Par Lalaoui Belkacem Le sport, en Alg�rie, ne remplit plus (ou mal) le r�le social et culturel qui lui est allou� : celui d�initier la population � une �culture de l�exercice physique� (sport participatif), de construire une �culture sportive dynamique� (sport �ducatif) et d��difier une �culture sportive performante � (sport comp�titif). Le sport, en Alg�rie, ne remplit plus (ou mal) le r�le social et culturel qui lui est allou� : celui d�initier la population � une �culture de l�exercice physique� (sport-participatif), de construire une �culture sportive dynamique� (sport �ducatif) et d��difier une �culture sportive performante � (sport comp�titif). En effet, jusqu�o� pourrait-on dire, que le mouvement sportif national remplit pleinement sa mission de service public et d�int�r�t g�n�ral ; dans ces trois formes d�organisation concr�te, que peut prendre la pratique sportive ? En ce qui concerne le p�le �sport �ducatif�, les huit millions d��l�ves du scolaire et le million et demi d�universitaires pratiquent-ils une activit� sportive au sein de leurs institutions �ducatives respectives ? Pour le p�le �sport participatif�, la population alg�rienne peut-elle s�adonner, sans entrave, � une activit� physique et/ou sportive quelconque ? Quant au p�le �sport comp�titif�, les clubs jouent-ils un r�le dans la construction d�identit�s complexes et variables ? En d�autres termes, le mouvement sportif national concourt-il � promouvoir une pratique physique et/ou sportive en faveur de personnes d��ges divers, � �lever le niveau de pratique sportive de la jeunesse et � d�gager une �lite sportive ? Car, aujourd�hui, la population n�est plus � m�me de se rep�rer dans ce �mod�le sportif� de pratique : elle ne comprend pas ses fondements, ses m�canismes de construction, ses principes d�organisation, ses missions, ses r�gles, son orientation et son fonctionnement. Elle le consid�re comme �tant improductif et attard� : incapable d�accompagner et de soutenir le d�veloppement de la pratique sportive, dans ses diff�rents paliers ; et de cr�er une forme nouvelle de mobilisation collective. Elle ne sait plus en quoi il consiste, qui le d�tient et o� il se trouve. Pourquoi, en effet, continuer � construire des stades, piscines, salles omnisports, lyc�es sportifs, acad�mies des sports, centres d�entra�nement, �coles nationales sp�cialis�es, etc., lorsqu�on peut gambader, all�grement, seul dans les montagnes des Aur�s et remporter une m�daille olympique ? Ne faut-il pas, dans ces conditions, tout bonnement copier le mod�le sportif kenyan et faire appel � leurs experts pour qu�ils apprennent � nos jeunes la �course� � pied (une sp�cialit� athl�tique � dominante �nerg�tique) dans les montagnes des Aur�s et du Djurdjura. Cela nous permettra, � moindre co�t, de d�couvrir les innombrables qualit�s physiques de toute la jeunesse. En fait, l�id�e centrale est, ici, de pr�ciser quelle fonction le mouvement sportif national remplit dans le corps social alg�rien. Surtout lorsqu�on sait, que dans son type et sa fonction, il semble tirer ses racines profondes beaucoup plus du mod�le sportif de la Rome antique (brutal et violent), affect� de mani�re chronique par la corruption, la cooptation arbitraire et les effets du n�potisme ; que de celui de la cit� hell�nique (coh�rent et esth�tique) o� le lieu de fabrique du �corps athl�tique� f�t la palestre. En Alg�rie, le mouvement sportif national est g�r� par plusieurs �boutiques sportives�. C�est le sport en �tribus�. La �tribu� sportive est tout et l��Etat� n�est plus rien. Chaque �tribu� poss�de sa propre �boutique sportive�, cultive sa propre philosophie du �corps� et du �monde�, poss�de sa propre th�orie, terminologie (notions et concepts) et m�thode d�entra�nement. Elle a sa population, ses experts, ses h�ros, ses croyances olympiques � la carte, sa logique patriotique flottante, ses festins, son administration, son budget et ses lois autonomes. Toutes ces �boutiques sportives� peinent � ma�triser les deux mouvements du sport moderne : la libre turbulence du jeu sportif (la comp�tition sportive) et la discipline fonctionnelle du sport (l�association sportive). Ces deux institutions, qui constituent de pr�cieux outils p�dagogiques de m�diation culturelle, sont d�voy�es et d�tourn�es de leurs missions premi�res. Elles ont perdu de leur vitalit�, se sont affaiss�es et d�compos�es. Avec leur effondrement, le mouvement sportif national a perdu de sa cr�ativit�, de sa dynamique et de son unit�. Il a cess� d��tre orient� vers le bien public. Et l� o� il donne l�impression, il triche. Le �jeu sportif� de comp�tition : un moyen d�acc�s � l�attitude culturelle Avec des installations sportives rudimentaires, certains pays rivalisent, en mati�re de r�sultats sportifs, avec de grandes nations comme la Chine, l�Am�rique, la Russie, etc. C�est le cas de la Jama�que, o� l�on voit comment une soci�t� a su construire un �mod�le corporel-de-soi� performant. La r�ussite sportive de ce pays met en �vidence des sp�cificit�s tout � fait nettes, en mati�re de rapport social aux � jeux sportifs� de comp�tition, marquant ainsi l�importance des facteurs politiques et culturels. Elle nous montre les fortes et perp�tuelles relations entre un �style de vie� et un �style de pratique� sportive. En Jama�que, le �jeu sportif� de comp�tition prend ses racines � l��cole. C�est au sein de cette institution culturelle que les �l�ves font l�apprentissage de l�engagement, de l�effort personnel et de la responsabilit�, dans deux activit�s sportives concr�tes, inscrites dans leur programme scolaire : les �jeux athl�tiques � et les �jeux de balle�. Consid�r� comme un moyen d�expression, d��change et de communication, le �jeu sportif� de comp�tition permet � l�enfant d�exercer ses dons potentiels, d�optimiser ses capacit�s, de gouverner ses sentiments, de donner vie et place � ses passions, de se d�passer, d�ob�ir, de supporter, d�entreprendre, d�oser, etc. Dans le syst�me �ducatif jama�cain, le �jeu sportif� de comp�tition est per�u non seulement comme un indice de perfectionnement corporel, exigeant toute une �ducation tant technique que psychologique, mais aussi comme un moyen efficace de r�sorption des conflits et des tensions. Il s�inscrit dans une vision d�mocratis�e des �changes, dans une logique d�instauration du lien social par la coop�ration, la solidarit�, la tol�rance, la compassion, l�entente, etc. Faisant partie d�un h�ritage culturel, qui pr�ne la participation active, il fait de l��cole le lieu par excellence de l��initiation sportive � et de l�association scolaire un lieu d�enthousiasme, pour le � perfectionnement sportif�. Chez nous, o� les �jeux sportifs� de comp�tition sont tr�s peu d�velopp�s, nos �coliers ne jouent pas, ne courent pas, ne sautent pas, ne lancent pas, ne nagent pas, etc. On leur apprend, tr�s t�t, que la conduite sage, c�est de tenir sa place et de ne pas bouger (pour certains, de ne plus bouger !). Ils sont assign�s, d�s leur jeune �ge, � des r�gles corporelles compos�es de raideur (�tiens-toi droit�), de modestie dans le regard (�baisse les yeux�), de lenteur dans les d�placements (�ne cours pas�), de distance avec le corps d�autrui (�garde tes distances�) et de m�fiance perp�tuelle envers l�autre (�surveille-toi�) Ces limites, pos�es au corps, sont endoctrin�es, renforc�es et embellies � l��cole. Elles vont fournir un �cadre cognitif� � travers lequel l�enfant va attacher, plus tard, une signification � ses propres actions et � celles des autres, le pr�disposant � des types de communications, d�actions et d��changes bien particuliers. Enfin, elles vont participer � faire du corps un �fardeau encombrant� avec des postures et des attitudes en d�phasage avec les exigences des sports modernes, qui font appel, eux, � un usage tr�s diff�rent du corps. Dans notre syst�me �ducatif, le ph�nom�ne �jeu sportif� de comp�tition, dans sa dimension �ducative, sociale et culturelle, n�a jamais �t� s�rieusement pos�, et bien plus, on a souvent entrav� les efforts entrepris dans ce domaine. Les dimensions fondamentales, qui donnent au �jeu sportif� de comp�tition toute sa place et son sens dans l��ducation et la formation de l�homme moderne, ne sont pas sugg�r�es dans les p�dagogies. Pour certains responsables politiques, la comp�tition sportive se r�sume � r�unir la soci�t� alg�rienne dans un stade. L�exemple de la Jama�que nous montre que le sport ne peut se r�duire � un simple �change physique et technique. Le sport est une culture. C�est dans cette optique, que le �jeu sportif� de comp�tition repr�sente une forme paradoxale mais effective de socialisation et un moyen d�acc�s � l�attitude culturelle. Il op�re un mouvement de rapprochement dans les rapports que les individus entretiennent entre eux ; il les met en relation les uns avec les autres ; il nous d�voile le fond d�une culture, c�est-�-dire �une chose mentale, invisible et non spatiale, tout comme un instinct�. (R. Ruyer). L�association sportive : un lieu de la sociabilit� partag�e Pour Durkheim, l��ducation qui forme l�individu, en vue de la vie compl�te, se compose de l��ducation physique, de l��ducation intellectuelle, de l��ducation morale et elle trouve son complet accomplissement dans l��ducation sociale. Pour cet auteur, l�association, consid�r�e comme une sorte de soci�t� interm�diaire entre la famille et la soci�t�, s�av�re �tre un support privil�gi� pour �duquer la jeunesse dans la discipline sociale. Elle constitue un lieu d��change communicationnel, ayant comme objectif de former du lien social. L�association mobilise g�n�ralement des individus conscients, libres et responsables, autour d�un contrat moral, mais sous une forme en partie s�rieuse, en partie distractive et passionnelle, alliant socialisation et �vasion, coop�ration et opposition. Elle est le lieu de cr�ation d�une sociabilit� fond�e sur la reconnaissance r�ciproque des valeurs. La camaraderie, l�amiti�, le d�vouement b�n�vole sont � la fois un moteur et un ciment de la vie quotidienne d�une association. C�est pour toutes ces raisons que la structure �association sportive� s�av�re �tre un pr�cieux outil p�dagogique de m�diation culturelle, contribuant � construire des rapports sociaux adapt�s � la vie en collectivit�. Malheureusement, dans le domaine de l�action culturelle, on observe la perte de l�apprentissage de l�associationnisme et la r�gression de l�initiative associative sportive. L�association sportive s�est transform�e, ces derni�res d�cennies, en un simple r�seau d�opportunit�s superficielles. Elle n�assume plus son r�le �ducatif, social et culturel sous l�angle d�une mission de sociabilit� publique, donnant ainsi l�impression qu�elle ne participe en r�alit� � aucune activit� culturelle d�finissable. Ressentie par certains comme une simple institution d�embrigadement et de surveillance, elle n�assure plus sa fonction culturelle dans le domaine des �mani�res d��tre�, de �faire� et de �sentir�. Avec l�av�nement du professionnalisme, les choses se compliquent davantage, et la ligne de partage, entre ce que l�on appelle commun�ment le club-association (club amateur) et le club-entreprise (club professionnel), reste un domaine flou. Le sociologue H. D. Horch, qui s�est int�ress� au processus d�autodestruction des clubs sportifs allemands, nous montre que les associations sportives telles que les clubs entreprises �tendent � devenir plus bureaucratiques, plus professionnels et plus oligarchiques� ; ils se construisent sur la recherche du profit �conomique ou politique, moins dans celle de la citoyennet�. Ces processus peuvent �tre dits autodestructeurs, parce qu�ils concourent � d�truire l�identit� et la sp�cificit� de l�organisation. Ils permettent de comprendre les m�canismes qui sont � l��uvre au sein des associations sportives, c�est-�-dire la �sociabilit� telle qu�elle peut �tre observ�e dans ce �microcosme �, que constitue le club-association ou le club-entreprise. Le mouvement sportif national : une culture sportive de la diff�rence et de l�exclusion Une culture sportive se d�ploie � partir d�un double ancrage : un p�le particulariste (repr�sent� par le club association ou le club amateur) et un p�le universaliste (repr�sent� par le club-entreprise ou le club professionnel). L�un sans l�autre engendrerait soit une culture de l�isolement, soit une culture uniforme et superficielle. Chaque culture sportive, en tant qu�expression d�une identit� collective, semble se d�velopper gr�ce � des ajustements permanents entre ces deux mod�les d�organisation. La culture sportive alg�rienne (le mouvement sportif national) reste exclusivement marqu�e par la cat�gorie sport-spectacle. Les deux autres cat�gories (le sport participatif et le sport �ducation) sont, purement et simplement, ignor�es. En investissant d�une mani�re aussi forte dans la cat�gorie sport spectacle, l�Etat, pour des raisons de haute politique, semble reconduire la version �ternelle de la s�duction, de la mystification et de l�ali�nation des consciences. La ruse consiste ici � transformer le r�el sportif en repr�sentation fausse. Dans cette optique, le sport spectacle sert � �d�politiser le peuple ou plus exactement � l�endormir dans un sordide mat�rialisme�. Cette fa�on de faire, propre aux pays en voie de d�veloppement, condamne les deux autres cat�gories du mouvement sportif national au bricolage, � l�errance et � la violence. L�exemple de la Jama�que laisse entrevoir, n�anmoins, que d�autres voies p�dagogiques sont possibles. En effet, voil� un pays qui a su int�grer, harmonieusement, les deux outils p�dagogiques d�acculturation que sont le �jeu sportif� de comp�tition et l��association sportive�, dans son syst�me �ducatif ; si bien qu�ils constituent aujourd�hui le socle, le pivot et la racine morale de son syst�me des sports. Chaque �colier jama�cain s�exerce au �jeu sportif� de comp�tition et s�initie � la �vie associative�, au sein m�me de son �cole et de son environnement proche. Il en va autrement pour l��cole alg�rienne, o� le �jeu sportif� de comp�tition ne semble concerner que les enfants bien n�s, ayant b�n�fici� d�un patrimoine g�n�tique vraiment satisfaisant. Nous sommes l� face � deux th�ories �ducatives antinomiques (en fait, � deux conceptions du monde et de l�homme). La premi�re con�oit l��ducation comme un processus. Elle s�attache � �duquer et � former l�ensemble de la population scolaris�e � l�esprit du �jeu sportif� de comp�tition (avec ses r�gles, ses normes et ses valeurs) et � la �vie associative � en mettant l�accent sur l�entente et l�union. C�est une conception fond�e sur la popularisation de la pratique sportive, et la promulgation des valeurs essentielles du sport. La deuxi�me th�orie con�oit, elle, l��ducation comme un produit (cl�s en mains). Elle ne se pr�occupe, que des �bons sportifs � (ceux qui ont la foi olympique !), qu�elle se d�p�che de former dans des ��coles sanctuaires � (lyc�e sportif, �cole des sports acad�miques, etc.), au d�triment de tous les autres, les �moins aptes�, c�est-�-dire les �tres faibles qui n�appartiennent pas ou � peine � la soci�t�. C�est une conception fond�e sur la th�se des soins � donner aux �l�ves les plus dou�s (les forts) au d�triment de tous les autres (les faibles). On sacrifie les faibles aux plus forts. Cette th�orie radicale de la p�dagogie au service de l�individualit� caract�rise bien l�orientation et la position actuelle de notre mouvement sportif national : au nom de la politique, on fait du pass� ; au nom de la d�tection-s�lection, on exclut ; au nom du professionnalisme, on fait du commerce.