Les �ditions Juba ont eu l�heureuse id�e de publier F�s, ma m�moire, le dernier livre de Latifa El Hassar-Zeghari. Un beau fruit � go�ter dans toute sa saveur. Surtout, ce roman rappelle fort � propos que la litt�rature marocaine est parvenue � l��ge de la maturit�. Voil� bien, en effet, une �uvre profond�ment humaine. L�imaginaire de son auteur y �clate en toute libert�, sa beaut� esth�tique �tant parfaitement servie par une �criture a�rienne, aux tons lumineux, ais�ment ma�tris�e. Ce roman autobiographique raconte, certes, l��ternelle histoire du c�ur humain, mais une vie qui t�moigne en m�me temps de l�histoire collective. �Un miroir qui se prom�ne sur une grande route�, disait Stendhal. L�h�ro�ne du livre, Malika Abbad, est d�ailleurs un personnage polymorphe � la recherche des diff�rents ressorts de sa personnalit�. Son parcours se fond avec les r�alit�s d�une ville, F�s, ou encore avec les r�alit�s complexes d�une nation en formation. Depuis sa naissance en 1934 et jusqu�� la veille de l�ind�pendance du Maroc (qui �tait sous protectorat fran�ais de 1912 � 1956), le lecteur suit alors pas � pas celle qui symbolise l��lan lib�rateur. L��mancipation � double � op�re, bien s�r, de mani�re progressive et concerne tout � la fois la femme et la patrie. Dans le contexte de l��poque, ces femmes ne sont encore qu�une poign�e. Parmi elles, Malika Al Fassi, l�unique Marocaine � faire partie des cinquante-huit personnalit�s qui sign�rent le Manifeste pour l�ind�pendance le 11 janvier 1944. En hommage � la pionni�re, l�h�ro�ne du roman porte d�ailleurs le m�me pr�nom. Tout comme son a�n�e, Malika Abbad sort du lot ; elle emprunte une autre voie que celle r�serv�e aux filles musulmanes qui avaient la chance de faire �quelques pas bien timides� dans le domaine de l�instruction. Dans les ann�es qui pr�c�dent l�ind�pendance, la fillette marocaine se voyait m�me renvoy�e au foyer paternel � l��ge de treize ans. En plus des obstacles dress�s par la soci�t� conservatrice et le Makhzen, il y avait le syst�me colonial, implacable, qui p�nalisait y compris les gar�ons. �Si bien qu�on pouvait compter, en quarante ans de protectorat, les Marocains bacheliers devenus m�decins ou ing�nieurs, ou administratifs de haut niveau�, souligne l�auteure. C�est donc le destin bien singulier d�une fille marocaine qui est racont� dans le roman. Malika est en quelque sorte n�e sous une bonne �toile. Elle a �t� �surprot�g�e � par un papa formidable qui a toujours su guider les pas de sa fille. Si M�hamed est un notable de la bonne soci�t� fassie, autodidacte et un nationaliste de la premi�re heure. Homme de culture et r�solument moderniste, il saura communiquer sa foi et ses conseils �clair�s � Malika dont la r�ussite est une revanche sur ce dont il a �t� lui-m�me priv� : le droit � l�instruction et au savoir. Comme r�compense de ses efforts et de ses espoirs, sa fille devient la toute premi�re bacheli�re musulmane du Maroc. Quelle fiert� pour lui ! Avant et apr�s cet heureux �v�nement, le lecteur pourra partager l�immersion de l�h�ro�ne dans diff�rents espaces et milieux. Malika raconte son enfance et son adolescence v�cues dans la capitale spirituelle du Maroc, l��cole fran�aise, les �tudes sup�rieures � Paris, les voyage au Liban et � Damas... Au bout du parcours, la maturit�. Il y a surtout la prise de conscience que rien n�est jamais octroy� sans lutte pr�alable, que ce soit au niveau individuel ou sur une �chelle nationale. Quant � �cette aptitude � donner un sens positif � la vie�, la narratrice dit la tenir de F�s, �une ville o� les gens avaient un art de vivre incomparable et paraient le banal d�une simplicit� somptueuse�. Aussi, l��me de la cit� historique est omnipr�sente tout au long du livre. Celui-ci est construit sous forme de merveilleuses chroniques qui invitent au voyage et � la d�couverte. Comme si l�auteure se faisait � chaque fois un point d�honneur � accompagner le lecteur dans les d�dales de sa m�dina. Une visite guid�e d�autant plus agr�able et instructive que Latifa El Hassar-Zeghari a h�rit� de ses tantes de F�s ce talent de conteuse qui sait tenir son public en haleine. Le tout en usant de m�taphores, d�anecdotes pleines d�humour, de mots d�une �clatante po�sie ou d�une insolente t�m�rit�. �uvre m�morielle, le roman v�hicule en m�me temps un message de paix et d�espoir en un avenir meilleur. C�est un beau chant d�amour d�di� au dialogue des cultures et des civilisations. Latifa El Hassar- Zeghari est n�e � F�s. Elle a enseign� le fran�ais, le latin et le grec � la facult� des lettres de Rabat, puis � celle d�Alger (o� elle a �t� dipl�mate). Parmi ses publications, l�ouvrage Les captifs d�Alger et un livre sur Mouloud Mammeri qu�elle a co-�crit. Hocine T. Latifa El Hassar-Zeghari, F�s, ma m�moire, �ditions Juba 2012, 252 pages