Dans la suite du d�bat suscit� dans votre �dition du 15 ao�t 2012 par M. Badreddine Mili suite aux propos �commis� par M. Michel Onfray dans l��dition d�El Watan week-end du vendredi 10 ao�t 2012, je vous prie de bien vouloir me permettre d�apporter ma modeste contribution. Camus est et restera un sujet de d�bat avec ses partisans et ses d�tracteurs. Que l�on pense qu�il �tait pour une Alg�rie fran�aise avec plus de droits pour les Alg�riens ou que c��tait un fervent d�tracteur de l�ordre colonial, ou encore qu�il �tait les deux � la fois, cela peut et doit �tre d�battu en toute s�r�nit� sans verser, comme l�a fait Monsieur Onfray, dans le p�dantisme et l�ex-communion de tous ceux qui ont commis ce crime de l�se- majest� d�avoir os� ne pas penser comme lui. Peut-on traiter de plumitif du pouvoir Kateb Yacine parce qu�il a �crit de Camus que �malgr� ses airs d�anticolonialiste, les Alg�riens �taient absents de l��uvre de Camus pour qui l�Alg�rie c��tait Tipaza, un paysage� (A. J. Lenzini L�Alg�rie de Camus)? Peut-on faire de m�me avec Edward Sa�d, ce monument de la litt�rature arabe et am�ricaine, fervent militant des droits de l�homme, qui disait de lui �que ses r�cits avaient une vitalit� n�gative, il en �manait un sentiment de g�chis et de tristesse que nous n�avons pas encore bien compris et dont nous ne sommes pas tout a fait remis� ( Monde diplomatique, novembre 2008 p8 et 9)? Peut-on, sans verser dans le ridicule, penser que ces deux immenses auteurs, pour ne citer que ceux-l�, au pass� militant sans pareil, sont des thurif�raires du pouvoir ? Les lecteurs jugeront. Camus et le probl�me alg�rien Oui, Albert Camus �tait un homme pour le moins que l�on puisse dire complexe. Il a �t� s�rement un humaniste tr�s sensible � la mis�re des Arabes comme il les appelait, et ceci se retrouve dans nombre de ses �crits et de ses actions. Il milita en faveur de l�introduction du recours en gr�ce pour de nombreux condamn�s � morts alg�riens en 1959 aupr�s du g�n�ral De Gaulle et d�Andr� Malraux. Il n�a pas h�sit� � d�noncer les exactions commises par colonialisme apr�s les manifestations de S�tif en 1945. Il avait dit, je le cite : �Nous sommes en train de faire dans ce cas-l� ce que nous avons reproch� aux Allemands de faire.� Dans Mis�re de Kabylie en 1939, il d�nonce la mis�re et la pauvret� qui frappe la population arabe et fait des propositions pour des r�formes tr�s utopiques certes, mais il a eu ce m�rite les avoir propos�es. Humaniste, Camus l��tait mais c��tait aussi quelqu�un qui s��tait prononc� sans ambig�it�s contre la volont� d�ind�pendance de ce qu�il appelait Arabes et non les Alg�riens, comme t�moignent les quelques extraits qui suivent. Dans Alg�rie 1958, il d�clarait : �Si bien dispos�s qu�on soit envers la revendication arabe, on doit cependant reconna�tre qu�en ce qui concerne l�Alg�rie, l�ind�pendance nationale est une formule purement passionnelle. Il n�y a jamais eu de nation alg�rienne� ( Albert Camus tel qu�en lui-m�me de Francois Chavanes). Dans Alg�rie 1958 toujours, Camus caract�rise �d�ill�gitime la revendication alg�rienne d�ind�pendance et sous- entend qu�elle n�est pas une revendication du peuple arabe mais le fait de quelques militants sans aucune culture�. Dans l�Alg�rie d�chir�e de 1955, il �crivait que �Les opprim�s qui luttent en utilisant les armes au nom de la justice deviennent des oppresseurs et il ne faut pas oublier que la France garde un r�le civilisateur envers les populations inf�rieures�. Dans l�Alg�rianit�, Leila Benamar Benmansour rapportait de lui cette formule : �L�Alg�rie est aujourd�hui un territoire habit� par deux peuples, je dis bien deux peuples, l�un est musulman et l�autre ne l�est pas, les deux peuples ont un droit �gal � conserver leur patrie.� Camus pensait aussi que les immigrations successives de juifs, Turcs, Arabes, Fran�ais rendaient la notion de nation alg�rienne caduque. Voil� les deux facettes de Camus, un grand humaniste mais dont l�erreur a �t� de penser et d��crire dans Mis�re en Kabylie que �la crise apparente dont souffre l�Alg�rie est d�ordre �conomique �. Camus consid�rait que le probl�me alg�rien �tait l��quivalant d�une querelle entre deux populations qu�il fallait r�concilier l�une avec l�autre en les renvoyant dos � dos avec une petite tape sur l��paule. Cette vision tr�s pu�rile ne refl�tait �videmment pas du tout la r�alit� et l�histoire de cette terre alg�rienne. En effet, il s�agissait ni plus ni moins que d�une guerre entre un peuple colonis� qui voulait lib�rer sa terre et un colonisateur qui voulait garder cette colonie quitte � faire quelques petites r�formettes superficielles comme le projet Blum-Violette. Projet que vous semblez cautionner mais rejet� � juste titre par le peuple alg�rien car, en fait, il n��tait destin� qu�� une partie infime d�Alg�riens tri�s sur le volet. L��uvre de Camus concernant le probl�me alg�rien a tourn� autour de trois questions : y a-t-il une oppression coloniale en Alg�rie ? Y a-t-il une nation alg�rienne ? La revendication d�ind�pendance alg�rienne est-elle l�gitime? Camus a r�pondu clairement et sans ambigu�t�s comme nous venons de le voir. Oui � la premi�re et non aux deux autres. Telle est, � notre sens, l�erreur de Camus et que l�histoire, qui malheureusement ne se refait pas, a retenue. D�ailleurs, la mauvaise foi et l�absence totale d�objectivit� avec lesquelles Monsieur Onfray prend la d�fense de Camus nous laisse interrogatif sur les v�ritables raisons de cette attitude de la part d�un philosophe qui nous avait habitu�s a un peu plus de discernement dans ses prises de position. Nous avons peut-�tre un d�but de r�ponse avec Olivier Todd, biographe de Camus, qui accusait Onfray �de sanctifier Camus pour d�moniser Sartre� ( Monde du 13 janvier 2012). En effet, il ne faut pas oublier que l�auteur de Ni Dieu ni Ma�tre nous a habitu�s � un tel exercice en attaquant Freud. Les Alg�riens, la violence et l�assimilation Monsieur Onfray, dans ce qui ressemble � une falsification d�lirante de l�histoire, dit �que ce sont les Alg�riens qui ont choisi la voie de la violence� et que Camus n�a jamais eu le soutien de ceux qui, d�j� en 1945, avaient choisi commencer par la violence��. Rien que �a Monsieur Onfray et vous citez Melouza pour �tayer votre incroyable relecture de l�histoire. Certes, Melouza nous interpelle mais peut-on faire comme si l�histoire de l�Alg�rie avait commenc� en 1945 ou en 1954 et faire fi des 115 ans ou plus de colonisation pass�s ? Plus d�un si�cle de tergiversations sans fin et sans r�sultats de l�administration coloniale pour mettre fin aux s�gr�gations, � l�injustice et la mis�re qui frappaient les Alg�riens. Ces Alg�riens qui avaient particip� activement et h�ro�quement � la lib�ration de votre pays, Monsieur Onfray, du joug nazi s�attendaient, au lendemain la Seconde Guerre mondiale, pouvoir esp�rer eux aussi acc�der � leur ind�pendance et devenir libres. C�est qu�ils ont essay� de demander lors des manifestations pacifiques de S�tif 1945 auxquelles l�administration coloniale a r�pondu par une r�pression sans pareil dans l�histoire de l�humanit�. A partir de 1945, les Alg�riens avaient compris que l�assimilation qu�on leur faisait miroiter n��tait qu�un leurre, et c�est dor�navant l�ind�pendance totale de leur pays qu�ils devront revendiquer. C�est ce qu�ils firent en prenant les armes en 1954. Les tentatives de trouver des solutions pacifiques dans l��galit� des droits et devoirs n�ont jamais manqu� de la part des Alg�riens. Et l�exemple d�un homme comme Ferhat Abbas pour ne citer que lui, qui avait demand� en 1931 l�assimilation pour les Alg�riens et avait essuy� un refus de l�administration coloniale, est on ne peut plus caricatural. Il devint l�un des chefs historiques de la r�volution alg�rienne. Georges Clementel, ministre des Colonies en 1905, disait, je cite : �Notre politique a d�finitivement bris� l�assimilation. La mentalit� fran�aise ne peut pas plus s�acclimater aux tropiques que ne le peuvent notre faune ou notre flore. L�assimilation est une th�se erron�e et dangereuse.� Jules Ferry a lui aussi �t� un porte-parole tr�s acharn� de ce rejet de l�assimilation. Dans un texte consacr� � la Tunisie sous occupation fran�aise, il �crivait : �Le r�gime repr�sentatif, la s�paration des pouvoirs, la d�claration des droits de l�homme et les constitutions sont des formules vides de sens dans les colonies en raison de la pr�sence de populations indig�nes arri�r�es. D�autres lieux, d�autres races exigent l�instauration d�un autre r�gime politique que celui qui est �tabli en m�tropole. � Cela se passe de tout commentaire et explique la long�vit� du code de l�indig�nat de f�vrier 1875, appell� aussi code matraque ou monstre juridique par certains juristes comme Arthur Giraud, grand sp�cialiste du droit colonial. Jusqu�en 1945, les Alg�riens �taient trait�s comme des sujets et non comme des citoyens fran�ais, c�est l�assujettissement contre l�assimilation. Ceci �tait vrai pour tout l�empire fran�ais, et l�exception fran�aise d�un colonialisme BCBG tant vant� par la m�tropole �tait un grand mensonge. Pierre Fran�ois Gonidec, professeur de droit �m�rite et auteur de nombreux ouvrages sur le droit colonial disait : �Cette politique coloniale se caract�risait par beaucoup d�assujettissement, tr�s peu d�autonomie et un soup�on d�assimilation.� Pour Pierre Dares, sp�cialiste du droit colonial, �les lois m�tropolitaines ne s��tendaient pas de plein droit aux colonies qui sont r�gies par une l�gislation diff�rente�. Les conclusions d�un r�cent colloque sur cette politique de l�assimilation, organis� par le groupe d�amiti� France- Alg�rie du S�nat fran�ais en juillet 2012 et qui a r�uni d��minents historiens sp�cialistes de l�Alg�rie, ont �t� sans appel. Les diff�rents intervenants ont �t� unanimes � dire que �cette assimilation a �t� un mythe politique destin� � faire croire en la compatibilit� de la colonisation avec les valeurs r�publicaines. L�administration coloniale, pour des raisons ethnico-raciales, notamment l�islamit� de ces populations indig�nes, n�a jamais pens� que leur assimilation �tait possible�. Tels �taient, Monsieur Onfray, les v�rit�s et les fondements du droit colonial sous la troisi�me r�publique fran�aise. Et les Alg�riens qui, je vous le conc�de, n�ont pas de grands hommes de la trempe de votre concitoyen le mar�chal P�tain pour penser que la collaboration �tait la solution � l�occupation, ont d�cid� de prendre les armes pour se lib�rer. De la l�gitimit� de la violence et de la d�finition du terrorisme �Entre ma m�re et la justice, je pr�f�re ma m�re� ou �les opprim�s qui prennent les armes au nom de la justice deviennent des oppresseurs�. Ces deux citations de Camus auxquelles vous souscrivez nous interpellent et nous offrent l�occasion de discuter de la l�gitimit� de la lutte arm�e pour se lib�rer et de la d�finition � g�om�trie variable que vous donnez du terrorisme. Il faut savoir que jusqu�� ce jour il n�y a pas de d�finition du terrorisme qui fasse consensus. Il en existerait plus de 200 dont 72 sont actuellement utilis�es dans les pays anglo-saxons sans qu�aucune ne fasse l�unanimit� car, pour beaucoup, le terrorisme doit obligatoirement �tre distingu� de la r�sistance. Le terrorisme pour les uns peut �tre souvent le combat de la libert� des autres, et c�est avoir la m�moire courte que d�oublier que les r�sistants de la Seconde Guerre mondiale �taient trait�s de terroristes par les nazis !!!! Quand votre terre est occup�e, vos ressources pill�es, vos enfants emprisonn�s ou tu�s, vos arbres d�racin�s votre eau d�tourn�e, que vous �tes entour�s d�un mur qui vous enferme sans aucun espoir de lendemains meilleurs ; quand toutes les tentatives pacifiques politiques d�am�liorer votre sort �chouent : peut-on s��tonner que vous soyez pouss�s � utiliser l�arme du d�sesp�r� et du pauvre, la seule qui vous reste et que vous appelez terrorisme ? Comprendre cela ne veut pas dire accepter ou justifier le terrorisme, mais ne pas le comprendre c�est occulter les vraies raisons de celui-ci, seul traitement radical possible de ce ph�nom�ne. Les bombardements sur Ghaza par l�arm�e isra�lienne lors de l�op�ration Plombs durcis ont fait au bas mot 1 000 morts dont plus de la moiti� �taient des enfants et des femmes. Selon l�Unicef, 600 000 enfants irakiens sont morts suite � l�embargo, notamment sur les m�dicaments, impos� � l�Irak par ce qu�on appelle la communaut� internationale. Madame Madeleine Albright, ambassadrice aux Nations unies � l��poque, est arriv�e � justifier ce crime en disant que �si c��tait le prix � payer pour faire tomber Saddam Hussain, cela valait le coup�. Monsieur Onfray, vous qui par un exercice de grand �cart s�mantique vous vous d�finissez sur votre site officiel comme un sioniste pro-palestinien, comment qualifierez-vous cela : crime contre l�humanit�, terrorisme d�Etat ou les deux ? Votre silence est assourdissant. Ce sont ces indignations s�lectives et ces d�finitions � g�om�trie variable du terrorisme et de la r�sistance � l�occupant qui vous rendent vous et bien d�autres pensants bien comme vous tr�s peu cr�dibles � nos yeux Monsieur Onfray. Je terminerais en citant ces quelques mots, toujours d�actualit� � notre sens, prononc�s par Yasser Arafat en novembre 1974 aux Nations unies : �La diff�rence entre le r�volutionnaire et le terroriste tient dans la raison que chacun a de se battre. Car quiconque qui d�fend une cause juste et se bat pour la libert� et la lib�ration de son pays des envahisseurs, des occupants et des colonialistes ne peut �tre appel� terroriste.� Ceci reste vrai pour la lutte qu�a men�e le peuple alg�rien ou pour celles que m�nent d�autres peuples encore sous le joug colonial pour se lib�rer . Libre � vous, Monsieur Onfray, d�essayer de vous construire en d�construisant Freud, Sartre, Edward Sa�d ou d�autres mais, de gr�ce, laissez l�Histoire aux historiens. Ne la falsifiez pas. N. D. * Professeur de chirurgie p�diatrique. PS : Je profiterais de cette occasion pour dire � Monsieur Mili qu�on peut aimer son pays avec toutes ses composantes linguistiques et culturelles et en m�me temps s�ouvrir � d�autres langues et cultures sans pour autant faire partie d�une chim�rique 5e colonne.