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L�Alg�rie et la France : colonisation et repentance
Publié dans Le Soir d'Algérie le 18 - 12 - 2012

Il est une constante de l�histoire de l�humanit� : l�installation, par la violence, de peuples agressifs et pr�dateurs sur les territoires de populations vaincues. De telles intrusions au sein d�une population d�j� �tablie, laquelle devant alors s�effacer au profit des nouveaux venus, rel�veraient m�me d�une pulsion biologique inh�rente � tous les �tres vivants. Nul ne songe, et certainement pas les conqu�rants eux-m�mes, � se poser la question de savoir s�il est l�gitime ou non de s�accaparer des terres appartenant � d�autres, surtout quand ces �autres� sont des indig�nes, c'est-�-dire, une cat�gorie automatiquement frapp�e du sceau de l�inf�riorit�.
L�histoire de l�esp�ce humaine foisonne �galement de massacres de masse et de g�nocides. Certes, les plus proches de nous choquent notre conscience en ce qu�ils furent commis en violation de principes humanistes universellement admis depuis la Renaissance europ�enne, les Lumi�res et la sacralisation des droits humains, n�e des r�volutions anglaise (Bill of Rights, 1689) et fran�aise (D�claration universelle des droits de l�Homme et du citoyen, 1789). Comme la colonisation qui leur a donn� naissance, les atrocit�s qu�ont fait subir des hommes � d�autres hommes, sont du domaine de l�histoire m�me si la m�moire en garde des cicatrices encore vives. Ce qui, en v�rit�, p�se plus lourdement dans la m�moire alg�rienne, c�est autre chose. C�est le fait � plus encore dans l�Afrique subsaharienne � que la colonisation se soit impos�e comme un syst�me de domination pouss�e jusqu�� la �r�ification� des autochtones. Alors que dans une Europe baign�e des Lumi�res, l�intelligentsia saint simonienne pr�tendait s�engager dans �une association avec le vaincu, qui lui soit, en d�finitive, aussi avantageuse qu�au vainqueur �, la domination coloniale s��tait au contraire impos�e comme �l�une des oppressions majeures de notre temps�, selon la formule d�Albert Memmi. Telle �tait la sp�cificit� du colonialisme, qui fait de �la pr�sence fran�aise en Alg�rie�, tout autre chose que ces banals mouvements migratoires si familiers de l�histoire humaine. Alors s�agit-il ici de faire le proc�s du colonialisme et de la colonisation ? Non bien �videmment, car c�est d�j� fait. A l�inverse, il serait vain de rechercher dans le �viol � main arm�e� d�un peuple, dans sa soumission brutale par la force conjugu�e des armes et des lois, de quelconques philanthropie et noblesse de dessein, comme le fait accroire encore la rh�torique de �l�intention civilisatrice�. M�me les ex�cuteurs des �hautes �uvres� coloniales, ces fanfarons de l�inf�me, n�y voyaient eux-m�mes que �compression �, �r�pression� et m�me parfois �extermination� dont ils tiraient souvent panache et gloire. Il ne s�agit pas non plus, pour les Alg�riens, de demander une quelconque r�paration. Ce serait d�risoire. Car la saign�e d�mographique, les souffrances incommensurables, l�abaissement et les humiliations subies, sont �irr�parables�, pour reprendre le mot d�Aim� C�saire. Que r�pondre alors aux promoteurs de la loi n�gationniste du 23 f�vrier 2005 � tous ceux qui ass�nent sans vergogne que la colonisation a jou� un �r�le positif� en apportant aux colonis�s le progr�s et les �bienfaits� de la civilisation ? Que cela rel�ve du cynisme de ce violeur qui l�gitime son crime en soutenant, s�r de sa supr�matie machiste, que sa victime a pris du plaisir. Quand un enfant na�t d�un crime horrible et inexpiable, on fait avec. Mais nul n�oserait avancer ou m�me imaginer que l�acte abominable qui lui a donn� naissance, ait pu �jouer un r�le positif� ou qu�il ait �t�, d�une quelconque fa�on, pourvoyeur de �bienfaits �. Et que penser de cette comptabilit� obsc�ne qui consiste � faire un bilan de la colonisation comme si celle-ci �tait le passage oblig� pour inonder les peuples dits �sauvages� des bienfaits et des progr�s d�une civilisation d�cr�t�e une fois pour toutes comme norme sup�rieure et universelle ? A supposer que �les nations inf�rieures� n�aient pas eu les capacit�s de produire leurs propres progr�s et que l�intention civilisatrice du colonisateur ait �t� sinc�re, n�y avait-il pas d�autres moyens que l�horreur d�vastatrice d�une conqu�te militaire ? �Je me demande pourquoi mon pays doit �tre �branl� dans tous ses fondements et frapp� dans tous ses principes de vitalit� par une arm�e� qui ne cherche qu�� introduire la civilisation�, �crivait en 1833, d�j�, Hamdan Khodja, dernier secr�taire du gouvernement d�Alger. Entrons, cependant, dans ce raisonnement et poursuivons la logique �du r�le positif� jusqu�� ses retranchements. Comme les colonialistes d�hier, les �r�visionnistes� d�aujourd�hui clament que ce ne fut pas si noir, que la colonisation a mis l�Alg�rie sur la voie de la modernit� �conomique. L�Alg�rie, sans la colonisation, serait donc rest�e fig�e pendant plus d�un si�cle dans sa situation de 1830 ! Soit. Rappelons que cette �modernisation� � la hussarde que lui impose la colonisation s�est faite au b�n�fice des colons et au d�triment d�une population autochtone massivement d�poss�d�e de sa terre, sans cesse refoul�e et abandonn�e dans le d�nuement le plus total, aux famines et aux �pid�mies. Les laudateurs de la colonisation rappellent �galement que celle-ci a cr�� une infrastructure, trac� des voies de communication (routes, chemins de fer�), �rig� des barrages, b�ti des h�pitaux. Certes. Mais rappelons aussi que cette �bonne colonisation� du pays �tait destin�e � la population allog�ne m�me si par ricochet une poign�e d�autochtones ��volu�s� y trouvait son compte. Quant � la masse alg�rienne qui en paya lourdement le prix, elle en �tait quasiment exclue. Ce progr�s mat�riel qu�elle regardait passer comme un mirage ne faisait en r�alit� qu�exacerber davantage sa condition de colonis�e. �Que m�importe, clamait Ferhat Abbas, avec humour, qu�on mette l��lectricit� dans la maison si cette maison n�est pas la mienne.� L�agriculture coloniale, on dira � juste titre qu�elle fut l�une des plus modernes du monde et que les domaines colons pouvaient rivaliser avec les meilleures exploitations californiennes. Orient�e vers la satisfaction des besoins de la m�tropole, notamment la viticulture qui en �tait l�une des activit�s essentielles, dans un pays o� 90% de la population ne consommaient pas de vin, l�exploitation coloniale d�sorganisa brutalement, par la violence militaire, le syst�me agraire alg�rien, bas� sur la propri�t� communautaire et solidaire. Elle produira dans son sillage une effroyable casse humaine. Au demeurant, l�Alg�rie n��tait pas une terra nullus, ni ce mar�cage que pr�tendaient les chantres de �la colonisation bienfaitrice�. Les silos du Directoire ne regorgeaient-ils pas de ce bl� des Hauts-Plateaux, destin� aux arm�es du g�n�ral Bonaparte ? C��tait bien ce bl� alg�rien livr� � cr�dit, que la Restauration refusera de payer. Au grand dam du col�rique dey Hussein dont le malencontreux coup d��ventail aura �t�, pour la petite histoire, l�incident d�clencheur de l�aventure coloniale fran�aise en Alg�rie. Et l��cole ? Oui naturellement, on a construit des �coles et il y eut m�me des hommes inspir�s comme le recteur Jeanmaire, pour pr�cher avec constance et pers�v�rance �l��cole pour les indig�nes�, malgr� l�opposition r�solue des colons. Mais il suffit de rappeler la proportion des enfants europ�ens et celle des enfants indig�nes qui fr�quentaient ces �coles pour s�apercevoir que les portes de l�instruction r�publicaine largement ouvertes aux premiers, �taient quasiment ferm�es aux seconds (� peine 10% d�enfants alg�riens scolaris�s en 1954). R�sultat de cette politique : le taux d�analphab�tisme en fran�ais est, au d�but des ann�es 1950, estim� � 94% chez les hommes et 98% chez les femmes. Chiffres on ne peut plus r�v�lateurs, sur le tr�s faible degr� de p�n�tration de la culture et de la civilisation fran�aises dans les foyers musulmans. Venons-en � cette �renaissance d�mographique� tant vant�e, de la population alg�rienne, attribu�e � la vaccination et aux bienfaits de la m�decine coloniale. Rappelons d�abord que cette r�surrection fait suite � l�h�catombe de la conqu�te aggrav�e au cours des ann�es 1860, par les famines et les �pid�mies r�sultant du bouleversement de la soci�t� alg�rienne. V�ritable catastrophe ��cologique� organis�e, qui frappa une population r�duite en �poussi�re d�individus �, la saign�e d�mographique amputa la population indig�ne de son tiers, dans les estimations les plus optimistes. La croissance d�mographique durant les cinquante premi�res ann�es du XXe si�cle �tait-elle le r�sultat d�une politique sanitaire ? S�il existait un syst�me de sant� colonial, la masse indig�ne en �tait, en v�rit�, quasiment exclue comme elle l��tait, du reste, de tous les progr�s sociaux que prodiguait d�j� l�Etat social lib�ral fran�ais � ses citoyens. Ainsi, la vaccination ne touchait que les enfants scolaris�s, soit une infime proportion des enfants d��ge scolaire (pr�s de 10% en 1954). Du reste, les ravages de la tuberculose et de la poliomy�lite dans la population alg�rienne jusqu�en 1962, prouvent, s�il en �tait besoin, la faiblesse de la couverture vaccinale chez les enfants indig�nes. Ces deux maladies infectieuses, comme beaucoup d�autres, ont s�vi, notamment chez les enfants, comme de v�ritables fl�aux jusqu�� l�ind�pendance. A la v�rit�, l�immense majorit� de la population alg�rienne ne verra jamais passer l�ombre d�un progr�s sanitaire durant la p�riode coloniale. Et pour �tre tout � fait exact, elle ne le recherchait pas, faute de moyens, mais aussi parce qu�elle se m�fiait de tout ce qui venait du colonisateur. Quant � sa survie et � son exub�rance d�mographique, elles rel�vent d�un v�ritable ph�nom�ne d�adaptation et de s�lection naturelle. D�cim�e par une mortalit� d�vastatrice, la population alg�rienne ne trouvait son salut que dans la transmission intensive des g�nes : faire beaucoup d�enfants dans l�espoir d�en soustraire quelques-uns � la fatalit� infantile. Plut�t que de progr�s sanitaires, c�est, d�une certaine mani�re, de r�sistance d�mographique qu�il s�est agi. M�me si on lui accorde le b�n�fice du doute, peut-on passer sur les contradictions patentes d�un syst�me qui pr�tendait vouloir d�verser ses �bienfaits � sur une population, tout en la maintenant sous sa domination ? Le progr�s n�est-il pas, au contraire, par essence lib�rateur ? Et aux yeux des colonis�s eux-m�mes, cens�s en �tre les b�n�ficiaires, la d�marche n��taitelle pas suspecte, m�me � travers la blouse blanche du docteur ou le tablier gris de l�instituteur, tant il leur �tait difficile de �d�couvrir un progr�s o� le bien n�ait point chemin� en compagnie du mal� ? Cette
�civilisation� qu�on pr�tendait leur dispenser avec g�n�rosit�, n�avait-elle pas pour fonction de faire oublier les violences de la conqu�te et de l�occupation, voire de les l�gitimer ? Notamment pour tous ceux � saint-simoniens, r�publicains et autres humanistes embarqu�s dans l�aventure coloniale � dont la conscience fut troubl�e par les horreurs parfois gratuites inflig�es � une population sans d�fense. En agitant �l��cole� et �la vaccination�, n��tait-ce pas une fa�on de se fabriquer � bon compte, une bonne conscience et d�avoir l�illusion d�un honn�te d�dommagement ? Pour les g�n�rations d�Alg�riens qui l�ont v�cue, s�il �tait question de faire un bilan, la colonisation, entreprise de crimes et de rapines, est une immense tache noire, un calvaire, une horrible mutilation subie � froid. Elle a non seulement donn� un coup d�arr�t brutal � l��volution historique de la soci�t� alg�rienne, mais l�a m�me oblig�e � emprunter le sens inverse. Et si on y ajoute la brutalisation permanente, la colonisation a �t� plus qu�une r�gression, un processus de d�civilisation et d�ensauvagement qui n�en finit pas de lib�rer ses miasmes toxiques. Si b�n�fice il y a, c�est dans l�essence fondamentalement n�gative du colonialisme qu�il faut le chercher. Il est en effet encore heureux que la soci�t� alg�rienne n�ait pas subi l��preuve coloniale en pure perte. Et qu�il y ait eu, apr�s le choc de la conqu�te et l��clatement de la soci�t� alg�rienne, et face � l�adversit� coloniale, comme un coup d�acc�l�rateur au processus de formation d�un Etat-nation moderne dont la soci�t� alg�rienne portait, du reste, d�j�, les bases et les pr�mices. L�, est, peut-�tre alors, le �b�b� de �l�outrage� colonial. Faudrait-il pour autant s�en f�liciter ou remercier �le violeur� ? Quant aux routes, ponts, barrages� � cette citadelle de la colonisation �rig�e avec le sang et la sueur des autochtones � ce ne sont, pour reprendre la c�l�bre formule de Kateb Yacine, que butins de guerre. Comme le furent jadis, pour l�Arm�e d�Afrique et la Monarchie de Juillet, les tr�sors de la R�gence, les villes et les plaines alg�riennes, les silos des Hauts-Plateaux constantinois, les patrimoines des nombreuses tribus extermin�es au cours des razzias� Il y eut cependant, au c�ur m�me du syst�me colonial et durant la guerre 1954-1962, il faut le reconna�tre et le dire haut et fort, des hommes et des femmes, fonctionnaires, politiques, scientifiques, journalistes, m�decins, artistes, instituteurs, militaires�, qui ont os� braver le credo colonialiste pour montrer l�autre visage, le vrai visage de la France. Celui des Lumi�res et de cette R�volution qui clama � la face du monde que �tous les hommes naissent libres et �gaux�. Cette France qui reconna�tra sa responsabilit� envers les juifs livr�s aux Nazis, celle qui refusera de faire une guerre ill�gale � l�Irak, cette France-l�, c�est avec elle que les Alg�riens voudraient d�finitivement tourner la page en regardant haut pour construire l�avenir. Ce dont il s�agit aujourd�hui, c�est en effet de tourner une bonne fois pour toutes, r�ellement, cette page sinistre de l�histoire franco-alg�rienne. Mais � quelles conditions ? Pour les Alg�riens, il ne s�agit pas de �visser le couvercle sur le puits� ni de faire table rase du pass�. On ne peut en effet demander � un peuple d�effacer ou d�oublier les pages les plus tragiques de son histoire pour sacrifier au r�alisme �conomique et politique. Les le�ons du pass� sont utiles et toujours bonnes � prendre, enseignait Edmund Burke, ce politicien irlandais, philosophe de son �tat. Sinon sur quoi reposerait l�histoire des Alg�riens et quel serait le ciment de leur m�moire, celle qui leur permettra de conjurer les malheurs du futur et d��chapper aux r�p�titions funestes de l�histoire ? D�un autre c�t� pour �tre cr�dibles, les Alg�riens ne pourront �chapper ad vitam �ternam � leur propre travail de m�moire. Ils ne peuvent pas exiger de la France coloniale qu�elle fasse son mea-culpa, tout en laissant fermement viss� le couvercle sur le puits de leurs propres exc�s, d�rives et autres vilenies. Pour les Fran�ais, le pass� colonial de leur pays, la guerre de d�vastation m�thodique implacable durant la phase d�occupation coloniale, livr�e aux Alg�riens � contre la population elle-m�me avait rappel� en son temps Alexis de Tocqueville � la guerre de reconqu�te coloniale avec son lot de tortures, de ch�timents collectifs, d�ex�cutions sommaires, de regroupement-d�racinement de la population� tout cela c�est du pass�. Comme la guerre des Gaules, les Arabes � Poitiers.... Les r�v�lations r�currentes de ces derni�res ann�es sur la torture, les ex�cutions sommaires collectives, l�utilisation du napalm � bidons sp�ciaux, disait-on ��, faites par des t�moins cr�dibles ou par les acteurs de premier plan eux-m�mes, comme les g�n�raux Massu et Aussaresses, ont �t� chaque fois accueillies dans l�opinion avec un m�lange d��tonnement, d�incr�dulit�, de pudeur et d�agacement. �Il faut oublier, arr�tons de ressasser, tout �a c�est du pass�, r�p�te-t-on � l�envi. Point de d�bat donc. Ni sur la torture, ni sur la colonisation et les guerres ayant oppos� les Alg�riens � la France coloniale. Pourquoi ce black-out ? Est-ce du fait que le pass� colonial r�v�le de la R�publique fran�aise si officiellement vertueuse, une facette inavouable ? Pas aussi irr�prochable en effet cette R�publique qui autorise et cautionne hors de la communaut� nationale fran�aise, des pratiques en totale inad�quation avec les principes et les id�aux qu�elle �tait cens�e, au contraire, d�fendre et prodiguer. Inacceptable contradiction qui explique, sans doute, ce climat de d�n�gation collective et l�attitude d��vitement des Fran�ais, s�agissant de l�aventure coloniale alg�rienne de leur pays. Mais cela n�explique pas tout. Il y a aussi, et c�est sans doute la raison la plus importante, que les Fran�ais ne savent rien de ce qui s�est vraiment pass� durant la conqu�te et l�occupation coloniale de l�Alg�rie, ni sur l��pouvantable tuerie de S�tif, ni sur les m�thodes de �la pacification� et de la r�pression qui s�est abattue sur les Alg�riens durant leur guerre de Lib�ration nationale et tout particuli�rement au cours de cette ann�e 1957 qui en fut le paroxysme. L�explication de cette ignorance est qu�on leur a, toujours, tout cach�. Au reste, pour les Fran�ais de 2012, regarder en arri�re et remuer l�histoire, la d�marche est plus que jamais improbable dans la conjoncture actuelle de d�culpabilisation g�n�ralis�e du Nord vis-�-vis du Sud. Une conjoncture o� le �sanglot de l�homme blanc� n�est plus qu�un lointain souvenir, si tant est que �l�homme blanc� ait �t�, un jour, r�ellement pris de sanglots ou sinc�rement tourment� par le remords de la pr�dation coloniale. Pour le r�alisme, il ne s�agit pas de culpabiliser les Fran�ais vis-�-vis de faits r�pr�hensibles dont ils ne sont pas responsables. Ni m�me de d�signer les tortionnaires. La liste serait longue et l�on serait aussi embarrass� de choisir � qui, du pouvoir civil ou de la hi�rarchie militaire de l��poque, irait mieux le chapeau. Du reste, les crimes de guerre de Jacques, Paul ou Marcel et ceux de bien d�autres tortionnaires patent�s, sont depuis longtemps pass�s � la trappe de l�amnistie. Aussi, une loi sur la criminalisation du colonialisme et toutes les proc�dures judiciaires qu�elle implique devant des tribunaux alg�riens, n�a absolument aucun sens si ce n�est l� aussi de faire mousser un orgueil national mal plac�, de renflouer toutes les surench�res patriotardes et politiciennes et surtout d�empoisonner � jamais les relations franco-alg�riennes. S�agissant de la moiti� droiti�re de la classe politique fran�aise, prisonni�re de consid�rations �lectoralistes, elle passe son temps � caresser dans le sens du poil de larges secteurs de l�opinion, nostalgiques de l�empire colonial fran�ais. La droite d�complex�e, en phase ou en cheville avec des groupes de pressions �lectoraux, est m�me dans la surench�re nationaliste, en perp�tuelle glorification du pass� colonial fran�ais, valorisant la colonisation comme une entreprise de civilisation et de bienfaits au profit de peuples consid�r�s comme inf�rieurs. Il n�y a rien � en attendre. Elle n�est pas pr�s de verser une goutte de lubrifiant, une seule, dans les rouages des relations franco-alg�riennes. Et l�Etat fran�ais qu�incarne aujourd�hui Fran�ois Hollande, deuxi�me chef d�Etat fran�ais socialiste � fouler le sol de l�Alg�rie ind�pendante en cette fin d�ann�e 2012 ? Il ne s�agit pas pour le pr�sident de la R�publique fran�aise de se livrer � un quelconque exercice d�auto-flagellation. Ni de faire un acte de contrition que personne au demeurant ne r�clame, mais le geste symbolique de reconna�tre les torts faits � un peuple alg�rien impatient d�ouvrir une nouvelle page dans ses relations avec cette France � la fois si proche et si lointaine, une France certes encore d�test�e, mais en m�me temps adul�e et admir�e. Ce n�est pas trop demander � Fran�ois Hollande qui incarne aujourd�hui la nation et l�Etat fran�ais. Car c�est bien un gouvernement fran�ais investi r�guli�rement de la confiance du peuple fran�ais, incarnant la p�rennit� de l�Etat fran�ais, nanti de �pouvoirs sp�ciaux � vot�s par la majorit� de la repr�sentation nationale fran�aise, qui ordonne � l�arm�e de livrer une guerre totale � une population mis�reuse et sans d�fense. Une guerre o� la torture, les ex�cutions sommaires collectives et les disparitions sont �rig�es en pratiques banalis�es. Une guerre o� les s�vices, pouss�s � leur niveau extr�me de cruaut�, d�avilissement et de d�shumanisation, sont inflig�s � des milliers d�Alg�riens trait�s comme des choses. Et cela, en vertu de ce principe � la responsabilit� collective � que l�occupant allemand invoquait pour tailler dans la chair du peuple fran�ais, des �Ouradour�, des �Tulle� et autres �Ch�teaubriant�. C�est �galement au nom de l�Etat et du peuple fran�ais que furent commis durant la conqu�te et tout au long du
pass� colonial, les massacres de tribus enti�res, et les pires exactions ayant co�t� la vie � des centaines de milliers d�Alg�riens innocents. Stephen Harper, Premier ministre du Canada, avait pr�sent� il y a quelques mois ses excuses aux �peuples premiers� pour les avoir d�natur�s, d�cultur�s en �tuant l�Indien dans l�enfant�. M�me l�Italie berlusconienne a fini par faire amende honorable en reconnaissant le mal fait aux Libyens. Pourquoi pas un geste en direction du peuple alg�rien, au nom de l�Etat fran�ais ? Fran�ois Hollande qui a reconnu le massacre du 17 Octobre 1961 ne peut ignorer les centaines d�autres 17 Octobre qui ont ensanglant� l�histoire de l�Alg�rie durant 130 ans de colonisation et tout particuli�rement durant ce XIXe si�cle de compression de la population alg�rienne et de d�vastation m�thodique de son cadre de vie. S�il venait � faire ce geste, Fran�ois Hollande se grandirait, grandirait son pays, marquerait l�histoire de France du sceau de l�honneur et de la fid�lit� aux valeurs des Lumi�res et aux nobles principes de 1789. Au demeurant, tout le monde y gagnerait. Ce geste de reconnaissance claire et sans d�tour des souffrances inflig�es au peuple alg�rien du fait de la colonisation et de la guerre de reconqu�te coloniale, serait en effet le pr�lude � une r�elle refondation des relations franco-alg�riennes. Ce serait �galement le d�but d�une v�ritable r�conciliation et d�une �re nouvelle o� les communaut�s harki, juive et pied-noir, victimes malgr� elles de l�histoire, trouveront enfin leur compte. Bien mieux, en tout cas, que dans l�atmosph�re actuelle de comp�tition antagonique et victimaire. Ce geste aiderait enfin, sans aucun doute, � att�nuer dans le regard des Fran�ais, la m�fiance encore charg�e de ces repr�sentations coloniales qui renvoient �les minorit�s visibles� � leur histoire et posent encore � la soci�t� fran�aise l��pineux casse-t�te de l�int�gration. Cette reconnaissance des facettes sombres de son pass�, ce pas en direction des peuples qu�elle a jadis subjugu�s, ne signifierait pour la France ni humiliation, ni rabaissement, loin s�en faut. Au contraire, elle en sortirait grandie. Elle conf�rerait encore plus de cr�dit � ses institutions, sa d�mocratie, sa vie politique et sa diplomatie. Son aura et son prestige international n�en seraient que plus grands.
B. A.
* Professeur de m�decine, politologue, auteur de l�Alg�rie en guerre Abane Ramdane et les fusils de la r�bellion, L�Harmattan 2008.


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