Par Salah Azzoug, ing�nieur en raffinage et p�trochimie [email protected] Les prix du p�trole et du gaz ont, de tout temps, �t� tr�s volatiles. Par le pass�, cette volatilit� r�sultait essentiellement de ph�nom�nes conjoncturels. C�est le cas, par exemple, des chocs p�troliers de 1973 et de 1979 qui se sont traduits par une hausse brutale des prix en raison de situations politiques internationales tendues. C�est aussi le cas de la hausse des prix de 2008 qui s�explique par un essoufflement de l�offre qui n�arrivait plus � r�pondre � une demande en pleine croissance. Ces derni�res ann�es, par contre, l��volution des prix semble ob�ir � des causes d�une nature diff�rente. Ces causes ne sont plus conjoncturelles, elles tendent � devenir plus structurelles. Elles sont li�es notamment � l�augmentation importante et durable de l�offre et plus particuli�rement � celle des gaz de schiste et, � un degr� moindre, des p�troles non-conventionnels (p�trole de schiste, schistes bitumineux et biofuels). Ce nouveau contexte ne peut rester sans effet sur les prix du march� international. Il ne manquera pas de reconfigurer en profondeur le paysage p�trolier et gazier de demain. March� du gaz : surabondance durable de l�offre La production de gaz de schiste a connu un bond spectaculaire aux Etats-Unis. En moins de 6 ans, elle est pass�e de pratiquement z�ro � plus de 200 milliards de m�tres cubes, soit plus du tiers de la production totale de ce pays. De ce fait, le march� am�ricain, qui a longtemps �t� un des principaux d�bouch�s du gaz, s�est brutalement ferm� aux importations. Forts de leur nouveau statut de premier producteur mondial, les Etats-Unis ont m�me engag� des projets de construction d�usines de GNL pour devenir exportateur de gaz � court terme. D�autres pays ont aussi consid�rablement augment� leur production ces derni�res ann�es. Il s�agit notamment du Qatar, dont la production a �t� multipli�e par 7 entre 2000 et 2010 et de l�Australie dont les r�serves �normes en gaz de houille (Coal Bed Methane ou CBM) en font d�sormais un grand pays gazier. L�Australie pr�voit m�me de d�passer le niveau de production du Qatar vers 2017-2018. Cette forte croissance de la production a entra�n� un exc�dent substantiel de l�offre par rapport � la demande. Ce surplus, estim� par l�Agence internationale de l��nergie � 200 milliards de m�tres cubes en 2011, n�est pas conjoncturel. Il risque m�me de s�amplifier avec le lancement prochain de la production des gaz de schiste dans de nombreux pays. En Pologne, les travaux d�exploration-production sont en voie d�ach�vement. La Chine, qui dispose des plus grandes r�serves mondiales, vient, elle aussi, de lancer son deuxi�me appel d�offres pour l�exploitation de ses gigantesques gisements. D�autres pays, tels la France et le Royaume- Uni, dont les r�serves sont aussi cons�quentes, ne manqueront pas de mettre en valeur leurs gisements d�s la mise au point de techniques d�exploitation plus respectueuses de l�environnement qui, compte tenu des enjeux, ne tarderont certainement pas � voir le jour. Prix du gaz : un d�clin annonc� ! Aux Etats-Unis, les prix du gaz ont d�j� connu une chute vertigineuse. Ils ont m�me plong� � moins de 2 dollars/mmbtu en avril 2012, ce qui correspond, en termes d��quivalent �nergie, au prix invraisemblable de 12 $ le baril de p�trole, soit pr�s de 10 fois moins que le cours normal. Le march� am�ricain s�est donc carr�ment effondr�. Les autres principaux march�s consommateurs de gaz, � savoir ceux de l�Europe et de l�Asie, n�ont pas connu de baisse de prix aussi sensible. Il n�emp�che que les prix moyens en vigueur sur ces march�s, de 9 dollars/mmbtu et 14 dollars/mmbtu respectivement, se situent � des niveaux inf�rieurs � ceux des cours index�s sur le p�trole. Le march� asiatique a le mieux r�sist� � cette tendance baissi�re en raison de la demande suppl�mentaire de gaz du Japon induite par la fermeture soudaine de ses 54 r�acteurs nucl�aires cons�cutivement � la catastrophe de Fukushima. Le remarquable diff�rentiel de prix entre le march� am�ricain et ceux de l�Asie et de l�Europe s�explique notamment par la �rigidit� du march� du gaz du fait des contraintes techniques que pose le transport de grandes quantit�s de gaz vers les march�s asiatiques et europ�ens, souvent tr�s �loign�s des centres de production. Ces contraintes de transport sont en train d��tre lev�es par l�arriv�e massive de GNL qui est facilement transportable par navires. A eux seuls, le Qatar et l�Australie pr�voient de commercialiser plus de 160 millions de tonnes/an de GNL � partir de 2017. Ces contraintes seront aussi naturellement lev�es avec la mise en production progressive des immenses r�serves de gaz de schiste de l�Asie et de l�Europe. A moyen terme, le march� du gaz perdra donc de sa �rigidit�. On assistera alors � l��mergence d�un large march� spot avec un prix de r�f�rence international. Le prix d��quilibre sera de moins en moins li� au rapport offre/demande en raison de l�abondance de l�offre. Il d�pendra de plus en plus du seuil de rentabilit� de la production des gaz de schiste. Au jour d�aujourd�hui, ce seuil est de l�ordre de 6-8 dollars/mmbtu. Gaz alg�rien : l�atout de la g�ographie Dans un march� o� l�offre est abondante, la concurrence ne peut �tre que f�roce. Les op�rateurs qui garderont leurs positions, dans de bonnes conditions de rentabilit�, seront ceux dont les co�ts de production et de transport du gaz seront les plus comp�titifs. Sur ce plan, l�Alg�rie a deux atouts majeurs � faire valoir. Le premier a trait aux r�serves appr�ciables de notre pays en gaz conventionnel dont le co�t de production est relativement tr�s bas. Le second r�side dans sa proximit� g�ographique avec l�Europe qui lui permet d�acheminer son gaz sur ce march� fortement consommateur avec des co�ts de transport parmi les plus bas au monde. Cet avantage devient m�me d�terminant lorsqu�on utilise le mode de transport par gazoducs, substantiellement moins cher que l�autre forme de transport, � savoir le GNL. Ces deux atouts font que le co�t rendu en Europe et plus particuli�rement en Europe du Sud du gaz conventionnel alg�rien est tr�s attractif. Ils plaident pour la mise en place, dans l�int�r�t bien compris des pays des deux rives de la M�diterran�e, d�un partenariat strat�gique stable et durable dans le domaine gazier. Last but not least, la disponibilit� d��normes r�serves nationales de gaz de schiste (16 000 milliards m3) devrait, m�me si leur exploitation se heurte aujourd�hui � de s�rieuses contraintes environnementales et �conomiques, renforcer la position commerciale alg�rienne et rassurer nos clients sur notre capacit� � garantir la s�curit� de leur approvisionnement � tr�s long terme. Malgr� tous ces avantages, le gaz alg�rien reste quand m�me fortement concurrenc� par le GNL en provenance du Qatar. Il est aussi, et surtout, menac� par la Russie qui pourrait, � travers son projet du pipeline �Southstream�, inonder le march� de l�Europe du Sud dans des conditions �conomiques assez comp�titives. March� du p�trole : l�empreinte am�ricaine Avec une consommation de p�trole de plus de 20% de la production du monde, les Etats-Unis devraient garder encore longtemps leur rang de premier importateur. N�anmoins, leurs importations ont continuellement r�gress� ces trois derni�res ann�es gr�ce � une politique �nerg�tique active qui a permis une meilleure ma�trise de la demande et une plus grande p�n�tration de sources d��nergies alternatives telles les �nergies renouvelables et les biofuels. L�autre raison de cette r�gression, toute aussi importante, n�est autre que la mont�e en production du p�trole de schiste (shale oil) dont l�exploitation a �t� rendue possible gr�ce aux techniques de fracturation hydraulique et de forage horizontal qui ont tant r�ussi aux gaz de schiste. Selon l�Agence am�ricaine de l�information (EIA), la production am�ricaine de ce type de p�trole a explos� ces deux derni�res ann�es pour atteindre un (1) million de barils par jour (voir figure ci-contre). Cet essor a d�clench� une v�ritable ru�e des investisseurs vers les Etats du Dakota et du Texas qui disposent des plus grandes r�serves. Cet empressement ressemble � s�y m�prendre � celui de la grande �pop�e des gaz de schiste des ann�es 2000. Apr�s le gaz pas cher, aura-t-on bient�t du p�trole bon march� ? C�est en tout cas ce que laissent entendre beaucoup d�analystes qui consid�rent m�me que l��mergence du p�trole de schiste a d�j� contribu� � la stabilit�, voire la baisse relative des prix constat�e en 2011 et 2012. Selon ces analystes, le spectre du p�trole rare et cher que l�on pr�voyait il y a � peine 2 ou 3 ans, n�est gu�re plus d�actualit�. Les prix risquent m�me de s�effondrer si les Etats-Unis parvenaient � exploiter les schistes de p�troles (vari�t� de schistes bitumineux � ne pas confondre avec le p�trole de schiste) dont les r�serves sont estim�es par certaines sources � plus de trois fois celles de l�Arabie saoudite. Bien que la production de ce type de p�trole soit aujourd�hui entrav�e par des probl�mes d�environnement bien plus complexes que ceux des gaz de schiste, son exploitation � long terme n�est pas du tout exclue. Conclusion La r�volution des gaz de schiste a d�j� bien eu lieu. Elle a transform� le march� gazier international et marquera durablement de son sceau l��volution future des prix du gaz. Quant � la r�volution en cours des p�troles non-conventionnels, elle aura, si elle se concr�tise, des cons�quences autrement plus radicales. D�une situation de rar�faction pr�visible de p�trole, on passerait progressivement � un �trop-plein� durable de cette ressource. Un tel contexte conduirait � la refondation de la nature m�me des �changes commerciaux internationaux dans le domaine �nerg�tique. Il impacterait plus particuli�rement les pays producteurs, et notamment ceux � revenus interm�diaires dont les �conomies risquent de subir un choc sans pr�c�dent.