Le nouveau roman de Nour-Eddine Mamouzi, Les falaises de la col�re, invite � une introspection autant historique que philosophique et symbolique. Le titre n�est que pr�texte � dire que la seule raison permet � l�homme de conna�tre, de juger et d�agir conform�ment � des principes. Cette connaissance juste des choses s�appelle la sagesse. L�auteur semble avoir fait sien le mot de Vigny, qui disait : �Un d�sespoir paisible, sans convulsions de col�re et sans reproches au ciel, est la sagesse m�me.� Aussi, Nour-Eddine Mamouzi propose une lecture de l�histoire et une �criture romanesque puis�es aux sources de la culture populaire et de l�oralit�, ce bon vieux terroir qui pr�serve l��me d�un peuple. Les falaises de la col�re (un clin d��il au c�l�bre roman Les raisins de la col�re de John Steinbeck, prix Nobel de litt�rature en 1962), est donc un r�cit qui baigne dans une atmosph�re l�gendaire et po�tique, la r�f�rence au conte insulfant le style et les proc�d�s d��criture. C�est ce qui explique l�intrusion de sc�nes et d�histoires comme �trang�res � l�intrigue. Mais il ne s�agit pas du tout d�un roman � tiroirs, plut�t d�une histoire plurielle qui apporte un �clairage � la grande histoire telle que revisit�e par la litt�rature. A cet effet, Nour-Eddine Mamouzi �maille son r�cit de m�taphores, d�all�gories et de symboles tout en laissant son lecteur deviner lui-m�me le sens v�ritable de sa pens�e. Une mani�re, pour le conteur, de maintenir son auditoire sous le charme de l�imaginaire et du merveilleux. Par exemple, �la grande propri�t� des falaises�, le d�cor principal o� se noue l�intrigue. Est-ce une all�gorie de l�Alg�rie �ternelle, cette �terre qui donne les meilleurs enseignements, bien mieux que tous les ouvrages� ? Une belle terre, si g�n�reuse, objet de toutes les convoitises, victime de bien des barbaries. Celle surtout de la r�sistance et du combat des humbles. Car, tout �au long de ces mill�naires, jamais l�Alg�rie n��chappait � son grand destin. Elle fut meurtrie, martyris�e mais lib�r�e�. Comme le mouvement de la mer rythm�e par la mar�e... Sauf que, parfois �la vague �tait immense et m�me les falaises ne suffisaient plus pour parer au d�ferlement du mal�. Mais, d�j�, grondait la col�re des �humbles qui voyaient leur terre br�ler�. Alors r�guli�rement, le peuple de la mar�e se soulevait : �Tous se transcendaient pour briser leur solitude et atteindre leur libert�.� L�histoire commence en pleine Deuxi�me Guerre mondiale. Un petit village c�tier situ� � l�est d�Alger, une grande propri�t� et une myst�rieuse demeure coloniale que �la m�moire collective d�crivait comme un lieu maudit� (elle a �chapp� miraculeusement aux bombardements allemands). Parmi les villageois vit Ritedj (un �merveilleux pr�nom qui veut dire �voile brod� d�or� de la sainte Ka�ba�) et qui symbolise dans ce r�cit la m�re courage, l��cole de la vie, la sagesse, la foi, mais aussi la conscience et l��me du peuple alg�rien. C�est d�ailleurs le personnage de Ritedj qui constitue le soubassement du r�cit et qui en forme la trame. Autour d�elle, il y a son mari Ladj, un honn�te travailleur et humble parmi les humbles. Il y aura aussi Mustapha, le fils, et tous ses enfants � qui Ritedj a transmis l�amour du savoir et de la connaissance tout en leur inculquant les valeurs ancestrales. Dans cette Alg�rie d�avant-l�ind�pendance, les �v�nements s�acc�l�rent et se bousculent. M�moire d�un pass� douloureux marqu� par les massacres du Constantinois, la d�b�cle de l�arm�e fran�aise � Di�n Bi�n Phu, la R�volution alg�rienne, le temps du retour pour les pieds-noirs... La terre enfin lib�r�e, �des r�ves se profilaient dans les promesses d�une paix � vivre�. La famille de Ritedj, �si modeste, ayant subi tant de privations �, s�installait dans la grande propri�t� des falaises. La promesse d�une nouvelle vie pour un peuple libre. H�las , la joie est de courte dur�e et �les soleils d�tourn�s� (titre du chapitre 4) ont assombri bien des horizons. �Un jour maudit s�abattait sur lui (sur Ladj) comme un malheur. Un couple enviait ce havre de paix�. Confiscation et d�possession par des privil�gi�s �qui pr�tendaient r�genter le petit peuple�. Et de se dire que, �finalement, il n�y avait pas de place pour les justes dans la grande propri�t� des falaises�. Pour Ritedj, l�histoire se r�p�te. Il ne lui restait, d�sormais, qu�� guider �ses enfants vers les lumi�res�, leur donner la meilleure arme pour r�ussir : le savoir. La suite du r�cit s�inscrit, bien s�r, dans ce rapport permanent de la litt�rature � l�histoire. Nour-Eddine Mamouzi aborde naturellement les probl�mes et contradictions de l�Alg�rie contemporaine, y compris certains sujets sensibles, tout en puisant � la substance du merveilleux et de l�indicible. La gestion patrimoniale de l�Etat, le client�lisme, la corruption, la �forfaiture� des urnes, les biens (mal acquis) au soleil, la course au pouvoir, l�exode rural, le lib�ralisme d�brid�, les �meutes d�octobre, la r�volte qui couve, etc., sont autant d��l�ments de la r�alit� quotidienne et dont il s�inspire pour tisser les files de ce roman m�taphorique. A la fin de cette saga d�une famille immerg�e dans l�histoire et la soci�t�, se d�gage �videmment une morale : il faut savoir raison garder toujours et en toutes circonstances. Bien mieux, la m�moire collective doit �tre absolument sauvegard�e. Ne jamais oublier, par exemple, que l�enseignement transmis par les sages �est le g�te qui prot�ge, le refuge qui unit, le lien toujours plus fort avec la terre�. La vie, la mort, les biens mat�riels, la spiritualit� donnent beaucoup � r�fl�chir � Nour-Eddine Mamouzi. Mais, ne serait-il pas un �crivain soufi ? En tout cas, �la demeure coloniale�, elle, garde son secret. Une autre all�gorie � d�chiffrer. Hocine T. Nour-Eddine Mamouzi Les falaises de la col�re, Editions Necib 2012, 226 pages.