Aspects de la repentance(est l�intitul� d�un livre r�unissant une dizaine d��tudes sur ce th�me et autour duquel furent sollicit�s paritairement des universitaires des �deux rives�. Outre le fait que par la sobri�t�, voire la neutralit� s�mantique du titre il indique corollairement que ces travaux r�futent globalement les a priori politiques et g�n�ralement les enfermements id�ologiques, il est par ailleurs remarquable qu�il ait �t� con�u dans une volont� de croisement des points de vue. A l�abri du conditionnement in�vitable, que les codes de pens�e d�ici et d�ailleurs fa�onnent sournoisement, sa lecture nous a paru �difiante par sa pertinence intellectuelle. Sous la direction du professeur Isma�l-Salim Khaznadar, enseignant � l�universit� de Constantine, cet essai collectif constitue une d�marche originale visant � mettre en question (s) plurielle ce rapport ambigu qu�entretient la gu�guerre des m�moires avec un concept strictement religieux : la repentance en cause. Alors que, dans le m�me temps, l�on a pris l�habitude d�interpeller les historiens pour rendre des verdicts, la pr�occupation s�av�re tout autre. Comme il se pla�t � le rappeler � ses interlocuteurs, Khaznadar insiste sur la gen�se de ce projet. �Il n�est, dit-il, qu�un faisceau d��tudes qui ne pr�tend ni � la plaidoirie ni � un quelconque r�quisitoire. Il se veut une sorte d��clairage diff�renci� qui s�efforce de donner un nom � de grandes souffrances afin d�en fixer enfin un sens et pourquoi pas apaiser les m�moires.� Dans le m�me ordre d�id�es, Mme H�l� B�ji(2), auteure de la pr�face, insiste sur cet objectif, mais d�une mani�re plus vigoureuse. �(�) Les textes de ce recueil, �crit-elle, ont le m�rite d�aller au-del� de cette dimension personnelle et strictement morale du repentir. La repentance, �l�gant vocable pour d�crire une sc�nographie plus prosa�que des peuples qui n�ont pas fini de r�gler leurs comptes et qui poursuivent sur le plan immat�riel un affrontement, o� les armes officielles leur sont interdites, n�est qu�une nouvelle fa�on d�en d�coudre et de rejouer le pass� dans des r�les qui sculptent chaque protagoniste dans son �pop�e narcissique.� Voil� une solide mise en garde qui pourrait d�plaire � bon nombre de c�nacles dans les deux �outremer �, � tant il est vrai que nous sommes toujours �l�outre-mer de l�autre� ! Sauf qu�elle a le m�rite de briser les miroirs d�formants afin de ne pas oblit�rer par d�inutiles pol�miques �l��criture de l�acte final� de cette histoire. Est-il, par cons�quent, possible de transcender le malentendu sur ce fameux concept et trouver les justes vocables pour requalifier le pass� ? Le ma�tre d��uvre de ce travail collectif le pense �galement. Et c�est pr�cis�ment autour de trois questions- s�quences qu�il s�en explique. Boubakeur Hamidechi 1- Publi� par les �ditions Barzakh - Alg�rie 2- H�l� Beji est agr�g�e de lettres modernes, elle a enseign� la litt�rature � l�universit� de Tunis avant de travailler � l�Unesco. Elle est l�auteure notamment de deux essais dont Islam Pride, derri�re le voile(Gallimard 2011) et D�senchantement national, essai sur la d�colonisation: in Editions Maspero 1982 ENTRETIEN AVEC ISMA�L KHAZNADAR* (COORDONNATEUR) �O� est notre Martin Luther King ? O� est notre Vaclav Havel ?� Le Soir d�Alg�rie. La repentance pour crimes coloniaux exig�e de la France n�est-elle qu�un �pisode diplomatique, ou devrait-elle �tre l��v�nement fondateur d�une relation avec l�Alg�rie finalement apais�e, respectueuse et donc durable ? Isma�l Khaznadar. Envisageons pour commencer cette hypoth�se d��cole. Selon des modalit�s qui restent �videmment � d�finir, les repr�sentants de l�Alg�rie officielle deviennent cessionnaires, venant de la France officielle, d�une demande de pardon qui serait expression d�un repentir pour l�ensemble des crimes li�s � la p�riode coloniale. Quel serait alors le b�n�fice pour les deux parties ? D�abord pour la partie officielle fran�aise, il ne s�agira que d�une corv�e vite exp�di�e, dans un souci de pur pragmatisme : tourner une page, mais qui aurait �t� si mal lue. Cette d�marche, qui assur�ment ne r�unira aucun consensus, contribuera � troubler les consciences et fausser les jugements, car aucun d�bat n�a �t� voulu qui aurait pos� d�utiles jalons. La vulgarit� haineuse d�un petit ligueur, maintenant ancien ministre, r�cemment exprim�e et qui d�courage jusqu�� la piti�, en donne le ton. Mais la gauche elle-m�me n�est ni au clair ni parfaitement � l�aise avec cette question. Il se trouvera toujours des porte-�tendards, pour affirmer, non sans justesse, que ceux qui aujourd�hui auront � demander pardon n�ont aucune qualification � le faire : ils n�ont �t� ni les initiateurs, ni les acteurs du d�ploiement de l�entreprise coloniale, ni m�me, il faut le pr�ciser, ceux de son ach�vement. Cette repentance sera plus encombrante que vraiment lib�ratrice. Dite avec peu de mots comme il sied, elle para�tra honteuse. D�clarative et emphatique, elle para�tra hypocrite et sans port�e. Dans les deux cas, elle ne d�livrera que menues significations. Il y aura plus d�habit que de moine. S�il advenait qu�un acte de repentance fut formul�, il se dissoudrait vite dans le flot de l�histoire, dans le doute, par l�oubli, et pour finir, par la r�vocation. Ensuite, pour la partie officielle alg�rienne, l�interrogation est tout autre. Quels h�ros et embl�me avons-nous eu apr�s l�ind�pendance, qui aujourd�hui sans d�choir, c'est-�-dire en l�gitimit� et en autorit�, peuvent demander raison de tout notre pass� colonial ? O� sont ces pinacles d�int�grit� morale, de rectitude et d�engagement, ces figures d��lection, �lection port�e non comme une r�union de suffrages, mais comme �lans dirig�s vers ce qui indique toujours le juste chemin � suivre ? O� est notre Martin Luther King ? O� est notre Vaclav Havel ? Les demandes de repentance rel�vent presque exclusivement du d�sir de consolation, de l�obtention du gain politique � moindre co�t, ou de l�improbable orgueil d�en �tre le destinataire. Un homme bien de chez nous, Augustin d�Hippone, �crivait que l�orgueil n�est que le mensonge sur soi. Les retrouvailles franco-allemandes, apr�s 1945, �taient inconcevables sans le g�n�ral de Gaulle et sans le chancelier Adenauer. Elles n�avaient de signification que dans l�imm�diat apr�s guerre. Des entreprises ou des rencontres trop longtemps diff�r�es perdent leur souci et souvent leur substance. Mais souvent le pardon re�u ne sert de rien, il laisse en arr�t son destinataire dans la grande vacuit� du quitus accord�, et le pardon demand� ne l�est uniquement que pour faire taire la parole qui cerne de bl�me et accuse. L�homme des ind�pendances doit, pour gu�rir et grandir, �tre affranchi de toute la bimbeloterie du pardon demand� et re�u, il lui est demand� de poster des points dans le futur qui seuls peuvent le destiner et commander ses actions dans le monde. L�homme des ind�pendances est celui qui estime avoir un avenir en dehors des mots et du regard du colonisateur et surtout loin de ses traces. Ces traces retenues ne sont que des occasions pour �loigner l�histoire de ses ressorts et tarir l�intelligible qui peut monter d�elle. Serions-nous condamn�s � rester des victimes, ch�ur de pleureuses dans le continuel suspend d�un bon vouloir ? Rest�s vivants, ni Abane Ramdane ni Larbi Ben M�hidi n�auraient exig� de contrition publique des anciennes autorit�s coloniales. Mais si un acte de repentance n�est ni utile ni souhaitable, que reste-t-il � faire ? Ce qui doit s�entreprendre n�est pas un reste. Nous sommes devant l�imp�ratif de comprendre toute notre histoire. Une histoire remembr�e, cessible, con�ue non comme liturgie, mais comme patiente construction acad�mique. L��lucidation est une d�marche qui est bien plus exigeante que la simple demande de repentance. Elucider, en ce qui concerne l�entreprise coloniale, c�est la prendre toute, dans l�int�gralit� du mouvement qui l�a rendue possible comme histoire longue afin d�en comprendre tous les m�canismes, les ressorts, les acteurs, les id�es, les leviers culturels et �conomiques. Cette somme fix�e dans un champ de d�finitions articul�es va r�unir et lier des significations, celles qui nous retiennent aujourd�hui avec nos soucis, nos besoins de comprendre d�aujourd�hui. Ces significations sont celles qui organisent avec le plus de coh�rence le plus grand nombre de faits historiques et r�duisent le divers �parpill� des �v�nements et les condensent en lignes de forces essentielles et en proposent un r�cit intelligible. Ce champ de d�finitions ouvrira un champ de sens et l�histoire de l�infamie peut alors s��crire. Entreprendre d��lucider est d�abord de la responsabilit� des Etats, de tous les Etats. Choisir d�accompagner le travail des historiens par l�ouverture des archives, par l�assurance d�une libert� acad�mique, par l��rection d�institutions qui h�bergent biblioth�ques et chercheurs, par l�octroi du respect et de la consid�ration pour leurs efforts, cela est le seul acte politique qui vaille. La seule attitude qui � l�honneur ajoute l�intelligence est celle que devraient nous inspirer le combat et les �crits d�Aim�e C�saire. Souvent, moins que la repentance, est demand�e une �reconnaissance � des crimes coloniaux ; la reconnaissance est une adh�sion, c'est-�-dire une croyance encore une libre disposition de l�esprit con�ue loin de toute n�cessit�. Seul le travail acad�mique de l�historien peut donner cette estampille de n�cessite au divers de l�histoire en l�organisation en s�quences et syst�mes. Un travail d��lucidation remettrait l�Etat, tout Etat, dans sa continuit� historique qui est la seule garante d�une r�elle production de sens. L��lucidation sort de la d�lib�ration des historiens, c�est une t�che soutenue, toujours remise sur le m�tier, et le sens livr� n�est pas achev�, ultime. Ultime en cela qui rendrait vain tout effort ult�rieur. La repentance dans ses bons aspects ne rel�ve que du d�p�t de culpabilit�. Vouloir criminaliser l�entreprise coloniale peut-il �tre un souci d�historien ? Non, il ne le peut ni le doit. Criminaliser l�entreprise coloniale ne rel�ve que de la libre opinion. Nous allons expliquer pourquoi. Mais il faut, je crois, partir de l�id�e que les crimes abominables ont �t� commis durant toute la p�riode coloniale et plus r�cemment par les militaires en charge de la restauration de cet ordre, pendant la guerre de Lib�ration. Ces crimes sont rest�s impunis. L�impunit� dans le sens juridique qui la sollicite avec constance est une absence durable de sanction. Cette sanction est voulue comme seule r�ponse � la violation d�une r�gle de droit qui a entra�n�, dans le cas qui nous occupe, de graves pr�judices moraux, corporels et mat�riels. Cette impunit� se d�finit ainsi comme une absence, en droit, de l��tablissement de la responsabilit� p�nale, civile, administrative des auteurs de ces violations. Le droit des victimes � la v�rit� et � la justice ainsi reni� est source d�un fort sentiment d�iniquit� qui teint de noirceur toute leur histoire. Mais qui a autorit� pour d�finir, qualifier, sommer les culpabilit�s de crimes commis et en juger ? Seuls le sont des vainqueurs tangibles, rest�s �minemment puissants, apr�s une victoire tangible, en des moments de grande lisibilit� des �v�nements. Le tribunal de Nuremberg, institu� par les puissances alli�es, qui a eu � juger les crimes nazis (crimes contre la paix, crimes de guerre et crimes contre l�humanit�), a instruit, rendu des sentences et les a ex�cut�es dans la stricte continuit� de la chute du IIIe Reich. On lui devra l�id�e d�une justice internationale effective. Mais d�une justice p�nale, qui pour la premi�re fois a criminalis� des faits et des �v�nements historiques. Le silence victorieux des armes a re�u la cons�cration du droit. Cette cons�cration a permis des �volutions salutaires, celle notamment de l��mergence de la notion d�imprescriptibilit� des crimes de guerre et des crimes contre l�humanit�. Cette disposition n�avait �t� introduite ni dans le statut du tribunal de Nuremberg ni dans celui de Tokyo. L�imprescriptibilit� des crimes contre l�humanit� dans le droit fran�ais est li�e � la date de leur manifestation. Quelques d�tails s�imposent : si ces crimes sont commis avec l�accord de Londres du 8 ao�t 1945 (le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg en est une annexe), ils sont d�clar�s imprescriptibles par une loi du 26 d�cembre 1964 qui pr�cise qu�un crime contre l�humanit� ne l�est que s�il a �t� commis �pour le compte de pays europ�ens de l�Axe), ce qui le circonscrit dans le seul cadre de la Seconde Guerre mondiale. C�est ainsi que furent jug�s Klaus Barbie et Maurice Papon. L�article 213.5 du nouveau code p�nal (code Badinter) du 1er mars 1994, consid�re comme imprescriptibles les seuls crimes commis apr�s sa promulgation. Les crimes de guerre sont quant � eux prescrits dix ans apr�s qu�ils eurent �t� commis. En l��tat actuel du droit fran�ais, le g�n�ral Aussaresses ne sera jamais jug�. Le proc�s de Nuremberg en criminalisant l��pisode nazi a ouvert la voie � de nouvelles expressions de justice internationale, aiguillonn� par des demandes croissantes de justice et une conscience de l�impunit� plus aigu�, apparu dans le sillage de la douloureuse guerre du Vietnam, par l��mergence d�une importante soci�t� civile confront�e aux dictatures de l�Am�rique latine et par les actions d�ONG libres d�analyse et de jugement. Des tribunaux sans l�gitimit� r�elle, port�s par la seule investiture d�intellectuels �minents, ont �t� les plus embl�matiques. Reste celui du tribunal Russel, fond� en 1966 par Bertrand Russel et Jean- Paul Sartre, qui a eu � juger des crimes de guerre am�ricains commis au Vietnam. Un autre, aussi c�l�bre, est le Tribunal permanent des peuples fond� en juin 1979 � Bologne par l�avocat italien L�lio Basso. Il est adoss� � la D�claration universelle des droits des peuples de juin 1976 d�Alger. Ce sont l�, deux cas de tribunaux d�opinion qui sont �des assembl�es d�lib�ratives dans lesquelles des personnalit�s d�noncent sous une forme juridique des actes qu�elles estiment r�pr�hensibles, en particulier par rapport au droit international�. Ces tribunaux ont �t� d�une grande utilit� dans la d�finitive de nouvelles cat�gories du droit international, on peut citer �le crime d�agression�, on y reviendra plus loin. L�id�e d�une cour internationale, mais dot�e de comp�tence p�nale, a souvent �t� �voqu�e. Apr�s la signature en 1919 du trait� de Versailles, se manifesta, notamment dans la partie fran�aise, la volont� de cr�er un tribunal p�nal international pour juger Guillaume II coupable d��offense supr�me contre la morale internationale et l�autorit� sacr�e des trait�s�. Mais de r�elles complications diplomatiques en emp�ch�rent l�aboutissement. Le 17 juillet 1998 � Rome, le statut de la Cour p�nale internationale est adopt�. Ce statut pr�voit la cr�ation d�une juridiction comp�tente et permanente pour traduire en justice les auteurs de crimes de g�nocides, de crimes contre l�humanit�, de crimes de guerre. La CPI aura une comp�tence imm�diate pour juger tous ces crimes. Le �crime d�agression� , �tant moins facile � cerner et donc � qualifier, a d�embl�e pos� de s�rieux probl�mes. Mais le crime d�agression inscrit dans le registre de la comp�tence de la cour est un instrument qui facilement pourrait se retourner contre beaucoup d�Etats. Cette disposition est donc rest�e suspendue. On peut s�en d�soler. On peut aussi se d�soler du fait que la cour n�a pas de comp�tence r�troactive, elle ne peut pas juger les crimes d�avant sa date de naissance et que pendant sept ans apr�s son entr�e en vigueur, les Etats pourront soustraire � sa comp�tence des crimes de guerre. Mais � la diff�rence des tribunaux ad hoc, les victimes ne sont pas consid�r�es comme de simples t�moins, mais comme porteurs de pr�judices. Une instruction p�nale appelle des sanctions (le cas du tribunal de Nuremberg, la CPI). Civile, elle commande des r�parations : restitution de biens, indemnisations de dommages (les class actions). Il est pourtant un risque : d�s lors qu�un pr�judice historique est converti en dette (civile), il devient une cat�gorie marchande qui est imm�diatement n�gociable. Bien souvent on paye pour ne pas expliquer, pour ne pas s�expliquer, afin d��tre sauf. Etre sauf, en rendant la responsabilit� hors de port�e d��tre pens�e, hors de port�e puisqu�elle n�est plus un symbole. Le tribunal de Nuremberg, qui a jug� les crimes nazis contre l�humanit�, n�a pas expliqu� leur survenue, comme mal immense. Il ne pouvait donner un sens � l�histoire, m�me quand il �tait en pouvoir de juger ses acteurs. Ce mouvement de judiciarisations de l�histoire risque de la perdre comme �criture, comme interpr�tation, n��tant plus alors organis�e qu�autour d�un noyau actif : le proc�s. Le pr�judice historique n�est plus qu�une �valuation experte d�un dommage. Le pr�judice est r�duit � un dommage, donc � une pure positivit�. Et la vision des vaincus, pour reprendre un titre c�l�bre, cet autre versant de l�histoire, sera d�finitivement hors de signification. Isma�l - Selim Khaznadar ,Math�maticien , Universit� Mentouri de Constantine Fils de Tewfik Khaznadar, physicien, grande figure et martyr de la guerre de Lib�ration