Si le genre roman est une simple rêverie, quelle valeur de métaphores portent-elles les réminiscences du rêveur algérien? Le «roman» L'autre rive de mes réminiscences (*) dont l'auteur est Nour-Eddine Mamouzi répondrait-il à la question posée? Le souvenir, l'imagination et la réflexion semblent se donner la main dans cet ouvrage qui, à mon sens, n'a pas besoin de servants (quelque grands que soient ces littérateurs cités les Pierre Paraf, Benoît Marchon, Rudyard Kipling, Edgar Allan Poe - Stéphane Mallarmé...et même autres auteurs aussi fascinants), pour inciter heureusement mon envie de me remémorer la geste édifiante de nos ancêtres. Dans son premier roman Les Chemins de la nuit, N.Mamouzi avait bellement tenté de dénouer l'oeuvre du temps de l'Histoire et j'ai été convaincu par l'ardeur de sa passion à dire justement son pays. Dans le présent ouvrage, où je retrouve, néanmoins, sa verve et les bons signes de son expérience, l'écrivain - créateur d'idées - n'aiguise pas assez ma curiosité. Hé! nous ne sommes plus les «petits indigènes», élèves bien sévèrement studieux à l'école coloniale. Les longues citations d'auteurs étrangers qui parsèment ce «roman» me font l'effet de la flamme de la chandelle qui attire et brûle toute vie naïve et admirative et parce que rêveuse consentante aussi. Or, Mamouzi a beaucoup à nous montrer, je crois, à nous expliquer, à nous commenter: il sait nous sensibiliser aux images grandioses et à l'esprit subtil d'autrefois. Il a pourtant bien vu le problème et l'a modestement posé ici et là en homme de réflexion et de sentiment; il y a mis une lumière éblouissante présentant en clair-obscur un souvenir multiple en ses aspects, tour à tour, poétiques, dramatiques, totalement humains. L'autre rive de mes réminiscences est alors une sorte de phénomène du monde que l'on décortique et que l'on explique avec ses propres références, avec celles des ancêtres. L'histoire, la grande histoire parle par nous, pour nous, et pour les autres! Ce que nous sommes, nos racines intimes le disent point par point. C'est là la seule réponse à donner à nos jeunes qui, après bientôt cinquante ans d'indépendance, se demandent encore d'où ils viennent et, faute d'une réponse pédagogique saine, soutenue et juste, ils sont parfois complètement envahis par un trouble cultivé ailleurs, par exemple au sujet de la guerre de libération nationale. Voulez-vous savoir? Eh bien, estompons ce qui n'est pas notre nature pour redonner du sens à ce qui le mérite dans L'Autre rive de mes réminiscences de Nour-Eddine Mamouzi! Laissons-nous alors saisir par la nostalgie de l'authentique Ziryab, le voyageur, musicien et poète génial (qui préside à l'édition de ce livre) et suivons le personnage Mahdi dans sa quête identitaire. Acceptons ce personnage tel qu'il est, même tel qu'il se définit, et surtout considérons sa rêverie que l'auteur a structurée comme un édifice du savoir, levant sans cesse la brume des imprécisions historiques et donnant de l'épaisseur aux images utiles à la compréhension des «réminiscences» de Mahdi. Vous verrez toute la fresque de notre Histoire et vous entendrez bruire toutes les sources de nos origines! L'auteur avertit: «Cette histoire relate une vie somme toute normale, mais soulève la vraie question de l'origine et du nom qui demeurent confrontés à toutes les bles-sures: qui sommes-nous?» Mahdi va évoluer dans des temps différents, consacrés dans dix chapitres où prédomine cette idée force: «Tant qu'il y aura encore des hommes, l'espoir est permis.» Mais avant cela que de blessures a-t-il fallu supporter pour sauvegarder son idéal et concrétiser une évasion libératrice d'un drame hors du temps des ancêtres, ceux - «les grands hommes et les grandes dames» - qui «resteront les témoins fidèles qui passèrent sur cette terre, plusieurs fois défendue [...]. Les lumières du passé déroulaient par la mémoire du rêve une longue marche de plus de vingt siècles d'histoire, de gloires et d'héroïsme, de courage et de déchirures, souvent par la faute des hommes.» Mahdi, chez qui les valeurs esthétiques du psychisme sont développées, n'aura eu, pendant tout ce temps pour soutien moral, que les images et les lointains souvenirs de son «confident de toujours», Hamdi disparu dans les ténèbres de la tourmente des «années de braises», et rien qui aurait pu apaiser sa solitude (puisque son père, toujours en voyage, est «absent»), rien non plus qui aurait revivifié sa conscience... Ainsi donc, Mahdi cherche son histoire personnelle. Le vertige de la recherche est communicatif; le lecteur y tombe, happé par les siècles; et les siècles se présentent depuis la première dynastie berbère d'Egypte en 945 av. J.-C...La suite est brillante, déprimante, puis glorieuse, et de nouveau dangereuse...Les faits historiques délinéent les époques de la grande Histoire d'Algérie qui reste encore et toujours à écrire et à enseigner! En conclusion, Nour-Eddine Mamouzi nous invite à enseigner notre histoire, toute notre histoire, à nos enfants, documents historiques sous nos yeux. Il intervient fréquemment dans le texte et le contexte de son «roman»; mais parfois son écriture s'étiole, manquant de caractère et de pureté, noyée qu'elle est constamment dans un enthousiasme souvent débridé par la complexité même du sujet. Être seul à rêver, à tout dire et à tout écrire, l'écrivain finit par céder à la nostalgie de la pensée solitaire qui, ici à l'évidence, brouille le romantisme du bien-fondé de l'histoire. En revanche, l'auteur-Mahdi insiste, à raison, sur l'indispensable connaissance de ses origines: «Lorsqu'un être humain perd ses racines, il est comme un chêne abattu par la tempête, déraciné, couché sur le flanc, voué à la hache et à la destruction.» Il est meurtri par ce qui est arrivé à son pays: «Puis vint l'horreur de nouveau, cette chose abominable; une guerre qui ne disait pas son nom, avec son masque hideux et que nul n'avait connue jusqu'alors. Des frères s'entretuaient. Des exactions, des viols au mépris des lois divines surtout, du déni de nos origines, enfin les assassinats qui obligèrent à la révolte. Hélas! Quelle fut grande et valeureuse mon Algérie! Pourquoi être autant méprisée par nos propres enfants?» L'auteur termine sur cette juste pensée générale, nous faisant constater, malgré tout, cette inattaquable vérité: «Sur les traces séculaires d'un combat légendaire, l'Algérie se fait et se défait dans la mémoire encore fébrile du jeune Mahdi», disons du jeune algérien tout court! Dix chapitres jalonnent cette fantastique histoire qui, le temps de les lire, nous éveillent à nous-mêmes...Le football (avec le prénom Yahya [que vive!] du premier né de Mahdi et de Thiyya), en fin de légende, nous secoue les méninges, nous appelant à reprendre confiance; le père, la mère, l'épouse, le fils,... la famille et l'enseignement et la vérité de l'amour filial, nous préviennent de notre bonheur oublié. Aujourd'hui, l'Algérie est in-dé-pen-dan-te, - qu'on se le dise! On faisait un rêve et l'on disait tout comme N. Mamouzi: «Qui ne cultive pas le rêve, détruit son idéal.» À bon lecteur, salut! (*) L'autre rive de mes réminiscences de Nour-Eddine Mamouzi, Editions Zyriab, Alger, 2010, 176 pages.