Id�alement situ� dans la rue Larbi-Ben-M'hidi, le Novelty, grand caf�, remportait un succ�s retentissant pour son calme, son charme discret et son service de premier ordre. Les modifications partielles intervenues dans sa structure sont tr�s significatives de la mouvance des ann�es soixantedix : sa terrasse, selon le concepteur, lui donnait le cachet d'une enseigne parisienne. Il drainait une client�le constitu�e de : intellos, amateurs de culture, �tudiants, sportifs, cols blancs et cols bleus... T�t le matin, ils venaient s'agglutiner autour d'un caf�-cr�me et croissant �maison�. Il faut savoir que dans l'enceinte m�me de l'�tablissement, au sous-sol, se trouvait un laboratoire dot� d'un mat�riel ad�quat ; des professionnels de la viennoiserie s'affairaient pour pr�parer des d�lices dont les odeurs r�pandues parvenaient jusqu'aux narines des passants qui ne pouvaient s'emp�cher de contempler ce caf� grouillant de mode. D�truire ce qui a �t� admirable... Lieu de rencontre mythique, le �Novelty� �tait � la fois un refuge et un exutoire pour beaucoup d'entre nous. Un imaginaire social qui comprend sous ce terme une myriade de d�sirs, de r�ves, de joie, de gaiet� et de d�foulement, propres � une pluralit� de groupes sociaux durant cette �poque historique. Il serait int�ressant d'�tudier par des sociologues les raisons pour lesquelles ce lieu a gard� sur notre sensibilit� une telle puissance de fascination. Et pourquoi cet illustre rendez-vous des amis et d'autres ne cessent de hanter nos r�ves de jeunesse pour constituer le symbole phare d'une d�cennie exceptionnelle qui nous renvoie un instant au chef-d'�uvre de Stefan Zweig, Le monde d'hier. Le temps nous use en emportant tout ce que nous avions aim�. C'est vrai que nous sommes ces passionn�s, enclins � �terniser ce qui fut et figer les choses qui n'existent plus. Mais d�truire ce qui a �t� admirable est semblable � une histoire tragique qui commence bien et finit mal. Dans d'autres contr�es, tout ce qui caract�rise la m�moire collective comme les grands caf�s des avenues parisiennes ou viennoises est sauvegard� et ces �tablissements n'ont pas �t� d�molis ou transform�s en une autre activit� mais embellis en tant que richesse culturelle d'un patrimoine mat�riel � conserver, le cas �ch�ant, � ressusciter par la restauration. La m�moire affective La destruction sans ambages, entreprise par les pr�dateurs ne fut pas �cr�atrice� � l'image de la notion �conomique invent�e par J A Schumpeter. La cause est tout autre pour donner naissance � un ph�nom�ne appel� �effet�. Entre l'analyse et la synth�se du ph�nom�ne apparu, nous sommes arriv�s � la conclusion que le mercantilisme en est la cause, la raison s�minale. La cupidit� a ainsi pris le pas sur le particularisme de tout un groupe social. Idiomes, habitudes, coutumes, amiti�, etc. ne constituent-ils pas la dynamique culturelle ? Peut-on se s�parer des choses qui font la m�moire affective ? La r�miniscence path�tique du souvenir est justement cette valeur affective que nous sommes cens�s tous partager dans notre culture. Ce lieu nous enveloppait d'une aura de bonheur; par son originalit�, il insufflait de la joie dans le c�ur des hommes ; sans discernement il fut balay� avec en plus la propension de galvauder un talent d'architecte et une politique urbaine en touchant � son activit� �conomique et socioculturelle. Les nouveaux doctrinaires du n�o-lib�ralisme oublient ou ne savent pas qu'il y a plus de quarante ans, Alger organisait un colloque international pour d�noncer les m�faits de l'imp�rialisme (21-24 mars 1969) et ses effets pervers sur la personne comme le soumettre malgr� lui � des complaisances serviles. Pris dans le tourbillon du mouvement brownien (technique pluridisciplinaire qui regroupe notamment un volet : strat�gie financi�re tr�s pointue). Les nouveaux nababs ne regardent plus que le profit unique au d�triment du bien-�tre de tous. Une soci�t� individualiste G. Lipotevski, dans son ouvrage L'�re du vide, dit en ce sens : �Les d�sirs individualistes nous �clairent aujourd'hui davantage sur les int�r�ts de classe, la privatisation est plus r�v�latrice que les rapports de production. L'h�donisme et le psychologisme sont plus pr�gnant que les programmes et les formes d'actions collectives.� En somme, une soci�t� d�sarticul�e qui se d�sint�resse royalement du plus grand nombre et incapable de redonner la �joie� de vivre autrefois au plus haut de l'�chelle des valeurs. Alger, Oran, Constantine, Annaba... �taient des villes o� il faisait bon vivre. Les po�tes, les musiciens, les peintres, les hommes du th��tre et du cin�ma, les miniaturistes, les sculpteurs, etc. Ils en ont fait des centres artistiques et de rencontre. Ils se r�unissaient souvent dans des endroits qui furent le berceau de leur apprentissage. Il �tait impossible pour eux de faire vivre l'expression artistique sans cette complicit�. Beaucoup diront que nous menons un combat d'arri�re-garde et que nos pens�es sont d�pass�es, peut-�tre bien quand la �liesse � a �t� �touff�e par une soci�t� individualiste et sa morale anti-collective, offrant d�s lors un paysage mi�vre au point que nous prenons de la distance vis-�-vis du pr�sent et nous donnons la pr�f�rence au pass�, car nous n'arrivons pas � reconstruire la reviviscence du maintenant. Mais de quoi de plus naturel ? Tous nous avons des souvenirs peupl�s de lieux, de rencontres et de senteurs �voquant une certaine douceur de vivre. On n'a pas � dissimuler notre grande nostalgie qui ne demande pas que le pass� revienne mais que le souvenir demeure pr�sent. Comme les po�tes et les auteurs du merveilleux, nous l'avons compris pour ne jamais renoncer � nos paradis perdus. Enfin, le titre donn� � notre texte n'est pas fortuit. Il demeure fort probable que les anges gardiens du temple n'ont pas pu r�sister aux supplications �perdues des amoureux du �Novelty� pour d�fra�chir le franchis� et le franchiseur. Le talisman bien cach� quelque part a produit son effet. On ne se leurre pas quand m�me. Ce n'est pas demain la veille que nous allons retrouver � l'entr�e, notre cher compagnon �Mokrane�. Le professionnel av�r� du service � table qui, par son bagout �loquent, savait inciter le client � revenir. Nous le saluons, face aux lumi�res qui se sont �teintes sur la rue Larbi-Ben-M'hidi. En sacrifiant la convivialit�, on avait aussi sacrifi� le �Novelty�.