Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
L�ENTRETIEN DE LA SEMAINE ENTRETIEN AVEC MESSAOUDI AHMED, PSYCHOLOGUE PRINCIPAL AU CENTRE INTERM�DIAIRE DE SOINS POUR TOXICOMANES (CIST) DE BOUIRA, AU SOIR MAGAZINE
�La th�rapie, l�unique cl� de salut pour les toxicomanes�
Dans cet entretien accord� par Messaoudi Ahmed, psychologue clinicien de sant� publique et responsable de la cellule d��coute psychologique au Centre de soins pour toxicomanes � Bouira, nous mettrons l�accent sur cette structure qui a ouvert ses portes il y a pr�s d�une ann�e et aussi sur ce mal social, la toxicomanie, qui ronge de plus en plus de jeunes Alg�riens pris en �tau entre d�pendance et tabou social, une spirale infernale qui emp�che toute tentative de sortie et de r�demption. Soir magazine : M. Messaoudi, pouvez-vous, en quelques lignes, pr�senter le Centre interm�diaire de soins pour toxicomanes de Bouira pour ceux qui ne connaissent pas encore son existence ? Messaoud Ahmed : Le centre appel� CIST a ouvert ses portes en mai 2012 ; il est constitu� de plusieurs infrastructures mises en place afin de r�pondre � tous les besoins des personnes qui d�sirent des r�ponses � leurs questions, et surtout une solution � leurs probl�mes concernant la drogue. Ainsi, le centre comporte un bureau de consultations et d��coute psychologique tenu par deux psychologues cliniciens en plus de trois psychologues en formation ; une �quipe qui suit en parall�le une formation en psychiatrie dans le domaine de la th�rapie toxicologique aupr�s du docteur Zergouni. Le centre compte �galement un cabinet de m�decine g�n�rale, une assistante sociale, une salle d�ergoth�rapie, une th�rapie qui se caract�rise par l'�ducation, la r��ducation, la r�adaptation ou encore la r�habilitation par le biais d'activit�s de la vie quotidienne (soins personnels, travail et loisirs), une biblioth�que, un cybercaf�, une salle de th�rapie de groupe, un laboratoire d�analyses m�dicales, ainsi qu�un bureau destin� au personnel administratif et un bureau d�accueil et d�orientation. Le centre est ouvert de 8h � 16h30 ; les patients se pr�sentent sur rendez-vous pour suivre des th�rapies quotidiennes et un suivi personnalis�. Pour le moment, seule une quinzaine de patients ont franchi les portes du centre, et je dois reconna�tre que c�est plus par curiosit� que dans l�intention de suivre une th�rapie. En tant que praticien et citoyen alg�rien, � quoi pensez-vous que serait d� ce manque d�int�r�t de la part des toxicomanes de Bouira ? Je travaille dans ce centre depuis son ouverture, mais j�ai derri�re moi plus de 20 ann�es de m�tier. J�ai pris en charge des centaines de cas plus diff�rents les uns que les autres, et � ce titre, je pense �tre capable de discerner, un tant soit peu, le fond de la pens�e populaire alg�rienne, c�est-�-dire que pour la grande majorit� des citoyens alg�riens, la toxicomanie n�est rien d�autre qu�une d�viation malsaine et volontaire de ceux qui la subissent. Elle constitue donc un tabou qu�il n�est pas facile de reconna�tre autant de la part du toxicomane que de son entourage. Il est de ce fait tr�s rare de voir quelqu�un se pr�senter chez nous pour traiter son mal, d�une part. D�autre part, il faut savoir que les gens ressentent une r�elle crainte � l��gard de cette entit� pathologique, car oui, la toxicomanie est une pathologie, c�est pour cela que la plupart ignorent jusqu�� l�existence de centres comme le n�tre, d�di�s exclusivement � la th�rapie de d�sintoxication. Un vrai paradoxe comportemental, puisque depuis quelques ann�es, les consultations psychologiques se sont popularis�es ; les gens consultent volontiers des sp�cialistes pour traiter les nouveaux maux sociaux. Il faut donc esp�rer une telle avanc�e pour la toxicomanie, d�autant plus que sa prise en charge a bien �volu� et que toutes les conditions sont actuellement r�unies afin d�apporter au patient une aide et un traitement optimal pour le sortir de l�enfer de la drogue. En parlant de prise en charge, vous dites qu�elle a bien �volu�. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Evidemment qu�elle a �volu�, mais je suis certain que la plupart des gens ignorent cela. Ainsi, actuellement, les soins prodigu�s aux toxicomanes sont r�gis par la loi 04-18 du 25 d�cembre2004 ; cette loi consid�re la toxicomanie non pas comme un d�lit mais comme une maladie � part enti�re. Pour ce faire, la l�gislation alg�rienne a d� se mettre aux normes internationales et distingue donc entre victime et criminel en question de drogue, elle donne au magistrat la possibilit� d�ordonner une injonction th�rapeutique, c�est-�-dire que l�accus� pour consommation de drogue peut �tre contraint de suivre une th�rapie de d�sintoxication et l�ve les poursuites judiciaires contre la personne qui se soumet � cette injonction. Par ailleurs, elle aggrave les peines, en g�n�ral, en ce qui concerne la vente de produits stup�fiants aux mineurs ou � proximit� des �tablissements scolaires et de formation. Cette mise aux normes permet donc � ceux qui le d�sirent de se soigner en restant � l�abri de toutes poursuites judiciaires. Comment expliquez-vous la g�n�ralisation de la consommation de stup�fiants, notamment au sein de la population jeune ? Il est vrai que la consommation de drogue touche les jeunes plus que les autres. Selon une r�cente enqu�te, 60% des jeunes Alg�riens, dont l��ge varie entre 18 et 35 ans, consomment r�guli�rement de la drogue. Une vulgarisation alarmante de ce ph�nom�ne d� � l�attrait d�une telle consommation chez des jeunes curieux de faire comme les autres ou comme les personnalit�s publiques occidentales qui n�h�sitent pas � pl�bisciter l�usage de la drogue qu�ils associent � libert� et r�bellion : des jeunes en qu�te de sensations fortes, de plaisir et d��vasion tant pour �chapper � certaines r�alit�s, parfois am�res, qu�en expectative d�un avenir incertain. J�estime que la d�mocratisation de la consommation de drogue s�est accrue, en premier lieu, en raison du pass� noir de l�Alg�rie ; les pouvoirs publics �tant en guerre contre le terrorisme ont manifest� une certaine tol�rance, complaisance ou peut-�tre n�gligence vis-�-vis du commerce de la drogue ce qui a permis la propagation alarmante de la mafia de la drogue. Il faut aussi relever la situation socio-�conomique qui pr�vaut dans le pays, car ch�mage, pauvret� et �chec scolaire sont autant d��l�ments � prendre en compte dans l�analyse du pourquoi d�une telle popularisation de la drogue. Nous parlons de toxicomanes en abordant par exemple le cas de certains jeunes qui fument quotidiennement des joints de cannabis ou prennent occasionnellement d�autres drogues dites dures, mais pouvez-vous nous �clairer sur la r�alit� de la toxicomanie. Comment passe-t-on d�un fumeur qui ma�trise sa consommation � un junkie qui est pr�t � tout pour se procurer sa dose ? Pour commencer, je vais vous donner la d�finition de l�OMS (Organisation mondiale pour la sant�) de la toxicomanie : �La toxicomanie correspond � quatre �l�ments : une envie irr�pressible de consommer le produit en question, une tendance � augmenter les doses, une d�pendance psychique et parfois physique, des cons�quences graves et n�fastes sur la vie de la personne aussi bien familiale, sociale qu��conomique.� Cela d�montre malheureusement que la consommation de drogue ne peut et ne doit �tre prise � la l�g�re ; elle constitue un r�el engrenage qui se referme sur l�individu autant du point de vue de la d�pendance qui fait du toxicomane un otage de sa consommation en termes de moyens financiers g�n�ralement consacr�s exclusivement � l�achat des drogues. Il existe aussi une d�pendance psychique qui se manifeste par des tensions internes qui ne se soulagent qu�apr�s la prise du produit psychotrope. La toxicomanie est �galement associ�e � l�accoutumance, caus�e par la n�cessit� d�augmenter les doses pour arriver aux m�mes effets que la premi�re fois. Ensuite vient l��tape de la tol�rance, un �tat d�adaptation de l�organisme qui permet l�usage de quantit�s de drogue de plus en plus importantes ; dans ce cas-l�, la propri�t� d�une drogue dont l�usage r�p�t� entra�ne une diminution des effets initialement obtenus, c�est pour cela qu�on dit que la toxicomanie est un engrenage qui commence d�s le premier joint et qu�il n�y a pas de consommation mineure. Revenons maintenant au CIST, pouvez-vous nous dire comment se passe la prise en charge des �ventuels patients que vous traitez au centre ? J�aimerais pr�ciser avant toute chose que la prise en charge d�un toxicomane n�est pas codifi�e, elle varie selon la personnalit� du toxicomane, du produit consomm� (avec toutes ses sp�cificit�s) et selon le th�rapeute qui prend en charge le patient et cela afin d�atteindre des objectifs qui sont entre autres l�arr�t de la consommation de drogue � condition que le sujet adh�re fortement � la th�rapie, l�am�lioration de la sant� psychique et physique : en traitant l��tat de manque lors de la d�sintoxication via l��coute du patient pour l�aider � comprendre le sens de ce qu�il fait et traiter ainsi les difficult�s psychologiques concomitantes et r�duire le comportement � risque. Pour notre part, en tant que praticiens du centre interm�diaire de soins pour toxicomanes, notre mission se limite � la prise en charge m�dicale, psychologique, psychiatrique et sociale ; le CIST accueille les patients en d�but de traitement, des patients dirig�s vers nous pour un traitement initial, puis quand la cure de d�sintoxication s�impose, ils sont dirig�s vers les centres plus adapt�s � l�internement ; il existe deux centres en Alg�rie, Frantz-Fanon de Blida et Sidi-Chami � Oran. Pour finir, j�aimerais lancer un appel pour le bien de tous les toxicomanes qui se terrent dans l�ombre et souffrent dans l�indiff�rence de leur entourage, je lance un appel � tous les praticiens du corps m�dical qui sont les premiers � traiter des patients pr�sentant des sympt�mes de d�pendance aux drogues, ils doivent les orienter vers des centres comme le n�tre afin de prendre en charge leur mal et tenter d�y apporter une solution ad�quate. L�appel concerne �galement les simples citoyens qui connaissent ou c�toient une personne qui consomme de la drogue et se retrouve esclave de sa consommation ; il faut que chacun y mette du sien pour r�ussir tous ensemble � mettre � terre un ph�nom�ne qui gangr�ne notre soci�t� et le monde en g�n�ral.