Lanc� du haut de la tribune du Conseil de l�Europe, le 6 octobre, �l�Appel de Strasbourg�(1) a pour parrains deux �crivains engag�s chacun � sa mani�re et chacun pour sa chapelle : le premier, David Grossman, un Isra�lien c�l�bre, que le quarteron d�intellectuels de France, �gar�s qu�ils sont dans la n�buleuse du conflit isra�lo-palestinien, gagneraient � suivre � la page ; le second, Boualem Sansal, un Alg�rien c�l�br�, en Europe, comme l��crivain phare d�un t�n�breux monde arabe � lequel n�a d�arabe que le nom. A Strasbourg, nos distingu�s auteurs ont donc voulu faire chapelle commune. J�ai lu, et relu, ce texte appelant � un Rassemblement mondial des �crivains pour la paix. Aux premiers alin�as, j�ai eu un �lan d�enthousiasme �clatant : enfin, une initiative qui fait l�honneur de la litt�rature, une litt�rature qui, en l�occurrence, ne se contente plus d��tre engag�e pour se faire engageante ! Et pour cause : exhorter � la paix mondiale ; tirer les le�ons des guerres terriblement meurtri�res qui ont jalonn� le XXe si�cle, et dont le crime ind�passable, oui, reste la Shoah ; fustiger le �fondamentalisme barbare des Talibans�, la confiscation du Printemps arabe, la pr�suppos�e menace nucl�aire iranienne, et m�me, admettons, cette �marche (inexorable) vers le fascisme �, marche partie de ces m�mes pays qui ont r�ussi � chasser leurs ignobles dictateurs, quel intellectuel et quel �crivain, engag�s urbi et orbi, ne souscriraient pas � un tel r�quisitoire ? Oui, pour que �les valeurs de la paix soient renforc�es partout dans le monde�, et aussi, comme il est dit dans l�Appel, pour la cr�ation d�un Etat palestinien aux c�t�s d�un Etat isra�lien, l�un et l�autre dans des fronti�res s�res et inali�nables, pour tout cela, je signerais volontiers des deux mains. Sauf que� Le reste de l�appel m�a laiss� la contrariante impression d�un double standard, en faveur d�Isra�l. Assur� des vertus d�mocratiques qui fondent le futur Rassemblement, je tiens � exprimer ici ma r�serve en pointant du doigt le deux poids deux mesures qui, � mon sens, gr�ve la lettre (plus que l�esprit ?) dudit appel. Qu�on en juge : - �Dans le chaos qui se profile, l�Iran se pose en ma�tre du jeu et acc�l�re son programme nucl�aire pour r�aliser ses pr�tentions h�g�moniques au plan politique, militaire et religieux� ; - �Dans ce contexte, Isra�l est plus directement menac� que jamais� ; - �Isra�l pourrait se trouver (�) sur le point d��tre menac� dans son existence� ; - �Les pays arabes (�) appelleront aussit�t au jihad contre Isra�l pour avoir frapp� un pays musulman fr�re� ; - �Il est urgent que la communaut� internationale intervienne pour mettre sous contr�le le programme nucl�aire iranien � ; - �L�abandon des colonies ou leur �change contre des terres� ; - �L�abandon du droit au retour des r�fugi�s de 1948�. S�agissant de �l��change des colonies contre des terres�, l�astuce est aussi vieille que la politique isra�lienne du fait accompli : �changer des terres colonis�es, par Isra�l, contre des terres annex�es, par le m�me Isra�l, la belle affaire !... Quant au fameux droit des r�fugi�s palestiniens, ah, la fantasmatique peur de la submersion d�mographique qu�engendrerait � moyen terme leur retour !... Faut-il rappeler que la loi isra�lienne dite elle-m�me �du retour�, stipulant : �Tout juif a le droit d�immigrer en Isra�l�, fut compl�t�e en 1952 par un article (loi sur la citoyennet�) qui �ouvre automatiquement la nationalit� � tout immigrant juif� ?... Ainsi, aujourd�hui, apr�s plus de deux mille ans d�exil, le Juif qui d�sire �r�int�grer� le Foyer national non seulement est le bienvenu mais en plus on lui garantit un effet r�troactif symbolique de milliers d�ann�es ! Et pour un Palestinien r�fugi� depuis �seulement� quelques d�cennies, on lui interdirait de retrouver sa terre ancestrale ? Ce point d�histoire trahit � lui seul un d�s�quilibre, dans le texte, entre deux discours : celui qui semble �maner de l�int�rieur m�me d�Isra�l (1), un Isra�l pr�sent� comme perp�tuelle victime et non plus comme l�un des facteurs de tension et de conflit, et celui � pr�tention universaliste et objective (�nous exprimons ici, dit le texte, notre d�termination avec fermet� et objectivit�). Objectivit� qui consiste en fait � montrer du doigt l�Iran, surtout, et certains pays �arabes musulmans� : ceux qui se sont lib�r�s (ou sont en voie de se lib�rer) de leurs dictateurs, mais qui sont pass�s ou risquent de passer sous la coupe des islamistes. Notons bien que les pays �arabes musulmans� comme le Qatar et l�Arabie saoudite �chappent �trangement � cette stigmatisation, alors qu�ils sont les pourvoyeurs, sinon les mentors, des m�mes islamistes ! C�est que les p�tro-monarchies ont des charmes que les r�volutions ne connaissent pas !... Ainsi, donc, seuls l�Iran et l�Islam r�calcitrant, sans compter l�islamisme, menaceraient cette sacro-sainte paix dans le monde ? Et Isra�l, victime toute d�sign�e, ne repr�senterait nulle menace dans la r�gion, alors m�me que ses gouvernements va-t-en-guerre successifs n�ont cess� depuis quarante-cinq ans (et avec une impunit� effarante, qui les autorise � faire fi d�au moins 60 r�solutions de l�Onu !) de bombarder, de d�molir, d�annexer, de coloniser, et, aujourd�hui, de brandir le spectre d�une frappe pr�ventive ? Cette menace, au demeurant, les auteurs de l�Appel de Strasbourg semblent bien plac�s pour la confirmer. Et, m�me, nous inviter � prendre date : �La d�cision de frapper l�Iran est sur la table�, pr�viennent- ils. C�est ce d�s�quilibre malencontreux, pour ne pas dire insidieux, dans le traitement et la cat�gorisation des diff�rents facteurs mena�ant la paix dans le monde, que je d�plore et que je tenais � souligner au nom m�me de la fameuse objectivit� revendiqu�e par les auteurs de l�appel au pourtant urgent et n�cessaire Rassemblement mondial des �crivains pour la paix. S. G. *Ecrivain alg�rien de France. Auteur notamment de : Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin, 2011) ; Le Christ s�est arr�t� � Tizi-Ouzou (Deno�l, 2010) ; Dictionnaire des mots fran�ais d�origine arabe (Seuil, 2007, Points / Seuil, 2012). 1) Deuxi�me du nom, notons-le, apr�s celui lanc� en 1961 par les francs-ma�ons �Pour (une) Cha�ne d�union fond�e sur une totale libert� de conscience et une parfaite tol�rance mutuelle�. 1) Depuis la pol�mique soulev�e par les d�clarations de Boualem Sansal niant le fait colonial, et non, � mes yeux, par son voyage en Isra�l, m�y �tant moi-m�me rendu en 1997. Cf. ma Lettre ouverte � Boualem Sansal, M�diapart, 11-01-12. Lettre comment�e par Jean Daniel : Un geste malheureux des ambassadeurs arabes � Paris, Nouvel-Observateur, 18- 06-12.