Par Ali Akika, cin�aste, r�alisateur de Jean S�nac, le forgeron du soleil Ces deux grands �crivains natifs de chez nous ne nous laissent pas indiff�rents. Jean S�nac paraphait ses po�mes du signe du soleil et Albert Camus � l�ombre de ce soleil promenait �son Etranger� en le nommant du terme g�n�rique �arabe�, une mani�re de le d�trousser de son identit� alg�rienne� On peut parier sans grand risque que le soleil de S�nac sera couvert par l�ombre de Camus durant les manifestations consacr�es � ce dernier dans la France de 2013. Dans ce vieux pays cher � de Gaulle, Camus (prix Nobel de litt�rature en 1957) brillera sous les lumi�res pour services rendus � la renomm�e du pays de la litt�rature mais aussi pour adoucir la mauvaise conscience du m�me pays qui a du mal � reconna�tre ses crimes en Alg�rie. En revanche, il r�gnera un pesant silence autour de S�nac qui a pris part � la lutte pour l�ind�pendance de l�Alg�rie. D�cid�e par les hautes sph�res de l�Etat fran�ais, la comm�moration du centenaire de Camus est un acte �minemment politique motiv� par de bonnes raisons, mais pas seulement� Passons sur les bonnes raisons qui envoient de nobles signaux � tous les amoureux de la litt�rature. Int�ressons-nous aux motivations moins avouables comme cette proposition de Sarkozy consistant � �canoniser � l��crivain en l�h�bergeant au Panth�on, un v�u heureusement tomb� � l�eau� Mais revenons � l�essentiel. La comm�moration du centenaire de Camus va sans nul doute offrir une occasion � certains de r�gler des comptes, � Sartre par exemple. On sait que ce grand et vrai penseur s�est philosophiquement et farouchement oppos� � Camus sur le probl�me de la violence quand Camus publia L�homme r�volt�. Sartre enfon�a le clou sur le plan politique en pr�fa�ant Les Damn�s de la terrede Frantz Fanon alors que Camus refusait de s�enfermer dans un choix corn�lien entre sa m�re et la justice. Dans cette France qui n�a pas dig�r� le fait que la majorit� de son intelligentsia durant la guerre d�Alg�rie se soit rang�e dans le camp anticolonialiste et de la justice sociale, nous allons assister � des tirs group�s et revanchards des �Camusiens� contre les Sartriens. Mais parall�lement � ces attaques contre le p�re de l�existentialisme, nous Alg�riens, attendons-nous � devoir supporter la hargne de beaucoup et leur litanie de mensonges et des demi-v�rit�s. Sur le plan strictement litt�raire, nous ne pouvons qu�admirer le talent de Camus, ce grand �crivain. Sur le plan du journalisme, nous pouvons le �remercier� d�avoir mis sa renomm�e au service de notre peuple quand il d�crivit la mis�re en Kabylie. On peut aussi le louer pour sa description de notre pays dont la beaut� devient sous sa plume le fruit d�un mariage de la mer et des �toiles. Nous ne devons pas pour autant oublier que dans ses romans, nous sommes des �tres invisibles dans cette Alg�rie qui s�est forg�e un esprit de r�sistance contre les hordes des nombreux envahisseurs, r�sistance qui lui fait m�riter le nom �de pays des hommes libres�. Nous sommes pour cette raison en droit de juger notre absence (litt�raire) sur notre propre sol, comme une ind�licatesse et un d�ni de la r�alit�. Nous ne pouvons accepter l�explication selon laquelle l��crivain avait le regard intemporel d�un visionnaire se penchant sur l�absurde condition humaine. Comme nous sommes absents dans tous ses romans, on peut conclure que Camus ne voient pas les �Arabes� et n�a d�yeux que pour ses compatriotes pieds-noirs. Kateb Yacine a mis l�accent sur le malentendu en parlant du roman L�Etranger de Camus. L�auteur de Nedjma a fait un parall�le avec Faulkner qui se �battait� avec son h�ros, un �N�gre� pour d�crire le racisme en Am�rique. Cette bataille de Faulkner avec son personnage, disait Kateb, est la marque d�un grand �crivain. Kateb sous-entend que Camus n�avait pas os� affronter le colonis� qui forc�ment interroge sa pr�sence dans cette Alg�rie sous domination �trang�re. A travers les r�cits de Camus, on peut deviner l�absence de liens entre la presque totalit� de ses compatriotes et les autochtones. Leur enfermement entre soi les a emp�ch�s de comprendre l�aventure coloniale dans toute sa dimension historique. Un ph�nom�ne n� par la violence et se maintenant par la violence, laquelle a engendr� le vol des terres, le viol d�une culture qui a failli dispara�tre sous les effets de l�ignorance et de la mis�re. Ici on peut rendre hommage � des �Pieds-Noirs� comme Maurice Audin, Fernand Yveton, Jean S�nac qui avaient rejoint la lutte des Alg�riens en d�pit de l�ambiance hyst�rique cr��e par les partisans de l�Alg�rie fran�aise. Jean S�nac, alors qu�il entretenait une relation presque filiale avec Camus, a eu le courage de rompre avec ce p�re spirituel. Leur rupture a �t� provoqu�e � la suite de la prise de position politique de Camus sur la violence en Alg�rie. Entre eux, la litt�rature, cet agr�able champ qui vivifie l�esprit et nourrit l�imagination, ne fut pas un rempart solide face � la politique, face � l�Histoire. S�agissant des id�es sur la guerre d�Alg�rie, Camus a p�ch� pour le moins par l�g�ret�. On peut m�me lire entre les lignes de ses propos une certaine m�fiance et un chou�a de pr�jug�s. Car n�oublions pas que Camus, grand admirateur de la Gr�ce antique, la m�re de la culture occidentale, n�a jamais �t� tent� de �flirter � avec la culture de l�Orient et de l�Islam. Car enfin pourquoi pr�conisa-t-il une f�d�ration o� les deux communaut�s se recroquevilleraient dans des morceaux de territoire ? En faisant cette proposition, Camus ne semble pas conna�tre les Alg�riens en d�pit de l�empathie qu�il a manifest�e � leur endroit. Pensait-il vraiment que des Alg�riens allaient abandonner leur patelin (village) � des Europ�ens pour aller vivre �entre Arabes�. Arr�tons la plaisanterie et regardons du c�t� de l�histoire d�autres nations. Pourquoi hier les Am�ricains, les Canadiens, les Sud- Am�ricains et aujourd�hui les Sud- Africains ont-ils coup� le lien ombilical avec leurs m�tropoles pour se d�clarer Etats ind�pendants en int�grant toutes leurs communaut�s ? Pourquoi ce qui a �t� possible ailleurs ne pouvait pas l��tre en Alg�rie si ce n�est cette insupportable pr�tention des �Pieds Noirs� � se consid�rer sup�rieurs aux indig�nes sans omettre d�ajouter leur angoisse � quitter le giron de la m�re patrie. C�est cette difficult� et ce refus de devenir adulte qui expliquent le choix de cette communaut�. Pourquoi trouvaient-ils normal que les �Arabes� vivent sous le drapeau tricolore quand eux, ils consid�raient comme une obsc�nit� et un cauchemar de vivre sous le drapeau d�une Alg�rie ind�pendante� A entendre et � lire les hommes qui s�agitent autour des pr�paratifs du centenaire de Camus, on se lasse par avance de leurs futurs propos qui vont faire marcher l�Histoire sur la t�te. Ces h�bleurs, dont les �analyses� vont briller par leurs anachronismes historiques, vont nous raconter des r�cits d�une histoire � combien tragique et sanglante en pointant du doigt le tableau de l�Alg�rie actuelle o� sont inscrits le manque de libert�, le ch�mage et des poches de mis�re, la hogra et l�archa�sme du statut de la femme. Les mensonges vont donc se ramasser � la pelle chez ceux qui n�arrivent pas � se remettre de la chute du syst�me colonial et de l��mergence d�une Alg�rie ind�pendante. L�un d�eux, Michel Onfray, se proclamant libertaire et philosophe de son �tat, gris� par une r�putation peu � peu acquise, se lan�a dans des aventures audacieuses. Il s�attaqua d�abord � Freud mais trouva sur son chemin une arm�e de d�fenseurs de cette ic�ne de la psychanalyse, la seule qui avait jusque-l� �chapp� aux autodaf�s d�une �poque qui br�le des h�ros qu�elle avait admir�s. Ce monsieur r�cidiva en �crivant un volumineux essai sur Camus qui n�a pas d�plu � tous les nostalgiques de l�ex-perle des colonies, � savoir l�Alg�rie. Il fut pressenti pour cette raison-l� pour diriger l�institution qui devait, qui doit mettre en sc�ne �l�Ann�e de Camus�. Ainsi est-on sid�r� de lire sous la plume de ce Michel Onfray une �v�rit� bien � lui selon laquelle les Alg�riens avaient d�clench� la violence qui a engendr� la riposte de l�Etat fran�ais. Quand on entend ce genre de balivernes, on ne ressent pas une �touffante col�re mais plut�t une envie de pleurer devant cette mis�rable analyse d�un homme qui courbe l��chine pour jouir d�une c�l�brit� forc�ment �ph�m�re puisque b�tie sur le mensonge. Mais � bien y r�fl�chir, on n�est pas �tonn� que ce monsieur, bien qu�il soit philosophe, tombe dans le pi�ge de la repr�sentation des choses et se d�tourne de la r�alit� historique. Et que dit cette repr�sentation serin�e dans toute la litt�rature coloniale pour formater les esprits ? Que la France se devait d�apporter le progr�s � des peuples qui pataugent dans l�ignorance. Monsieur Onfray n�est pas le premier � croire � ce genre de fantaisie dont le but est de cacher le caract�re mercantile, que dis-je, pr�dateur de la colonisation. Avant lui, Jules Ferry et m�me le grand Victor Hugo avaient lou� la mission civilisatrice de leur pays. Et des esprits format�s ne peuvent pas comprendre que le colonis� est dans son droit d�user de tous les moyens pour se lib�rer. Monsieur Onfray et ses amis ignorent que le droit � la r�sistance est inscrit dans la charte de l�ONU. Il est vrai que cette institution n�est qu�un machin, hier pour de Gaulle, aujourd�hui pour Isra�l qui ignore superbement les quelques centaines de recommandations le condamnant. Il faut esp�rer que des bonnes volont�s et des esprits �clair�s des deux c�t�s de la M�diterran�e feront un contrepoids salutaire pour construire un pont de l�amiti� entre les deux peuples, une amiti� qui fera taire les mauvais g�nies qui s�ent�tent encore et encore � vouloir bloquer l�aiguille de l�horloge du temps � l��poque des aventures coloniales exotiques et excitantes. Faut-il encore le dire et le redire, que condamner le colonialisme ne veut pas dire �clouer au pilori les Fran�ais� ou bien insulter la grandeur d�un peuple qui a enfant� les philosophes des Lumi�res ? Ce ne sont pas les soi-disant �l�ments positifs de la colonisation que l�on a voulu inscrire dans une loi sc�l�rate, mais la langue fran�aise qui peut servir de vecteur entre les deux pays, maintenant que le peuple alg�rien se r�approprie peu � peu ses langues nationales. Car nous n�avons aucun complexe � parler une langue �trang�re ou � introduire des mots �trangers dans nos langues. Car les langues les plus vigoureuses fourmillent et s�enrichissent des apports des autres. Car la langue heureusement n�est pas le produit d�une id�ologie ou d�une classe sociale, elle est une enfant de l�histoire d�un pays, elle vit gr�ce au g�nie de son peuple et elle est une forteresse protectrice de son �me, elle est une deuxi�me patrie pour les grands �crivains, un jardin o� les lecteurs de ces �crivains vont � la cueillette des fruits de l��l�gance de l�esprit humain. Ignorant donc tous ceux qui tenteront de d�verser leurs hypocrites opinions et leurs mensonges sur une histoire douloureuse et tournons- nous vers les esprits libres, libres comme l�hirondelle qui fuit la rudesse des mornes saisons pour rejoindre la douceur du printemps. Et des esprits libres, il n�en manque pas des deux c�t�s de la M�diterran�e.