Par Omar Bessaoud, �conomiste. CIHEAM-IAM. Montpellier Pierre Chaulet vient de nous quitter ce vendredi 5 octobre, date symbolique qui a marqu� l�histoire tourment�e de notre pays, et ceci apr�s une p�nible maladie contre laquelle il se sera battu avec un courage et une lucidit� admirables. Il savait d�s le d�but de la maladie le mal qui le rongeait et se plaisait � dire � ses proches avec une pointe d�humour contr�l� qu�il �tait n� avec la c�l�bration du centenaire de la colonisation (1930) et qu�il allait nous quitter alors que nous c�l�brons l�ann�e du cinquantenaire de l�ind�pendance du pays. Deux autres dates symboles qui r�sument aussi parfaitement sa vie. Celle d��un monde fini qui commence� selon la belle formule de Paul Val�ry. Le processus de d�clin du monde colonial commence en effet au moment m�me o� le mouvement national moderne � dans lequel Pierre s�engagera d�s le d�clenchement de la R�volution � �merge. Ce mouvement lib�rateur engag� par les forces nationales et patriotiques annonce ainsi dans les faits le d�but de la fin du syst�me colonial. Pierre fut pour notre g�n�ration un homme � part. Et cela pour plusieurs raisons. D�abord son engagement pour la patrie pour l�Alg�rie ind�pendante fut total et sans r�serve. Il avait tr�s t�t pris conscience des injustices du syst�me colonial, de la violence et de l�humiliation subies par le peuple alg�rien. Il fut de ceux parmi les Europ�ens d�origine qui ont bris� les barri�res impos�es par un r�gime �d�apartheid larv� � la formule lui appartient �, barri�res qui le s�paraient de ses fr�res alg�riens. Lorsque le chahid Mohammed La�chaoui (qui a dactylographi� � Ighil Imoula l�appel historique du 1er Novembre 1954) l�informe que l�insurrection qui �tait d�clench�e �tait une �chose s�rieuse�, il s�engagea avec raison et sans faille aux c�t�s de ceux qui appellent � la lib�ration et � l�ind�pendance du pays. Il savait o� �tait son camp et comme il le r�p�tait souvent, il n�y avait pas de place pour lui pour une troisi�me voie. �Il y avait ceux qui �taient pour l�ind�pendance nationale et les autres (ultras partisans de l�Alg�rie fran�aise, lib�raux partisans d�une Alg�rie avec souverainet� fran�aise�)�. Les m�moires �crites � deux voix avec Claudine son �pouse, sa compagne avec laquelle il partagera tous les combats, retrace avec modestie et l�intelligence qu�on lui conna�t sa contribution � la lutte de lib�ration. La lutte et le combat pour une Alg�rie libre et ind�pendante trouv�rent en Pierre et Claudine des porte-parole, des repr�sentants qui donnaient une l�gitimit� politique et morale indiscutable � la R�volution alg�rienne. Il mit son exp�rience, ses ressources intellectuelles et toutes ses qualit�s d�homme au service du pays. Il c�toya les dirigeants les plus prestigieux de la R�volution dont Abane Ramdane et Ben M�hidi. Il fut le compagnon et l�ami de Fanon, l�animateur pr�cieux et infatigable d�El Moudjahid et de l�agence Alg�rie Presse dont on sait l�influence qu�ils eurent sur la mobilisation nationale et internationale pour le triomphe de la r�volution. Ce souffle r�volutionnaire qui �tait le sien il y a plus de 50 ans est rest� intact jusqu�� la fin. Il consacra ses derniers mois, quand ses forces physiques le lui permettaient, � communiquer ce souffle et l�id�al de cette Alg�rie r�volutionnaire dont il fut l�acteur et le t�moin. En effet, m�me affaibli par la maladie, Pierre tenait � mobiliser et � �clairer avec une g�n�rosit� remarquable les g�n�rations n�es ici de ce combat lib�rateur et des sacrifices consentis pour l�ind�pendance nationale. Il pr�senta son livre et se pr�ta en juin � l�exercice de conf�rences-d�bats au si�ge du consulat d�Alg�rie � Montpellier, � Ganges... Il t�moignera par le moyen des m�dias aussi (voir l�interview accord�e � Kaina-tv (www.kainatv. org/new-site/tag/pierre-chaulet/). Il tenait � dire et � �clairer avec toute sa raison et sa force morale du bienfond� de la lutte, de sa justesse et ceci contre les th�ses �n�gationnistes � ou �r�visionnistes� qui ont cours aujourd�hui. Pierre �tait en cure de traitement lorsque le livre �crit avec Claudine est sorti � Alger. Nous pouvons t�moigner de sa joie et de son immense fiert� d�avoir accompli son devoir de m�moire lorsque nous lui avions apport� d�Alger des exemplaires du livre. Fier parce qu�il pensait qu�il avait contribu� utilement � �crire un chapitre de l�histoire sociale de la r�volution alg�rienne, qu�il avait aussi contribu� � une r�flexion collective sur ce que repr�sentent la citoyennet� alg�rienne et la nationalit� alg�rienne aujourd�hui. Quelle joie aussi � la suite de la lecture de la lettre envoy�e par le pr�sident de la R�publique, lettre qui faisait �cho � la d�dicace �toute politique� accompagnant le livre qu�il lui avait adress� : le chef de l�Etat rappelant le pass� glorieux de moudjahid de Pierre le qualifie �non d�un Alg�rien � part enti�re, parmi le meilleur des Alg�riens�. La fiert� d��tre alg�rien, d�appartenir � son peuple et � cette terre qui l�a vu na�tre comme d�autres Alg�riens dont les origines �taient turques, andalouses, romaines, arabes� �tait l� toujours pr�sente� Elle expliquait aussi tous ses engagements pour la construction du pays. La deuxi�me raison est donc celle de ses engagements aux c�t�s des forces nationales qui ont � c�ur l��dification de l�Etat alg�rien. Pierre appr�ciait les changements op�r�s dans le pays sur une �chelle de l�histoire du pays qui d�passe les contingences politiques du moment. Il savait distinguer le mouvement profond de notre soci�t� et son engagement patriotique �tait l� aussi sans faille. Il arrivait � redonner espoir dans l�avenir de l�Alg�rie. Il rappelait ainsi dans ses derni�res conf�rences publiques qu�en d�pit des d�chirements de l��t� 1962, la rentr�e des classes s��tait faite dans les �coles, que les terres coloniales avaient �t� r�cup�r�es, que des comit�s de l�autogestion agricole et industrielle avaient conserv� et entretenu l�outil de travail, qu�El Moudjahid-Le peuple paraissait� Que si les enfants �taient pieds nus, que si la pauvret� �tait immense, que si des maladies comme la tuberculose (les programmes de lutte contre la tuberculose furent l�une de principales pr�occupations par la suite) s�vissaient, et 50 ans apr�s le pays a chang�. Nous le citons : �Scolarisation massive, plus de 30 000 m�decins contre 200 en 1962 gr�ce � une r�forme des �tudes m�dicales� (auxquelles il a activement contribu�), des centaines de milliers d��tudiants, d�autres r�formes et chantiers consid�rables ouverts et qui sont � l�origine de la transformation du pays ces 50 derni�res ann�es (r�forme de l�enseignement des ann�es 1970, r�forme agraire, bases industrielles qui ont �t� jet�es)� A ses yeux, c�est cela qui �tait important. L�Etat national se construit et cela repr�sentait pour lui une r�alit� historique inestimable. Le message que nous avons tous retenu en l��coutant est que par ces temps de bouleversements et de crise politique et morale, de menaces qui p�sent sur le monde (il suivait l�actualit� internationale), c�est cette r�alit� qu�il faut d�fendre, que si les t�ches ne sont certes pas accomplies, il ne faut d�sesp�rer de l�avenir si l�on mesure les changements � une �chelle de temps plus longue. Pierre aura �t� modeste jusqu�au bout : soulignons seulement sa contribution avec la rigueur intellectuelle et la droiture qu�on lui conna�t � la formation de g�n�rations de m�decins ou � la d�fense du syst�me de sant� publique du pays au cours de ces 50 derni�res ann�es. Une autre raison enfin de notre admiration pour l�homme g�n�reux dont la fid�lit� � ses id�aux de jeunesse �tait sans cesse renouvel�e. Les derniers messages de Pierre, ses propos �chang�s � l�occasion de visites � l�h�pital ou chez Anne et Pierre son gendre sont charg�s d�espoir et d�un esprit de combat pour que les g�n�rations futures poursuivent les objectifs port�s par la R�volution de Novembre 1954 ou les principes adopt�s lors du Congr�s de la Soummam (dont les textes ont �t� cach�s dans les langes de Luc et achemin�s par Claudine). Pierre avait la conviction que la r�volution d�mocratique et sociale pour laquelle il s��tait engag� toute sa vie est dans le fond in�luctable et sa certitude est que l�Histoire inspir�e des principes de Novembre reprendra son cours. Notre grand fr�re Pierre avait exprim� la volont� de revoir le pays o� il voulait fermer les yeux. Toutes les autorit�s (celles du consulat ici � Montpellier mais aussi les plus hautes autorit�s du pays) s��taient mobilis�es il y a une semaine pour son transfert � Alger. Il fut annul� son �tat s��tant subitement aggrav�. Nous pensons � ses proches, sa vieille tante Colette Reveill-Tamiato (dont il conservait pr�cieusement la photo sur lui), ses fr�res et s�urs (Yves, Jean Fran�ois, Marguerite et Christiane), ses enfants (Eve, Anne et Luc) et petits-enfants (le petit Yahia, Victoire, C�leste, Alice), Ghania et Pierre et � tous ceux qui ont �t� toujours pr�sents et qui l�ont entour� de leur immense affection et qui l�on aid� � vivre. Nous avons aussi une pens�e m�l�e de reconnaissance et d��motions pour Claudine � �l�autre voix� � dont on mesure la douleur apr�s la disparition de celui, dont elle a, d�s les premi�res rencontres, �pous� la cause, partag� la vie et poursuivi les combats pour �la conqu�te de la citoyennet� alg�rienne.