La bo�te � gants du v�hicule de Farid le taxieur rec�le un tr�sor de livres parmi les nouveau-n�s de la rentr�e litt�raire. Entre deux courses, il a toujours le nez coll� sur ses ouvrages. Plong� dans sa lecture, il lui arrive d�oublier que son m�tier est d�abord d�assurer le transport de ses clients, pas d��tre transport� par ses fictions. Ce qu�il assume en esquissant un sourire qui en dit long sur l�amour qu�il porte pour la lecture et les �crivains. Pour ce fan du livre, rien ne vaut l��vasion que procure la lecture. C�libataire endurci, la premi�re femme qu�il a failli �pouser fut une libraire qu�il a connue alors qu�il cherchait d�sesp�r�ment un ouvrage disparu des rayonnages. Cette femme qui partageait la m�me passion �tait attir�e par cet homme intriguant par son attachement � la lecture. De cet h�ritage intellectuel commun s�est d�velopp�e une amiti� qui s��tait vite transform�e en passion amoureuse longtemps entretenue par ce lien avec le livre. Farid se rappelle encore ces moments de r�ve partag�s virtuellement avec sa dulcin�e qu�il a conquise au nom de la litt�rature et dont il s�est malheureusement s�par� le jour o� cette personne a quitt� ce m�tier. Doucement, ce taxieur sobre s�est b�ti une r�putation d�homme s�int�ressant � la litt�rature avec un go�t prononc� pour les voyages et les vill�giatures intellectuelles. Et c�est ainsi que son taxi, un modeste v�hicule de plusieurs ann�es d��ge, respirant le livre, est sollicit� par les voyageurs qui ont la culture en partage. Son carrosse qui ne paye pas de mine a accueilli � son bord bien des hommes de lettres, des sportifs et des gens qui ont toujours privil�gi� la richesse de l��me et du c�ur aux plaisirs �ph�m�res de la mati�re. Que de fois il a transport� des conf�renciers et des animateurs du monde de la culture invit�s des associations culturelles et scientifiques qui recherchent les services de ce taxieur pour �tre en phase avec la dynamique intellectuelle des touristes en qu�te de curiosit�s et d�exotisme que procure la proximit� de ce personnage qui passe plus de temps plong� dans ses livres que dans la rue. Et tout au long de ces voyages, il n�est question que de curiosit�s intellectuelles, de d�couvertes, de circuits touristiques et de mots de l�esprit ; la grande joie de ses clients qui ne se sentent point d�pays�s en compagnie de Farid. La joie est alors compl�te d�s qu�il s�agit d��trangers qui vont � la d�couverte de nos fantastiques paysages dans des randonn�es m�morables. Notre taxieur se rem�more ces inoubliables escapades p�destres au cours desquelles les touristes �trangers faisaient montre d�un respect particulier de l�environnement. Par amour pour la nature, sa beaut� et pour tout ce qui l�habite, ces touristes s�excusent presque de pi�tiner la v�g�tation et les petites pierres parsemant l�itin�raire touristique en remettant d�licatement en place les cailloux extirp�s malencontreusement de leurs cavit�s durant les marches ou encore les touffes d�herbe qu�ils caressent jalousement. Autre particularit� de ce chevalier de la route : jamais press� d�arriver. Il a toujours �t� exemplaire sur la route dont il conna�t les moindres secrets. En vingt-cinq ans de volant, il n�a jamais provoqu� le moindre accident, �vitant m�me aux chauffards le drame. L�autre image qui a fascin� notre taxieur, c�est ce rapport quasi humain que ces �trangers adoptent vis-�-vis de tout ce qui symbolise la nature en s�interdisant d�empi�ter sur l�espace longeant les pistes. Ce sont tous ces comportements qu�essaye d�inculquer � son tour Farid � ses clients locaux dans des comptes rendus �difiants sur le respect de l�environnement. Ainsi, les clich�s des taxi-drivers � l�alg�rienne, peu enclins aux plaisirs de l��vasion par la lecture et aux belles choses qu�offre cette opportunit� de voyager et dont la vie est rythm�e sur les soucis quotidiens, sont battus en br�che par Farid qui, sans �tre bavard, rompt la monotonie du voyage en engageant la discussion sur des sujets adapt�s aux go�ts de ses clients qui raffolent des anecdotes de leur conducteur. Pour Farid, �tre taxieur, ce n�est pas du business, mais un m�tier qui fait la part belle aux relations humaines, au savoir-vivre et � la confiance. Farid est aussi un routard qui ne se lasse jamais de la route qu�il a sillonn�e d�est en ouest et du nord au sud en admirateur de tout ce qui fait la beaut� de son pays qu�il n�a jamais song� � quitter. Amateur du 7e art, il a incarn� son propre r�le dans un film alg�rien. Il s��tonne que des gens l�ayant reconnu alors qu�il n�a fait qu�une br�ve apparition en tant que figurant l�apostrophent pour lui dire combien ils ont aim� sa figuration. Pas �tonnant pour ce taxieur dont le cin�ma constitue aussi l�une de ses passions d�vorantes. Autre particularit� de ce chevalier de la route : jamais press� d�arriver. Il a toujours �t� exemplaire sur la route dont il conna�t les moindres secrets. En vingt-cinq ans de volant, il n�a jamais provoqu� le moindre accident, �vitant m�me aux chauffards le drame. Il �gr�ne les kilom�tres au rythme d�une ballade sentimentale qui s��coule comme les contes anciens qu�il ne se lasse jamais de lire ou de raconter � ses passagers dont il raffole des anecdotes et s�impr�gne de la philosophie. Si Moh, un ancien chauffeur de taxi � la retraite qu�on a accost� pour nous parler de Farid et des secrets de la vie atypique de son d�sormais ex-coll�gue, s�illumine d�un �clatant sourire pour dire le d�sint�ressement de celui qui repr�sente � ses yeux un mod�le pour la corporation et la soci�t� : �Il arrive que Farid d�pense tout ou partie de la recette du jour en livres, magazines et autres revues juste pour le plaisir de lire et de faire partager ses lectures � ses amis et aux passagers.� Le plus �tonnant, encha�ne notre interlocuteur, c�est que l�on ne trouve pas cette fr�n�sie pour la lecture chez les gens cens�s l�utiliser dans leur travail. Une r�alit� bien am�re quand ces m�mes personnes en font le constat au hasard d�une course en d�couvrant tous ces livres flambant neuf qui ornent le v�hicule. Que de fois est-il alors sollicit� pour venir en aide � de lecteurs � la recherche d�un titre rare, chose � laquelle se plie ce taxieur qui ne se fait pas prier pour pr�ter ses livres ou aider � trouver l�ouvrage tant convoit�. De ses d�placements � Alger, il d�plore que l�on ait chass� des rues tous ces bouquinistes qui faisaient le bonheur des amoureux des livres. Nostalgique, il se rem�more ainsi tous ces tr�sors qu�il a pu s�offrir � moindres frais dans ces rues grouillantes de lecteurs de tous les �ges qui accouraient de partout pour s�offrir des livres anciens aux pages jaunies par le temps sentant bon le moisi mais qu�on lit avec engouement. Un espace privil�gi� pour les lecteurs aujourd�hui remplac� par des �tals de fruits et l�gumes. Toutes ces lectures sont r�investies dans les relations privil�gi�es qu�il entretient avec les clients qui recherchent sa compagnie. Et les malades sont les premiers b�n�ficiaires de cette th�rapie que le chauffeur dilue admirablement dans ses conversations avec les patients auxquels il apporte le soutien psychologique dont ils ont tellement besoin. En Alg�rien conscient de l�avenir de l��ducation dans le pays, Farid d�plore que la profusion de biblioth�ques, de centres culturels, de maisons de jeunes et d�associations culturelles ne soit pas soutenue par des r�seaux ni d�une v�ritable politique de lecture publique, apanage de quelques castes et de familles intellectuelles. Il sugg�re ainsi une meilleure implication de l�Etat en rendant un libre acc�s aux structures des livres et en les dotant d��quipements dont l�usage pourrait �tre optimis�, tant pour la formation du public que pour l�informatisation des fonds. Lire pour le plaisir et partager ce plaisir avec les autres est l�une des satisfactions de Farid qui collectionne les belles phrases qu�il n�h�site pas � envoyer par SMS � ses potes dans des conjonctures particuli�res et pas forc�ment joyeuses. A un de ses amis qu�il sent passer � c�t� du bonheur, il a envoy� cet extrait du r�cit poignant de Anouar Benmalek sur le d�part de sa m�re : �Nous sommes les seuls �tres vivants conscients que nous mourrons tous un jour, mais nous ne pensons m�me pas � couver d�amour ceux que nous aimons. On pense qu�on a l��ternit� pour dire tout cela, et c�est l� o� la vie est odieuse, peut nous arracher un �tre cher � tout moment et m�me quand on s�y attend le moins.� Personnage affable et d�une grande simplicit�, Farid refuse d��tre compar� � un intellectuel et encore moins � un �rudit estimant que la litt�rature n�est pas une fin en soi mais un moyen de se r�approprier la vie dans toute sa beaut� et sa laideur. Surtout qu�il n�oublie pas de rappeler que son amour pour la lecture est le fait de son grand fr�re qui l�a initi� au go�t du livre apr�s avoir pr�matur�ment quitt� l��cole pour des consid�rations familiales. Une �cole qu�il n�a en r�alit� jamais abandonn�e en restant constamment en contact avec sa premi�re vocation, la lecture, pour laquelle il se d�voue corps et �me en d�pit des vicissitudes de la vie pas toujours souriante pour ceux qui l�aiment par-dessus tout. Et Farid aime la vie dans l�hymne qu�il lui rend au quotidien en participant � l��ternit� dans laquelle la lecture le plonge. Et ce n�est pas tout puisqu�elle lui permet de vivre des �v�nements et des exp�riences qui �chappent � ceux qui n�ont pas cette chance de lire. Sentant que nous allions �voquer sa vie humble d�une personne qui fait de la modestie son credo, il nous sort cette phrase de Gr�ta Garbo, actrice su�doise naturalis�e am�ricaine connue pour sa beaut� l�gendaire et sa personnalit� secr�te : �Parler de moi, c�est trahir un peu.� Pas si s�r que �a car nous estimons que ne pas parler de Farid, c�est trahir beaucoup.