ahmed est rest� perpendiculaire � la terre, il n�a pas pli�. Mais� l�acier a fini par plier sous le feu. Dans un ultime effort, avec le peu d��nergie qui lui restait, il essaya de relever la t�te, les yeux � demi-ouverts, regarda les soldats en ayant l�air de dire : �Tirez, bande d�assassins, tirez encore.� Et vint le coup de gr�ce donn� par le chef de la police communale, le tristement c�l�bre Daguenet qui s�est jur� d�avoir les t�tes de ces �fellagas en civil�. Et un pan entier du silence divin, �ternel, tomba doucement caressant le martyre des trois corps. C��tait un assassinat pur et simple, la corv�e de bois comme aiment � dire les militaires dans leur jargon. Lors de cette ex�cution, il n�y avait ni juge, ni avocat, ni imam, ni commissaire. Auquel cas, c�aurait �t� l�ex�cution d�un arr�t de justice, mais comme il n�y avait pas de justice, les supplici�s, qui �taient eux-m�mes la Justice, �taient seuls devant une bande de criminels. C��tait un crime odieux contre les derniers membres d�une cellule OCFLN. La France d�alors ne devrait pas �tre connue uniquement � travers Moli�re, Renoir, Pasteur ou Berlioz ou � travers ce qu�elle pr�tend �tre : le pays des droits de l�Homme, un monde civilis�. Non, nous ne sommes pas des �Fran�ais � part enti�re�, terme cher � de Gaule qui n�avait rien compris ou n�a pas voulu comprendre le drame alg�rien parce que nous ne sommes pas libres. Nous ne sommes pas �gaux. Il n�y a aucune fraternit� entre nous. Tout nous s�pare. Quand ils dirent : France, nos anc�tres les Gaulois, Vercing�torix, Clovis, Jean Moulin, l�occupation de la France par les Nazis, les fours cr�matoires. Nous d�mes : Alg�rie, nos anc�tres les Berb�res, Jugurtha, Micipsa, Masinissa, Abane Ramdane, Larbi Ben M�hidi, l�occupation de l�Alg�rie par la France, les enfumades du Dahra et de l�Ouarsenis. Tout nous s�pare. Non ! Non et NON ! La France, dans les colonies, c�est la mort, la d�solation, les enfumades, le g�nocide, les pleurs des orphelins, la pauvret�, l�end�mie, la mis�re. C�est Massu, Bigeard, Soustelle, Le Pen, le sergent Michel et sa chienne dress�e savamment contre l�Arabe. C�est la d�ch�ance humaine. Des �mes souill�es. Les soldats les d�tach�rent et les jet�rent p�le-m�le sous une b�che. Un lourd silence s�abat sur cette sc�ne morbide, sous les cliquetis des culasses qu�on r�arme et les rires des soldats ressemblant aux grognements de porc qui sentaient le gros pinard. Un effroyable silence s�abat sur les cadavres apr�s le d�part de l�homme civilis�. �H�las ! Ai-je pens�, malgr� ce grand nom d�Hommes, que j�ai honte de nous, d�biles que nous sommes.�[9] La Paix divine enveloppa de son aura ces corps meurtris. On n�a pas le choix, parce que notre ind�pendance doit passer par le sang. �Les Fran�ais sont venus par le sang, nous gagnerons l�ind�pendance par le sang.�[10] Ne pleurez plus, enfants de Chahid. F�tus de paille que vous �tes devant ces militaires au c�ur m�canique, cruels et puissants, qui vous ont ravis de l�affection de vos p�res. Ne pleurez pas mais plaignez leurs enfants qui h�riteront d�un nom de bourreau, d�assassin, qui sera condamn� par l�Histoire. Le nom de vos p�res sera aur�ol� du prestige de martyr. Vos p�res ont all�grement franchi le seuil du Paradis. Leur souhait le plus cher �tait �la douceur et la beaut� de mourir pour la Patrie�[11]. Notre Alg�rie sera g�n�reuse parce que ch�rement acquise et d�barrass�e ainsi de cette horde sauvage. Ne pleurez plus, la peur dispara�tra. N�oubliez surtout pas d�alimenter les m�moires et n�oubliez pas le pass�. En cette nuit de septembre 1958, les mains du colonel De Schacken sont rouges de sang. Il venait d�ex�cuter � la lettre l�app�tit macabre de ses sup�rieurs en �cassant du militant communiste�. Comme le soutient notre ami Khaled Bensma�n[12] : �Salan, Massu et consorts n�ont jamais dig�r� la d�faite d�Indochine face au communisme. C�est avec cette aversion contre une telle doctrine et une appr�hension diffuse d�essuyer une deuxi�me d�faite qu�ils s�attel�rent � combattre les communistes alg�riens en leur r�servant un r�gime sp�cialetorture, beaucoup plus atroce, ou en les liquidant purement et simplement, comme ce fut le cas de Maurice Audin, Laban, etc.� [13]. Yahiaoui, Tergou, Moussaoui n�ont pas �chapp� � cette folie meurtri�re. Le lendemain, Mohamed Hadane, le c�ur bris� par l��motion, a eu la p�nible t�che de mettre les corps dans un camion pour les enterrer dans une fosse commune au cimeti�re de Sidi Bendjelloul. Le tableau de
chasse des bourreaux est plein de croix. C��taient les trois derniers �communistes� OCFLN � �tre liquid�s. Ils venaient d�entrer dans l�Histoire de Th�niet-El-Had par la grande porte. La ville s�est brusquement vid�e de ses enfants. Septembre noir. En rentrant � la maison, ce 23 septembre 1958, une sc�ne effroyable m�accueillit. Debout au milieu de la cour, ma pauvre m�re entour�e de mes tantes, de ma grand-m�re et de plusieurs femmes en pleurs, le visage noir, enduit de suie de chemin�e. C��tait une occasion impos�e pour ces femmes de crier leur rage contre l�oppresseur, contre la morbidit� de ce cruel et sanguinaire pr�sent. Ma m�re �tait dans un �tat second. Elle se frappait la poitrine et les cuisses endolories et pleines de bleus, se lac�rant la figure avec ses ongles, criant toutes ensemble, dans un parfait accord, une effroyable litanie mortuaire faite de strophes et d�un refrain � vous donner des sueurs froides. En pleurant et en criant, ma m�re, par moments, partait d�un effroyable et horrible rire saccad� en suppliant Dieu de lui venir en aide. Et c�est l� que je me suis dit que ma m�re avait perdu la raison. Je pleurais non pas mon p�re mais parce que j��tais terroris� par cette terrible et angoissante sc�ne. Je ne comprenais rien. Je ne pleurais pas, je criais, les yeux �carquill�s d�effroi. Je suis entour� de femmes, je suis pris dans un tourbillon de cris, un remous de lamentations. Semblables aux g�missements d�une lionne bless�e � mort, les plaintes lugubres de ma m�re me t�tanisaient. �Oh ! Mon Dieu, que vais-je faire avec mes cinq enfants !� criait ma m�re. Mes oreilles s�emplirent subitement d�acouph�nes. Effet stroboscopique. Je n�entendais plus les cris hyst�riques des femmes, je ne voyais que les ongles de leurs mains qui lac�raient leurs visages ensanglant�s, tra�ant des sillons enflamm�s. Terroris�, j�allais me r�fugier dans le �c�toine�[14]. J�aurais certes tout le temps qu�il faut pour pleurer mon p�re parce que je serais marqu� � vie par sa perte. L�absence de mon papa nous sera terrible, longue, infernale. Une blessure qui ne se refermera jamais. Ce manque d�affection va me harceler pendant toute ma vie. J�ai pleur� l�absence de mon p�re durant les f�tes de l�A�d, � la r�ussite de mon certificat d��tudes, lorsque j�ai �t� admis au concours d�entr�e � l��cole commerciale. J�ai pleur� son absence lorsque je me suis mari� et lorsque Sid Ahmed est n�. Voil� ce que c�est que d��tre un orphelin qui s�efface pour ne pas g�ner les autres, qui demande pardon m�me aux murs qu�il rase et qui sourit, timidement, de peur d��tre vu. De peur d��tre le cheveu dans la soupe. Je souriais b�tement quand je voyais d�autres enfants accompagn�s de leurs p�res. Je le pleure � soixante ans. Je le pleurerai jusqu�� ma mort. Une sc�ne cauchemardesque, abominable, atroce se d�roulait en trois actes � Th�niet-El-Had. Ce jour-l�, c��tait le deuil chez les Yahiaoui, les Tergou et les Moussaoui et chez beaucoup d�autres. Le malheur a frapp� impitoyablement la ville inhumaine, froide, orpheline. Th�niet-El-Had n��tait plus le �Petit Paris�, c��tait de petits Hiroshima dans chaque maison. D�sert�e par les hommes, la rue principale qui n�a jamais �t� emprunt�e par la gent f�minine, est envahie par des groupes de femmes en ha�k qui se croisent et s�entrecroisent, le pas press�, s�arr�tent quelquefois pour �changer entre elles les derni�res informations comme une procession de fourmis en file indienne qui s�entrecroisent, se sentent, se croisent les antennes et repartent furtivement. C��tait le temps o� les sentiments n��taient pas individuels. Les joies et les peines �taient collectives. Communicatives. Les femmes allaient d�une maison mortuaire � l�autre, sans protocole, par compassion, par solidarit� avec les familles qui ont �t� frapp�es par le malheur. La solidarit� dans le malheur. La solidarit� dans un pr�sent belliqueux. Elles poussent la porte d�j� entrouverte, enl�vent leur ha�k et entament le p�nible refrain mortuaire : �Khouya Hah� qui vous dresse les cheveux sur la t�te et vous donne froid au dos. Personne n�est � l�abri de la folie meurtri�re du monde civilis�. Elles m�mes ne savent pas quand est-ce qu�elles recevront � leur tour leurs s�urs en pleurs. Tout peut arriver d�un moment � l�autre. Th�niet-El-Had vivait � chaque massacre, deux dimensions. L�une faite de pleurs, de deuil, de cris des enfants avec leur air hagard, des g�missements des hommes. Un peuple vivant la mis�re, la peur, la faim. L�autre dimension o� vivent les colons, d�anciens gueux, mis�reux et mis�rables, venus s�enrichir dans un pays qui n�est pas le leur. Au �fil�dj Djedid�[15], le boulevard de Tiaret �tait comme une tresse avec ses grappes de raisin, ces familles attabl�es devant chez elles, profitant du doux climat de l�automne pour sortir devant chez elles, se pr�lasser dans la richesse. Mais les colons �taient quand m�me inquiets par la tournure des �v�nements. Les discussions sont ponctu�es par de grands �clats de rire. Ils profitent des plaisirs de la vie. De Schaken veille au grain. En face de notre maison, la famille Jules Anouille �tait au grand complet : Mme Anouille et son mari Jules, leurs filles Mme Kal�ja, Mme Maldini et Mme Montaldo. Les femmes tricotent en sirotant des boissons fra�ches. Les hommes meublent leurs discussions avec des sujets aussi divers que la guerre d�Alg�rie qu�ils s�ent�taient � appeler ��v�nements d�Alg�rie�, les labours, l��tat de leurs affaires. Ils partent quelquefois de rires saccad�s et bruyants. La famille vit dans une autre dimension. En face, assis � l�ombre d�une tresse, le vieux Pastou gromm�le toujours des ordres au pauvre commis indig�ne, son souffre-douleur. De l�autre c�t� de la rue Principale, trois pauvres femmes, ce jour-l�, avaient le visage noir de suie et pleuraient maintenant en silence, entour�es de leurs orphelins dont elles auront la lourde charge de les �lever, de leur raconter le martyre de leurs p�res, de leur dire et leur redire leur pass�, de les couver et de leur faire oublier ce manque d�affection paternelle qu�ils vont devoir ressentir et supporter. Ma m�re et toutes les autres m�res �taient � l�or�e de leur jeunesse. Elles se pr�parent d�ores et d�j� � affronter l�avenir avec courage et r�signation, une vie dure, froide et inhumaine.
M.-R. Y.
[1] Organisation civile du FLN
[2] Maison familiale traditionnelle constitu�e de chambres tout autour d�une cour. G�n�ralement un puits avec sa margelle tr�ne au milieu de la cour.
[3] Torture
[4] Mustapha Tergou, Bendou Fouad, Khaled Moussaoui et Mustapha Chikhaoui.
[5] Pi�ce de monnaie �quivalente � cinq centimes.
[6] Pi�ce de cent centimes, l��quivalent d�un dinar actuel.
[7] �Dieu Soit Lou�.
[8] Chahada : profession de foi. Premier pilier de l�Islam.
[9] Alfred De Vigny � La mort du loup.
[10] Mahfoud Kaddache� Histoire du nationalisme alg�rien� page 754.
[11] Il est doux et beau de mourir pour la patrie Ver d�Horace � (odes III).
[12] Docteur en histoire.
[13] Entretien avec Khaled Bensma�n � Docteur en histoire.
[14] D�barras, carpharna�m.
[15] Quartier r�sidentiel o� habitent les colons.
A NOS LECTEURS Un texte � faire passer dans �Vox Populi� ? : [email protected] ou [email protected]


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.