Entretien r�alis� par Fatma Haouari L�expert en droit international, Mohamed Bousoltane, nous livre dans cet entretien son analyse de l�actualit� nationale et internationale en mati�re de droits. Il estime que l��volution du droit international en mati�re de protection des droits de l�homme, � travers le syst�me des Nations unies, a pris une nouvelle tournure, � partir des positions politiques des grandes puissances. Il revient �galement sur les r�formes politiques en Alg�rie ainsi que la future r�vision de la Constitution. Le Soir d�Alg�rie: Comment �labore-t-on une Constitution, et que doit-elle contenir comme principes fondamentaux pour garantir la d�mocratie et comment veiller � son application en �vitant les interf�rences ? Mohamed Bousoltane : Th�oriquement, la Constitution est un contrat social, il doit refl�ter la volont� de la soci�t�. Pour faire plus simple, la Constitution devrait �tre r�dig�e par les repr�sentants de cette soci�t� � travers une Constituante, une Assembl�e ou un autre organe ayant un mandat �lectif. La Constituante est indiqu�e pour une soci�t� avec de grandes oppositions o� le peuple est bien organis� politiquement et suffisamment encadr�. Les exp�riences tunisienne, �gyptienne et libyenne d�montrent les limites de ce mode � cause du d�s�quilibre social et du fait religieux entre autres. Imaginons un instant, chez-nous, une Constitution r�dig�e par un Parlement mal �lu. Pour une soci�t� � un stade avanc� de sa transition �contr�l�e� comme la n�tre, le mode de recours aux experts est plus appropri� en prenant en compte la volont� et les aspirations du peuple. Si la r�daction est une affaire d�experts, ils doivent int�grer des orientations et indications des pouvoirs publics dans des principes et r�gles constitutionnelles universellement accept�s et donner suffisamment la parole � l�opposition pour se rapprocher de la volont� du peuple. Dans ce sens, la Commission consultative a fonctionn� comme une urne entre la pr�sidence et les partis politiques en plus de certaines personnalit�s nationales qui ont bien voulu y participer. Dans ce cas pr�cis, l�adoption du futur texte fondamental par r�f�rendum viendra confirmer cette volont�. Je dirai que les conditions sont tr�s favorables � une transition d�mocratique pacifique, mais les handicaps existent toujours. Des compatibilit�s au sein de la soci�t� sont � trouver et des �quilibres � r�gler sur les plans juridique et institutionnel. Pour franchir les obstacles persistants, l�Alg�rie doit faire cohabiter sa religion, la culture ancestrale de son peuple et la d�mocratie. Reste � savoir quels sont les moyens et les m�thodes pour ce faire, dans une soci�t� politis�e mais tr�s mal encadr�e. En fait, la voie choisie par le pouvoir pour faire aboutir ces r�formes a consist� � faire avaliser, en premier lieu, des lois organiques par le pr�c�dent Parlement. La refonte de la Constitution se fera par le biais d�un nouveau Parlement �lu dans le cadre des nouvelles lois politiques, donc avec plus de l�gitimit�. Cette strat�gie peut �tre plus pratique pour le pouvoir, mais pose toujours le probl�me de la participation populaire � l��laboration du processus de transition d�mocratique. Les batailles politiques actuelles r�v�lent l��chec de cette strat�gie. Le recours aux constitutionnalistes et aux politologues permet de ma�triser l�interaction des principes fondamentaux et d�asseoir les bons �quilibres entre les institutions ainsi qu�une s�paration des pouvoirs et l�alternance. Pour garantir son applicabilit�, il faut une Constitution auto-ex�cutive qui permet en m�me temps une fluidit� politique et une stabilit� du syst�me, deux conditions sine qua non pour le d�veloppement du pays. En th�orie, la Constitution est garante de la d�mocratie, mais souvent des lois ou des d�crets limitent son application sur le terrain notamment quand il s�agit des droits et des libert�s. A qui incombe cette responsabilit�, � votre avis, est-ce un probl�me du l�gislatif ou celui de l�ex�cutif ? Les lois ne limitent pas la Constitution, au risque d��tre annul�es pour inconstitutionnalit�. La Constitution est suppos�e �tre auto-ex�cutoire, � travers l��quilibre des pouvoirs, la n�gociation politique, le contr�le, en plus de l�alternance garantie par les libert�s et les droits de l�homme, fondements de la volont� populaire exprim�e � l�aide d��lections justes et libres. Ce qui veut dire que le v�ritable probl�me de l�application r�side dans la Constitution elle-m�me, qui est souvent r�dig�e dans des termes vagues qui permettent plusieurs interpr�tations et donnant l�avantage � l�Ex�cutif en tant que premier ex�cutant, donc premier interpr�te de la Constitution. Il a tout le loisir de trier le sens qui fait son affaire. La faiblesse et le manque d�initiative du Parlement contribuent � cet �tat de fait. La situation des organes de contr�le est � incriminer aussi. D�autres explications de l�inapplicabilit� se trouvent dans les techniques de r�daction des constitutions, elles expriment des notions g�n�rales, �minemment politiques dont la mise en �uvre n�est pas facile. Bref ! Il s�agit d�un syst�me qui est ainsi fait. Les donn�es politiques ont souvent raison de l�Etat de droit, et la stabilit� du pays prend souvent le dessus par rapport � la d�mocratie. L�ONU, sous le couvert des droits de l�homme, a produit des r�solutions engageant des guerres qui ont tr�s mal tourn�. Pensez-vous que cette institution peut r�ellement imposer la d�mocratie par l�intervention militaire en faisant r�f�rence au droit international ? L��volution du droit international en mati�re de protection des droits de l�homme � travers le syst�me des Nations unies a pris une nouvelle tournure, � partir de positions politiques des grandes puissances. Pour rappel, c�est suite aux d�clarations du pr�sident Reagan appuyant sa doctrine de d�fense de la libert� �Freedom Fighters Defence�, qu�une th�orie nouvelle a vu le jour, celle de l'intervention d�mocratique contre les r�gimes tyranniques. Cette th�orie fait intentionnellement l'amalgame entre le droit � prendre les armes dans le cadre de l'auto-d�termination des peuples (un droit contenu dans la Charte des Nations unies) et l�auto-d�termination interne en sus du droit � la d�mocratie, en application des r�gles des droits de l'homme. On a avanc� des arguments tels qu�une intervention pour la bonne cause (good ends), �tay�s par le fait que ce genre d�intervention n�est pas contre la souverainet� d�un peuple mais contre le r�gime qui l'emp�che de s'�panouir. En effet, sous la pression des ONG, des images de massacres de populations civiles, de files interminables de r�fugi�s ou de villages entiers �puis�s par la famine ont amen� des hommes politiques, parfois, des juristes, des religieux et des journalistes � relayer les cris d'alarme de ces hommes et femmes en souffrance. Le pr�sident fran�ais Fran�ois Mitterrand, dans un discours � Mexico City, le 20 octobre 1981, a abond� dans ce sens. Il d�clarait qu'�il existe dans notre droit p�nal un d�lit grave, celui de non-assistance � personne en danger� En droit international, la non-assistance aux peuples en danger n'est pas encore un d�lit mais c'est une faute morale et politique qui a d�j� compt� trop de morts��. Ces propos sont cit�s par Jacques Attali, l�un des promoteurs de cette notion et conseiller du pr�sident Mitterrand. Cet aspect moral de l'intervention humanitaire, pr�cis�ment parce qu�il s�agit de morale et non de droit, n'est pas � m�me d'outrepasser l'article 2 paragraphe 7 de la Charte, qui proscrit toute intervention dans les affaires internes des membres des Nations unies. En r�alit�, la possibilit� d'intervention existe dans le cas de l�effondrement de l'Etat et la disparition du garant de la souverainet� qu�est le pouvoir politique. Dans ce cas, l'intervention autoris�e ou organis�e par l'organisation mondiale est la r�ponse souhait�e. Une intervention d'un groupe d'Etats, surtout voisins ou dans le cadre d'une organisation r�gionale, peut trouver une couverture l�gale dans l'article 53 de la Charte. La communaut� de l'action et ces proc�dures peuvent apporter des appuis l�gitimes. Mais � ce stade de la pratique internationale rien ne peut l�gitimer une action arm�e individuelle. Il est toujours possible de n�gocier avec les factions en conflit pour mener une action d'interposition passive pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire ou contribuer � la solution du conflit. Il existe, en doctrine, une opinion majoritaire qui trouve difficile l'affirmation de l'existence, en droit positif actuel, des imp�ratifs humanitaires qui pourraient exceptionnellement justifier un recours � la force. Il est g�n�ralement admis que le droit international contemporain, avec sa branche de protection des droits fondamentaux, est en compl�te harmonie avec la d�mocratie. De l� � ouvrir la voie aux guerriers (warriors) pour l'application des droits de l'homme, il y a beaucoup d'obstacles juridiques � franchir. L'usage de la force est l'exception dans le droit de la Charte. L�humanit� a bien r�ussi � venir � bout des r�gimes racistes au terme de tractations de longue haleine, mais avec des moyens assez efficaces et sans avoir eu recours � la force arm�e par l�ONU. On remarque dans ce domaine que les bonnes intentions et v�ux personnels se sont rapidement �clips�s derri�re les int�r�ts nationaux, les jeux des grandes puissances ainsi que la raison d�Etat. Et la question qui se pose est : comment peut-on admettre qu�une institution non d�mocratique comme le Conseil de s�curit� puisse imposer la d�mocratie ? L�intervention syst�matique et sans garde-fous pose probl�me car elle ouvre la voie � tous les abus par les Etats puissants. Le Conseil de s�curit� des Nations unies a franchi le pas, en assimilant, le non-respect des droits de l�homme, de la d�mocratie et parfois le droit humanitaire, � une �menace contre la paix� dans le sens de l�article 39 de la Charte, ce qui lui donne la possibilit� d�autoriser une intervention arm�e. Nomm�e intervention d�mocratique ou intervention humanitaire selon les cas, elle permet le retour d�un pr�sident �lu d�mocratiquement (Ha�ti) et de restaurer la d�mocratie (Sierra Leone), elle permet aussi de prot�ger les manifestants et d�acheminer les aides (Libye) ou l�intervention contre des groupes arm�s (Mali). A voir la derni�re d�cision du Conseil de s�curit� du 22 d�cembre 2012, concernant le Mali, il est tout � fait clair que la d�mocratie tire ses sources du d�veloppement du droit international. Mais les proc�dures de sa mise en application restent exclusivement du domaine des affaires internes r�serv�s � l�Etat et prot�g�s justement par la Charte des Nations unies. Raison pour laquelle nous soutenons que la d�mocratie ne peut �tre impos�e, elle est l��manation de la soci�t�. Le monde arabe vit actuellement des turbulences n�es dans le sillage de ce qu�on a appel� le �printemps arabe�. Est-ce que ce tumulte est un passage oblig� avant d�asseoir un syst�me d�mocratique r�el ou est-ce juste une illusion avant que les vieilles pratiques autoritaristes ne reviennent ? Je ne sais pas si ce passage est l�unique voie mais les personnages qui �taient aux commandes dans les pays concern�s ne connaissaient pas les limites non plus. Vous savez, la grande roue de l�histoire tourne, elle n�est pas munie de position marche-arri�re. Il y aura toujours des forces qui essayent de pr�server leur position dominante et leurs acquis. Mais tant que ces peuples arrachent le droit � la parole et r�ussissent � garder une libert� d�opinion et une presse suffisamment ind�pendante, la pr�servation d�un minimum d�acquis est possible. Cela d�pend aussi du degr� d�int�grit� des personnalit�s qui ont la charge de la p�riode de transition. Est-ce une fatalit� pour les peuples arabes de ne jamais acc�der � une v�ritable d�mocratie qui suppose les libert�s individuelles et collectives et qu�ils n�aient le choix qu�entre un r�gime despotique ou un autre religieux, les deux limitant ces libert�s ? Il faut �tre optimiste. Je crois que cette r�gion du monde dans la phase terminale de sa l�thargie. Plusieurs voyants sont d�j� pass�s au vert et la patience est de mise parce que la vie des peuples se d�roule moins vite, et donc prend plus de temps que celle des individus. La d�mocratie doit trouver le bon �quilibre entre, d�un c�t�, les principes universels des droits de l�homme communs � toute l�humanit�, notamment les libert�s et les droits civiques et politiques et de l�autre, sa religion dominante, ses traditions et sa culture. La tol�rance, entre autres, est un facteur catalyseur, commun entre d�mocratie et religions, sur la base duquel une cohabitation est possible. Ce qu�on appelle les grandes d�mocraties aussi r�servent une place d�une fa�on implicite et tout � fait informelle au fait religieux au sein du politique malgr� la la�cit� affich�e, mais sans que la religion puisse prendre le dessus. Le monde arabe est-il pr�t pour une d�mocratie � l�occidentale ou faut-il inventer un autre syst�me ? La d�mocratie �tant l��manation du peuple, � cause de cette qualit�, elle ne peut �tre transpos�e. Elle doit r�pondre aux particularit�s de chaque soci�t�. Le g�nie des peuples arabes peut inventer un syst�me qui donne la possibilit� � chacun de s�exprimer et garantit aux citoyens la participation effective dans la gestion des affaires publiques Le pouvoir alg�rien a engag� un certain nombre de r�formes politiques et est en phase de r�viser la Constitution. Quelle analyse faites-vous de ces r�formes et quelle vision avez-vous du futur texte fondamental ? La d�mocratisation a r�alis� des �tapes importantes depuis les ann�es 1990 en Alg�rie. Les r�volutions arabes contribuent � remettre le processus de d�mocratisation sur les rails. Des obstacles restent � franchir pour faire cohabiter religion, culture ancestrale et d�mocratie. Il est � rappeler que le retard qu�accuse notre d�mocratie pluraliste naissante s'explique par la mise en application pr�cipit�e de la Constitution de 1989, le manque de garde-fous et l'aventurisme politique des extr�mistes. Ce qui a fait avorter le processus d�mocratique entam� par les premi�res l�gislatives de 1991. L�instabilit� politique et la violence qui secouait le pays alors et la volont� d'assurer une continuit� des institutions de l'Etat n�en sont que les raisons apparentes. La Constitution de 1996 instaure les garanties d'une continuit� institutionnelle au d�triment de la transition et mise sur la pr�vention des risques que pose une Assembl�e �lue, compos�e d�une majorit� impr�visible et donc incontr�lable. Cependant, dans la pratique, ce syst�me a caus� l�affaiblissement des institutions �lues. L'Assembl�e populaire nationale et les autres assembl�es �lues (communes et wilayas) se voient r�duire consid�rablement leurs pouvoirs et leurs champ d'action. Ces institutions, affaiblies et aux pouvoirs amoindris, sont totalement d�cr�dibilis�es aux yeux de la population. Le pr�sident de la R�publique a annonc� dans son discours d�avril 2011 qu�il faudrait �introduire des amendements n�cessaires � la Constitution de1996�, on parle m�me de la suppression du S�nat pour concentrer le pouvoir l�gislatif entre les mains des assembl�es issues des urnes et repr�sentant la volont� populaire. Cela a commenc�, comme annonc� par le Pr�sident, par une �r�vision profonde de la loi �lectorale pour permettre aux Alg�riens d�exercer leur droit dans les meilleures conditions, empreintes de d�mocratie et de transparence�. La loi sur les partis politiques a �t� r�vis�e pour une contribution �plus efficace de ces partis au processus du renouveau du pays�. Cette r�forme touchera �galement, d�apr�s le discours du pr�sident, la loi sur l�information, notamment pour l�ouverture de l�audiovisuel au secteur priv�. Ces r�formes concernent essentiellement les lois politiques. La loi sur les partis politiques pr�voit une souplesse de proc�dures pour la cr�ation de partis politiques par des textes du type auto-ex�cutif r�duisant ainsi la mainmise de l�administration et par cela m�me, donnant plus d�espace � la concurrence politique. Mais les pouvoirs publics peinent � trouver un interlocuteur valable dans un Parlement �mal �lu� car ce sont les m�mes partis qui ont estropi� les projets de lois politiques pr�c�demment adopt�es (avant les �lections). Les r�formes actuelles sont aussi perturb�es par l�argent mal acquis qui tente de prendre d�assaut les institutions et complique la t�che � une administration faible et trop bureaucratis�e. Je dirai, en conclusion, que le pays doit compter uniquement sur les seules vraies sources l�gitimes du pouvoir qui sont le savoir et le mandat �lectif gagn� dans une bataille politique loyale. Le degr� de d�mocratie et la l�gitimit� d�un syst�me sont jaug�s � la lumi�re du respect ou non de tous ces �l�ments.