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Th��tre et lutte de Lib�ration
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 03 - 2010


Par Ahmed Cheniki
La guerre de Lib�ration a �t� le sujet de quelques pi�ces alg�riennes. Nous essaierons de voir comment le th��tre alg�rien a pris en charge cette �pop�e tout en insistant sur les textes-cl�s qui ont abord� cette question.
De 1963 � 2010, trop peu de pi�ces traitant cet �v�nement historique furent mises en sc�ne dans les �tablissements �tatiques. Ce qui est quelque peu malheureux. Certes, les ann�es 1990 ont vu un certain nombre de po�tes se transformer en dramaturges et quelques th��tres et metteurs en sc�ne, pour des raisons financi�res, r�aliser ce qu�ils appellent pompeusement des ��pop�es�, souvent trop mal ficel�es techniquement, et ne visant trop souvent que les b�n�fices financiers soutir�s des entreprises publiques productrices comme le minist�re des Moudjahidine et l�Organisation nationale des moudjahidine. Ce type d���pop�es�, juteuses pour leurs initiateurs, ne d�passent pas l�unique repr�sentation. Ainsi, les h�ros de la guerre de Lib�ration sont malmen�s par des entreprises et des �metteurs en sc�ne� qui consid�rent l�Histoire et l�art th��tral comme accessoires. La guerre de Lib�ration devient un espace rentier. Les troupes d'amateurs abord�rent �galement des sujets historiques, avec peu de succ�s. Sur une dizaine de pi�ces �voquant cette question, quatre sont des reprises : Les enfants de la Casbah, Le serment et Les �ternels de Abdelhalim Ra�s, et Le cadavre encercl� de Kateb Yacine, mont� � deux reprises par le Th��tre national alg�rien (en 1968 et en 2000). Ces quatre pi�ces, n�es d�une forte conviction et participant d�un projet id�ologique et esth�tique clair et coh�rent, arrivent � donner une image cr�dible de la lutte de lib�ration nationale alg�rienne, souvent sch�matis�e par des ��pop�es�, certes encourag�es par les pouvoirs publics, qui d�naturent la port�e de la lutte r�volutionnaire nationale pour l�ind�pendance. D'autres textes furent mont�s � des fins de c�l�bration d�anniversaires : 5 Juillet, 1er Novembre. Ce fut le cas notamment de Soumoud(r�sistance), montage po�tique jou�, et Errafd(le refus). Contrairement au cin�ma et � la litt�rature, le th��tre n�aborda pas s�rieusement, et en nombre suffisant, ce sujet. Toutes ces pi�ces, except� Hassan Terro, succ�s populaire du grand auteur comique alg�rien, insistaient en quelque sorte sur l'historicit� des faits. Les Enfants de la Casbah, El-Khalidoun les �ternels) et Le serment de Abdelhalim Ra�s, d�j� jou�es entre 1958 et 1962, ont pour cadre de repr�sentation la ville. Ra�s, l'auteur de ces trois pi�ces, inscrit son travail dans le cadre de la guerre de Lib�ration nationale. Si Abdelhalim Ra�s propose un univers manich�en, Mammeri, Assia Djebar et Walid Carn montrent surtout le caract�re meurtrier et injuste de la guerre. Mammeri d�nonce surtout le caract�re absurde de cette guerre. Assia Djebar et Walid Carn pr�sentent la violence coloniale tout en montrant �galement les atrocit�s militaires fran�aises. Ould Abderrahmane Kaki propose un montage d'�v�nements qui caract�ris�rent la pr�sence coloniale en Alg�rie. C'est ce qu'on appelle le th��tre-document. La pi�ce la plus populaire demeure, sans conteste, Hassan Terro de Rouiched qui, comme Les enfants de la Casbah, traite du th�me de la r�sistance dans la capitale, Alger. Hassan, un personnage, mi-na�f mi-s�rieux, peu engag� au d�part, se retrouve pris dans l�engrenage de la lutte de lib�ration, bien malgr� lui. Il finira par la force des choses Hassan Terro (le terroriste). C'est un peu l�itin�raire de la m�re dans Les fusils de la m�re Carrar de Bertolt Brecht. Ce qui retient l'attention, c'est le caract�re comique de la repr�sentation et la personnalit� probl�matique du personnage. C�est le rire qui structure le r�cit. Paradoxalement, la peur, vraie ou simul�e, articule le discours du personnage central, trop prisonnier de concours de circonstances, de quiproquos et de jeux de mots. Le comique des situations et du verbe donne � cette pi�ce une tonalit� exceptionnelle : Hassan Terro est l�unique pi�ce qui traite de l�Histoire en faisant appel au genre comique. D�j�, dans le pass�, les pi�ces qui respectaient trop la chronologie des faits tout en respectant la �v�rit� historique avaient subi de s�rieux �checs. Seul Allalou, en recourant � la parodie et � la satire, pouvait s�duire le grand public. Hassan Terro qui reprend les techniques du conte (circularit� du r�cit, r�p�titions, personnage de Hassan, ersatz du conteur, etc. ) est tr�s proche sur le plan du traitement de l'histoire des pi�ces populaires des ann�es 1920 et 1930 de Allalou ou de Ksentini. Le h�ros est un homme du peuple, sans grandes qualit�s physiques ou intellectuelles. Il est simple, parfois na�f, comme d'ailleurs les personnages de Ksentini, de Allalou ou de Bachetarzi. Rouiched assumait totalement cet h�ritage. Cette pi�ce, contrairement aux autres textes traitant de la m�me question, connut une r�ussite populaire extraordinaire : en 12 repr�sentations, plus de 6 037 personnes l�ont vue, soit une moyenne de 503 spectateurs par spectacle. Une pi�ce comme Les Enfants de la Casbah fut �visit�e� par 1 352 spectateurs en 8 repr�sentations (une moyenne de 169 personnes par spectacle). Le Foehnde Mouloud Mammeri ne put rassembler plus de 2 718 spectateurs en 8 reprises (une moyenne de 194 par repr�sentation). Rouge l'aube, pi�ce jou�e en fran�ais, pr�sent�e durant sept fois, r�alisa un score tr�s moyen : une moyenne de 279 spectateurs par spectacle. Certaines pi�ces comme Soumoud du TNA ou Errafddu TR Constantine, mont�es respectivement en 1979 et en 1982, ne d�pass�rent pas la centaine de spectateurs. Le th�me de la guerre de Lib�ration ne suscita pas, outre-mesure, l'enthousiasme des hommes de th��tre, malgr� la pr�sence au sein du TNA des animateurs de la troupe du FLN. Cette situation paradoxale s'expliquerait �galement par un ph�nom�ne essentiel : la censure. Se transformant en un lieu de l�gitimation du pouvoir, l'Histoire fut tout simplement abandonn�e par des dramaturges qui avaient une autre lecture du mouvement historique national. Le traitement de l'Histoire posait �galement probl�me. Fallait-il mettre en sc�ne ce qu'on appelle commun�ment �l'�pop�e du peuple� en recourant � une multitude de personnages ou opter pour des destin�es individuelles ? Rouiched choisit la deuxi�me voie en proposant l'itin�raire d'un r�sistant malgr� lui, na�f mais fonci�rement engag�, Hassan Terro. C'est � partir de ce personnage, sorte de sergent Shweik, que tout s�articule et que le lecteur- spectateur d�couvre l'atrocit� des faits. Rouge l'aubede Assia Djebar et de Walid Carn insistait sur le caract�re collectif de la lutte. Des textes comme Rouge l'aube et Le cadavre encercl� jou�s en fran�ais et en arabe �litt�raire �, en 1968-1969, n'attir�rent qu�un nombre extr�mement restreint de spectateurs: 1 953 personnes pour Rouge I�aube (7 repr�sentations) et 508 spectateurs pour Le cadavre encercl� (8 repr�sentations). Les deux textes mont�s par le TNA interpellent l�Histoire, traitent de situations historiques pr�cises. L�Histoire est au c�ur de la trag�die. Epop�e et trag�die marquent les deux r�cits. Proches de l'exp�rience shakespearienne, Rouge l'aube et Le Cadavre encercl� tendent beaucoup plus vers le drame historique que vers la trag�die. Le personnage du guide dans la pi�ce de Assia Djebar et Walid Carn, combattant de la lutte de lib�ration, poursuit un seul objectif : l'ind�pendance de son pays. La jeune fille, �l�ment important du r�cit, arrive � concilier difficilement solidarit� collective et qu�te individuelle. Ainsi, l��pique rencontre le tragique. La qu�te individuelle se confond avec le combat collectif. L�action n'est pas, comme dans Le cadavre encercl�, centr�e sur un seul personnage, Lakhdar, mais multiplie les lieux de focalisation. Le guide, la fille et le po�te constituent les personnages essentiels de la fable. Nous avons affaire � des personnages �piques poss�dant certains traits tragiques. Comme si l'�pop�e collective convoquait la trag�die. Le tragique rel�ve surtout de l'histoire. Les h�ros se sacrifient pour des int�r�ts sup�rieurs dict�s par l'Histoire, non par la fatalit�. Le commandant meurt pour affirmer sa libert�. Le po�te, d�tenteur de la parole collective, est tu� pour avoir refus� de renier sa po�sie. La jeune fille et le guide finissent en prison. C'est l'histoire qui d�termine le fonctionnement des personnages et l'action. Ici, tout s'articule autour de la guerre de Lib�ration. Le po�te, une sorte de conteur populaire, qu�on rencontre dans les march�s ou les places publiques, est, en quelque sorte, le porteur et le d�tenteur de la m�moire historique. Le guide, une fois le po�te assassin� par les soldats, d�sire prendre sa place et t�moigner de l'histoire de son peuple. Personnages �piques par excellence, le guide et la jeune fille, combattants de la lutte de lib�ration, ne sont pas physiquement et psychologiquement d�crits : ni �ge, ni filiation, ni probl�mes personnels importants. C'est en quelque sorte l'Histoire qui est le lieu et l'espace de la trag�die. Rouge l'aube raconte la trag�die d'un peuple qui lutte pour retrouver son ind�pendance. Ainsi, on peut dire que l'Histoire investit la trag�die et lui ajoute une dimension �pique. Les textes de Kateb Yacine sont �crits en fran�ais. Ainsi, la langue fran�aise devient un outil de guerre pour les Alg�riens. Le th��tre de langue fran�aise se trouvait exil� par la force des choses. Monter en Alg�rie des pi�ces de Kateb, de Boudia ou de Kr�a �tait une entreprise impossible dans le contexte colonial de l��poque. D�j�, toute allusion � la politique �tait condamn�e au silence. L�administration veillait au grain. Toute parole libre �tait musel�e, marqu�e du sceau de l��ill�galit� �. La censure et la r�pression marquaient le quotidien. Il eut fallu le courage de Jean- Marie Serreau pour mettre en sc�ne Le cadavre encercl� de Kateb Yacine. Les pi�ces de Kateb Yacine furent mont�es gr�ce � Jean-Marie Serreau alors que celles de Boudia ( Naissances et L�olivier), de Bouzaher ( Des voix dans la Casbah) et de Kr�a ( Le s�isme et Au bord de la rivi�re) ne connurent jamais la sc�ne. Toutes ces pi�ces d�crivaient la trag�die de l�Alg�rie durant la colonisation. Le cercle
des repr�sailles, publi� en 1959, se compose de trois pi�ces et un po�me dramatique. La premi�re, intitul�e Le cadavre encercl�, une trag�die en trois actes, raconte le drame des �v�nements de mai 1945. Dans la rue des Vandales (titre initial du texte), cadavres et bless�s sont par terre ; Lakhdar et Mustapha, �ternels amants d�une insaisissable Nedjma, se trouvent parmi les r�volt�s. Bless�, Lakhdar est sauv� par la fille du commandant, Marguerite, qui n�arrive pas � se faire admettre par le groupe d�amis. Mais quelque temps apr�s, Tahar le poignarde et laisse son cadavre au milieu d�un polygone tragique, l�Alg�rie, une nation qui �n�a pas fini de venir au monde�. Jou�e � Alger en 1968 et en 2000 au TNA en arabe �litt�raire�, cette pi�ce fut tr�s mal accueillie par le public : 508 spectateurs pour 8 repr�sentations, ce qui constitue un �chec. Le cadavre encercl� traite �galement de la guerre contre le colonialisme. L'action se situe essentiellement durant les �v�nements de mai 1945. Le r�cit s'articule autour du personnage probl�matique de Lakhdar qui semble poursuivre deux qu�tes paradoxalement compl�mentaires : le d�sir d�une femme et la n�cessit� de la r�volution. Lutte individuelle et lutte collective d�terminent le fonctionnement du r�cit. Chez Kateb Yacine, la pr�sence d'Eschyle (notamment au niveau du fonctionnement du ch�ur) et de Shakespeare (dans le rapport qu'entretient l'histoire avec le mode tragique) est �vidente. Le h�ros tragique Lakhdar, meurtri et bless� � mort, �volue dans un univers �pique. L'�pique et le tragique se donnent en quelque sorte la main. Ce n'est pas pour rien que Lakhdar, poignard� par un tra�tre, se sacrifie, pas pour des int�r�ts �go�stes, mais pour ob�ir au proc�s collectif de l'Histoire. Sa mort n'est pas pr�sent�e comme une fatalit�, mais comme une n�cessit� historique. Ainsi, on peut parler de �libert� tragique�. Comme chez Eschyle, le ch�ur prend une importante place dans le mouvement dramatique. Il explique les situations tout en prenant position avec les patriotes. Il incarne en quelque sorte le peuple. Toute r�conciliation est impossible. Seule la victoire des patriotes peut permettre l'�mergence d'un monde authentique. Contrairement � de nombreuses pi�ces tragiques, Le cadavre encercl� propose une issue, une ouverture. Les anc�tres redoublent de f�rocit�, de veine tragique, met en situation deux personnages, Hassan et Mustapha � la recherche du chemin du Ravin de la femme sauvage, lieu mythique o� se trouve Nedjma, hant�e par le vautour incarnant Lakhdar. Le troisi�me volet de cette t�tralogie est constitu� par une pi�ce satirique, La poudre d�intelligence, qui tourne en d�rision les arrivistes, les faux d�vots et les opportunistes. Nuage de fum�e rencontre dans ses nombreuses balades mufti, cadi et marchands qu�il ridiculise et qu�il tourne en bourrique. Cet ensemble dramatique puis� dans l�histoire de l��poque avec ses contradictions et ses ambigu�t�s, caract�ris� par la pr�sence de traits lyriques et l�utilisation d�une langue simple, ne s�arr�te pas uniquement � la dimension politique et la guerre, mais les d�passe et interroge l��tre alg�rien d�chir�, mutil�. La trag�die est, chez Kateb Yacine, paradoxalement vou�e � l�optimisme ; la mort donne naissance � la vie. Ainsi, quand Lakhdar meurt, c�est Ali qui poursuit le combat. Nous avons paradoxalement affaire � une trag�die optimiste. Tragique et �pique se c�toient, se donnent en quelque sorte la r�plique. Le �je� singulier (relation amoureuse de Lakhdar et de Nedjma par exemple) alterne avec le �nous� collectif (inscription du personnage dans le combat collectif). La fin est ouverte, jamais totalement n�gative. Ses paroles pr�monitoires sont le produit de son combat. Le ch�ur prend en charge le discours du peuple et s�insurge contre les sournoises rumeurs de la mort. Nedjma, �toile insaisissable autour de laquelle tournent tous les protagonistes masculins, incarnerait l�Alg�rie meurtrie, terre � r�cup�rer. Le d�placement de l�histoire � la l�gende se fait surtout par le retour � la tribu, source du v�cu populaire et territoire-refuge de tous les personnages qui reviennent � cet espace afin de retrouver leur force. Le mythe tribal ne constitue nullement un retour aux sources mais une mani�re de se red�finir par rapport � un pass� accoucheur d�un pr�sent ambigu et ab�tardi. Le jeu avec le temps et l�espace, un des �l�ments essentiels de la dramaturgie en tableaux, est li� � la qu�te de la nation encore perturb�e et insaisissable. Durant la p�riode 1954-1962, d�autres acteurs avaient senti la n�cessit� d��crire des pi�ces de th��tre en fran�ais et de dire l�Alg�rie en guerre. Dans Le foehn, pi�ce marqu�e historiquement, il est question de la guerre, une guerre impos�e. Boudia, Kr�a et Bouzaher affirment d�s les premi�res r�pliques leur projet politique et leurs intentions id�ologiques. Leur th��tre s�inscrit dans le cadre d�une litt�rature et d�un art de combat. Ecrire voulait dire t�moigner, dire leur peuple. Dans tout t�moignage, il y a toujours prise de parti. Naissances de Mohamed Boudia raconte l�histoire d�une famille marqu�e par la guerre. Des voix dans la Casbah de Hocine Bouzaher �voque la situation politique et sociale d�un quartier alg�rois ravag� par les bruits et les rumeurs militaires. Le s�isme de Henri Kr�a met en sc�ne l�histoire de l�Alg�rie, avant et pendant la colonisation. C�est une tentative d�affirmation de l��tre national alg�rien. La conception manich�enne, par endroits simpliste, de l�histoire ob�it au discours politique dominant et correspond � des n�cessit�s historiques imm�diates. L�essentiel pour les auteurs �tait de mettre en forme les id�es du Front de lib�ration nationale (FLN). C��tait donc un th��tre d�information li� aux n�cessit�s de la p�riode de guerre. Le th��tre de langue fran�aise des ann�es de guerre �tait essentiellement un th��tre de combat.


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