IL EST DES matins qui ne sont pas tous des rêves, et que la fidélité à nos traditions transforme en espoirs multiples. Dans ce premier roman Les Chemins de la nuit (*), Nour-Eddine Mamouzi rassemble les réflexions les plus significatives de ses préoccupations: la fidélité à la tradition, à la fois pour la conserver et la promouvoir aussi, - et, en outre, de la façon la plus inattendue! Né, en 1952, à Bordj El Bahri - éponyme d'un des postes fortifiés, à l'est d'El Djazâir autrefois, contre les attaques étrangères venant de la mer - et formé à la rigueur des sciences financières et à la subtilité de l'informatique de gestion, le voilà contrôleur de gestion à l'Entreprise nationale des arts graphiques de Réghaïa. Ces atouts, parmi tant d'autres, peuvent servir une vocation sincère à vouloir être utile à la construction - ou mieux! - à la reconstruction d'une personnalité, en l'occurrence, celle d'un peuple comme le nôtre qui a beaucoup donné, jusqu'au sacrifice pour remettre l'histoire à l'endroit, et qui a reçu si peu...«L'infinie Sakina», c'est-à-dire Le Présence Divine, la Constance, évoquée par Mamouzi, en vérité, n'est perçue que par les âmes sensibles... et douées de raisons, aussi. Voilà donc que par le truchement d'un outil exceptionnel, autrement dit «l'Internet», que le monde aujourd'hui partage, un rêve s'offre sa propre délivrance. Tout est exprimé en symboles, en images furtives, en rêves éveillés, dans ce roman intitulé Les Chemins de la nuit et qu'il ne faut point confondre avec le film allemand «Les Chemins de la nuit», en fait un drame, de Krysztof Zanussi sorti en 1980, sur le thème de l'amour et de la guerre, dans la Pologne de 1943. Il n'y a rien à voir ici ou là qui soit commun, sans doute, mais l'angoisse de l'âme ici et là est la même sous le ciel de la nuit, une nuit déchirée, insupportablement inquiétante, et pourtant si salutaire quand les «Souvenirs» apparaissent comme «Une boule lumineuse, rayonnante et étincelante»...Bien sûr, on ne compare pas le transcendantal à l'indécence misérable du matérialisme commun, - mais enfin!... À la lecture du roman, on est saisi par la foi en l'humanité qui, si malheureuse qu'elle soit, emprunte «Les Chemins de la nuit» dont le sublime but, tantôt loin, tantôt très loin, mais toujours merveilleusement à la portée du juste esprit, nous incite à l'atteindre. Ainsi, se développe l'histoire, pourtant pas compliquée, car courante de nos jours, et qui devient si extraordinaire, du jeune Mounir un féru du Web et qui, «d'un simple clic sur Facebook», découvre Imane, la biologiste. Leur destin se trace au rythme des clics, s'étoffe par le temps qu'ils passent devant l'écran de leur ordinateur et qui progressivement se précise dans et par des repères sans cesse perdus puis retrouvés. Sans doute, ainsi que l'écrit l'auteur: «En insistant sur le caractère correct des échanges, nous savons tous où débute l'aventure mais jamais personne ne peut en prédire la fin. Ainsi la mémoire peut être sauvegardée et permet à son auteur de la revisiter à sa guise.» Or, ici, le traitement de l'information est fait de secrets et de miracles, car ce couple «d'internautes» n'est pas, si j'ose dire, une virtualité creuse, sans consistance, sans intérêt pour l'esprit: ces deux internautes dialoguent et circulent comme des personnes vivantes, visitant lentement, en toute liberté, d'égale à égale, un musée à l'échelle planétaire: leurs origines, leur éducation, leur formation, leur profession, leurs horizons culturels, leurs voeux au-delà de l'espérance limitée à une terre ou même à un continent. C'est là qu'est l'esprit du livre, l'intelligence du récit: le couple se raconte, l'homme et la femme se disent avec une tendresse si belle que peut-être elle est inexistante hors du champ du Web. Et nous voilà, nous-mêmes dans le livre, dans un livre où le fantastique s'exprime en réalité, eux dans leurs rêves qui réclament des heures et des heures pour modeler un destin, le leur, sûrement. Lui, Mounir l'Algérien, le spécialiste en informatique, à la recherche de... son identité! L'auteur nous le raconte parfaitement bien: «Il était fils unique, proche de la quarantaine et était près des siens, et sa famille représentait pour lui un centre d'intérêt primordial pour réaliser les objectifs de sa vie. Dans sa formation, il avait bénéficié d'une vaste culture générale. Il était l'enfant d'un couple mixte issu pour l'un du Maghreb et pour l'autre d'Europe orientale. Ses parents venaient donc de deux pays qui avaient des relations privilégiées: l'Algérie et la Pologne.» Imane confie ses origines marocaines à Mounir. Quel hasard n'a-t-il pas sa source dans ce monde, ici-bas? Sa «généalogie complexe et troublée. Cela évidemment avait provoqué des fractures dans sa descendance. Le père de la jeune fille était issu d'une famille de Marrakech dont on a pu identifier des éléments jusqu'à huit générations. La mère, quant à elle, provenait d'une famille de l'Ouest qui avait dû fuir la sauvage répression de l'armée d'Afrique à partir de la moitié du xixe siècle. On sait en effet que les exécutions sommaires, les déportations, les enfumages et la dépossession foncière ont contraint des milliers de familles algériennes à l'exode. C'est ainsi qu'Imane se trouvait être de fait une Algéro-Marocaine qui portait autant d'affection au Maroc qu'à l'Algérie.» Les Chemins de la nuit de Nour-Eddine Mamouzi, sont faits d'une suite d'ombres et de lumières alternées où se font et se défont hasard et destin. La raison y trouve néanmoins sa place. Rien en effet n'est plus beau que «les graines fécondées de l'esprit». C'est une oeuvre toute pleine «des lumières de notre appartenance», où la recherche du salut produit le salut, où la raison donne raison à l'âme, où il faut être «prêt et libre» pour accomplir ce long voyage, riche en réflexion et surtout en poésie, mais enfin le contraire est aussi parfaitement vrai. Bien qu'il s'agisse d'un premier roman, je pense sincèrement qu'avec ce premier roman, Les Chemins de la nuit, des ténèbres seront écartées de notre pauvre vision des choses qui nous interpellent tous sur la reconstruction de notre Terre maternelle. Et pour terminer, mes compliments aux éditions Ziryab d'avoir découvert un tel talent. Qui donc n'osera pas récompenser ce tout premier roman cent pour cent algérien de Nour-Eddine Mamouzi? (*) LES CHEMINS DE LA NUIT de Nour-Eddine Mamouzi, Ziryab-Editions, Alger, 2009, 231 pages.