Attention, amis lecteurs, il ne s'agit pas ici, dans ces colonnes de presse, de pendre l'écrivain Boualem Sansal après l'avoir suspendu aux colonnes de Beït HaMiqdash, la Maison de la Sanctification, autrement dit le Temple de Salomon à El Qods. Il n'est point question de son choix souverain d'écrivain engagé et affranchi de se rendre en Israël. Sansal est un homme libre. Ces romans ont montré qu'il est émancipé des préjugés philosophiques, des traditions religieuses et de la bien-pensante politique. La question n'est donc pas celle de la liberté d'y être mais de l'obligation d'y dire. De dire ce qu'un homme de symboles, comme lui, devait y dire et qu'il n'a pas pu ou voulu dire. Ou de ne pas dire ce qu'il n'aurait pas dû y dire et qu'il a finalement dit une fois sur place. Günter Grass, le prix Nobel de littérature allemand, avait dit pour sa part ce qu'il fallait dire sans s'y être rendu. Il a dit ce qui était assez juste à ses yeux pour être dit et clamé dans son célèbre poème Ce qui doit être dit. Ce texte au sujet duquel on a tant dit en Israël et en Europe résonne aujourd'hui comme une lettre indirecte de l'écrivain allemand à l'auteur algérien du Village de l'Allemand. L'auteur, notamment, des Années de chien, de Anesthésie locale, de Tirer la langue et de Toute une histoire, lui, s'est demandé «pourquoi me taire, pourquoi taire trop longtemps ce qui est manifeste ?» Il a espéré aussi que «beaucoup puissent se libérer du silence». Ses paroles ont alors retenti comme un tambour. Lorsqu'il a posé une kippa sur la tête et quand il s'est approché du Mur des Lamentations à Yérouchalaïm, Boualem Sansal ne s'est pas «libéré du silence» à propos du sort d'un peuple dont les millions d'âmes de la terre de Palestine ont depuis 1948 le statut officiel de réfugiés. Ce silence assourdissant, on l'a entendu en Algérie. En d'autres lieux où on ne comprend pas également qu'un écrivain symbolique n'entende pas, derrière le Mur des Lamentations, les cris des douleurs palestiniennes derrière les murs des ghettos et au-delà des remparts ceinturant les cloaques urbains où des Palestiniens survivent en reclus. Sur cette terre de messages et de miracles, l'écrivain algérien, qui ne se taisait jamais lorsqu'il s'agissait de pourfendre le «nazislamisme» et le «nationalautoritarisme» dans son propre pays, n'a pas dit grand-chose sur le calvaire christique du peuple palestinien. Il a juste dit «qu'il faudra qu'autour de la table (de négociations de paix), il n'y ait que des Palestiniens et des Israéliens». Paroles qui ne mangent pas de pain. Même pas le pain azyme, même pas le pain des anges, même pas le pain d'hostie alors que le pain, c'est le corps du Christ «livré à vous». Mais Boualem Sansal n'a pas dit que derrière les murs de l'orgueil sioniste, derrière les fortifications de l'arrogance militaire et derrière les boucliers de la chared, la peur hébraïque ancestrale, un peuple y survit. Sans avoir le droit à la vie digne et à la liberté inaliénable. Il aurait alors, à l'image de Günter Grass quand il a dit Ce qui doit être dit, contribué à «les aider tous, Israéliens et Palestiniens, plus encore, tous ceux qui, dans cette région occupée par le délire et la peur, vivent côte à côte, en ennemis.» Lorsqu'il a mis la kippa, le laïc Sansal ignorait peut-être l'injonction talmudique qui dit «couvrez votre tête afin que la crainte du Ciel puisse être sur vous». Est-ce pour cette raison qu'il n'a pas entendu les cris des Palestiniens, derrière leurs murs, par-delà le Mur des Lamentations ? N. K