De retour de son voyage à Jérusalem, «ville chargée d'Histoire, cité céleste qui abrite les trois lieux saints de la Cité éternelle», l'écrivain algérien Boualem Sansal en est revenu «riche et heureux». Il l'a dit lui-même dans une lettre à ses lecteurs dans le HuffingtonPost France, dirigé par Anne Sinclair-Strauss-Khan. Il s'en est également expliqué dans le journal en ligne Dernières Nouvelles d'Algérie. Il dit notamment que «quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise et quoi qu'il écrive, il dérange». Ecrire, c'est son bonheur intellectuel et sa prospérité personnelle. Faire, c'est son absolue liberté. Dire, cela dépend de ce qu'on dit, et c'est peut-être même son devoir d'écrivain que de dire. Un écrivain, comme il le dit lui-même à DNA, dans un ancien bureau parisien d'Albert Camus chez Gallimard, «n'est pas seulement un homme qui écrit des livres ; il est aussi un personnage dont la parole compte, pèse.» Déranger, mon dieu, c'est le lot de tous les écrivains emblématiques. Le fait même de déranger est la meilleure distinction littéraire qui soit. La plus belle reconnaissance du talent. Et, surtout, la traduction la plus juste de l'esprit de liberté dont un écrivain puisse faire preuve. Aller en Israël n'était pas en soi un geste héroïque. D'autres Algériens, d'autres Arabes et d'autres musulmans, pour des motifs différents s'y sont déjà rendus. D'autres suivront, pour d'autres motifs. Le propos n'est donc pas de discuter de ce qui relève de la liberté, du libre-arbitre, de la dignité et de la conscience d'un homme ou d'une femme. A fortiori d'un écrivain de renom ou d'un homme de symboles. Boualem Sansal est un homme de lettres et un Algérien symbolique, pas comme les autres. C'est cette dimension que ses interlocuteurs israéliens ont saisie dès la lecture en 2008 de son roman «Le Village de l'Allemand». Livre symbolique comblant d'aise Juifs non Israéliens et Israéliens juifs, tel l'écrivain et historien Serge Klarsfeld, «chasseur de Nazis», qui a fait traduire devant un tribunal Klaus Barbie. Il était donc entendu, et Boualem Sansal l'admet lui-même, que les invitations à visiter Jérusalem «où il y a de l'irréalité dans l'air», allait lui être lancées, depuis 2008. Encore une fois, la question n'est donc pas dans ce que M. Sansal devait faire, écrire ou dire. Elle réside dans ce que l'homme des symboles qu'il est, «dont la parole compte (et) pèse», n'a pas voulu ou pu dire en Israël, sur le sort du peuple palestinien. A ce sujet, l'écrivain s'insurge contre «certains» de ses compatriotes qui «veulent être plus palestiniens que les Palestiniens.» En fustigeant ce qu'il perçoit comme un excès de palestinianité, il prend donc le risque inverse, celui de dédouaner l'Etat hébreu de toute responsabilité. De responsabilité directe dans le drame d'éparpillement, cet Exodus en sens inverse, vécu par le peuple palestinien depuis 1948, sur sa propre terre et dans l'exil extérieur. On en juge notamment par sa foi sincère dans le fait que «si le conflit israélo-palestinien tarde à être réglé, c'est parce qu'il y a une surexploitation de ce conflit par des Arabes, des Européens, des Américain.» A aucun instant, ce n'est le fait de l'Etat d'Israël, Etat sioniste et confessionnel, qui a cantonné une partie du peuple palestinien dans des confettis territoriaux. Espaces d'exclusion, de réclusion et de confinement qui sont de réels ghettos et de véritables cloaques. Pourtant, à plusieurs reprises, le romancier algérien dit toute son admiration pour cette plume de courage intellectuel et de dignité morale qu'est l'écrivain israélien David Grossmann, rencontré dans la capitale du «pays du lait et du miel» tombés du Ciel. Partageant cette admiration, on s'est mis alors à rêver de voir l'auteur du «Serment des barbares», citer, à Jérusalem même, «Le Vent jaune». L'Algérien a sans doute lu cette première œuvre de son confrère israélien qui parle si bien et si juste des souffrances récurrentes infligées au peuple palestinien par l'occupation israélienne. Boualem Sansal se souvient certainement que «Le Vent jaune» a valu à son auteur l'accusation de trahison, formulée par le Premier ministre Yitzhak Shamir, faucon du Likoud et historique de l'Irgoun et du Lehi (groupe Stern), escadrons de la mort sionistes. A Jérusalem, Boualem Sansal n'a pas parlé, en public, du droit inaliénable des Palestiniens à vivres libres et dignes. Dans un Etat viable, avec des frontières sûres, reconnues et respectées. Dans un territoire non discontinu comme le sont aujourd'hui les Territoires autonomes, qui ressemblent tant à une peau de léopard. A Jérusalem et à Paris, M. Sansal a manié les symboles. Mais, à aucun moment, n'a évoqué les Palestiniens. Sauf à regretter l'absence de confrères de plume des Territoires ou de la diaspora qui n'ont pas été invités à la même table par ses interlocuteurs israéliens. Sauf, également, à évoquer par le truchement d'une incise, le Hamas palestinien qui, tel Dracula, se sucrerait sur le dos de son peuple «dans le huis-clos obscur du blocus israélien.» A Jérusalem, il n'a rien dit qui relèverait de la force des symboles au bénéfice des Palestiniens. Il a, en revanche, de son plein gré, mis la kippa devant le Kotel, le Mur des Lamentations. Ce couvre-chef n'est pas un simple bout d'étoffe. C'est un «dôme», de l'araméen «yira malka», c'est-à-dire la «crainte de Dieu». Cette calotte est l'un des symboles les plus forts du judaïsme. Avec la ménorah, le chandelier à sept branches, qui rappelle celui que Moïse fit placer dans le Tabernacle, tente qui servit de temple dans le désert pendant l'exode des Hébreux. Et avec aussi l'étoile de David, qui symbolise à la fois les six jours de la Création et l'annonce de la venue du messie de lignée davidique. A Jérusalem, Boualem Sansal a mis la kippa, signe cabalistique annonciateur d'offrandes littéraires divines à venir. Et, parions à ce sujet un Shekel, une gratification nommée Goncourt ou appelée Nobel. N. K.