L�arm�e a fait son job comme � l�accoutum�e. Appel�e � la rescousse, elle a admirablement rempli sa mission, celle de prot�ger le personnel et le patrimoine du complexe gazier. Elle a surtout palli� � l�incomp�tence coupable des dirigeants de la plus grande entreprise alg�rienne, en l�occurrence Sonatrach, fleuron de notre industrie. Par Menhaouara Mourad(*) S�il y a un parall�le � faire en termes de catastrophe �vit�e de justesse, fort heureusement, gr�ce � la prompte intervention de l�ANP, c�est avec celui de la centrale nucl�aire de Fukushima au Japon. Tout le monde garde � l�esprit ce d�sastre �cologique survenu, faut-il le pr�ciser, des suites d�une sous-�valuation des risques par les concepteurs de cette centrale emport�e par un tsunami. Les cons�quences ont �t� dramatiques en termes de pertes humaines, sans oublier une zone contamin�e probablement � vie par la radioactivit�. Il n�y a point de diff�rence dans le processus qui a conduit ces complexes industriels � �tre confront�s � un risque majeur si ce n�est dans l��l�ment d�clencheur du drame que ces derniers ont respectivement connu. Au Japon, c�est un �l�ment naturel sous-�valu�, amplifi� par l�effet syst�mique du risque. Dans celui d�In Amenas, c�est l�inconscience des dirigeants de ce complexe gazier qu�il conviendrait de d�noncer. En effet, comment peut-on imaginer un seul instant que Sonatrach et son partenaires BP, des g�ants de l�industrie p�troli�re, aient pu n�gliger � ce point, certains fondamentaux de la gestion du risque dans son approche globale et notamment celui inh�rent aux actes de malveillance. En l�esp�ce, on a excell� dans l�improvisation et l�amateurisme. Nous avons ici, incontestablement, la preuve que la responsabilit� du pilotage du dispositif de s�ret�/s�curit� a �t� confi�e en sous-traitance � des pseudo-experts sans aucune comp�tence, venus exercer leur �talent� en Alg�rie grassement r�mun�r�s � coup de dizaines de milliers d�euros. Comment a-t-on pu recruter ces apprentis sorciers ex-barbouze, anciens mercenaires au parcours professionnels douteux ? Comment peut-on confier � des soci�t�s �trang�res la s�curit� de notre patrimoine industriel qui nous procure 99% de nos revenus en devises ? Surtout que chacun sait que ces derni�res, �voluant � visage cach�, ont pour principale activit� l�intelligence �conomique (plut�t espionnage devrait-on dire !) au profit de leur pays d�attache. Par ailleurs, comment a-t-il pu �chapper � nos responsables �tatiques en charge du secteur de l��nergie que nos principales infrastructures p�troli�res et gazi�res se trouvent isol�es dans le grand Sahara par nature hostile, qui plus est, comme celles d�In Amenas, se trouvant � proximit� de la fronti�re avec la Libye, pays caract�ris� par une instabilit� politique et des conditions s�curitaires des plus pr�caires et enfin, comment avoir ignor� la proximit� d�une zone de guerre d�clar�e dans le Sahel ? Tous ces facteurs de risques g�opolitiques av�r�s n�ont pas suffi � susciter un tant soit peu une r�action des dirigeants de Sonatrach et in fine les alerter sur l�imp�rieuse n�cessit� de mettre en place, dans ces circonstances de hauts risques, une cellule de veille strat�gique charg�e de v�rifier et d��valuer les dispositifs de s�curit�, si tant il est vrai qu�ils existent et qu�ils aient �t� bien mis en �uvre comme on veut bien nous le faire croire (ce que j�en doute !). Comment ces terroristes ont-ils pu acc�der avec une facilit� d�concertante au site ? Sachant que celui-ci, en raison de la sp�cificit� de son activit� dont les caract�ristiques sont cumulativement sensibles, dangereuses et vuln�rables, �tait cens�, � tout le moins, disposer d�un plan de s�ret� adapt� par rapport � sa situation g�ographique, sa topographie, la nature de son activit� et sa proximit� avec un territoire limitrophe connu pour �tre criminog�ne (armement en libre circulation, drogue, pr�sence de groups terroristes�). Les professionnels experts en mati�re de lutte contre les actes de malveillance (prise d�otages, sabotage, attentats�) savent l�importance et la prise en compte de ces indicateurs d�terminants dans l��valuation des menaces, malheureusement occult�s ici. A ce stade de tant de n�gligences participant � la fragilisation des capacit�s de r�silience du site en question, ils ne serait pas surprenant d�apprendre qu�un vigile (Dieu ait son �me) �tait seul devant la grille et qui a pay� de sa vie en croyant na�vement qu�il �tait en mesure de s�opposer � l�acc�s de ces criminels lourdement arm�s. Concernant cet assassinat, il convient d��tre lucide et ne pas se laisser envahir par des sentiments de compassion et verser dans l�affectif en ces circonstances, pour encenser l�acte h�ro�que de ce jeune vigile comme certains hauts responsables l�ont abusivement fait, oubliant au passage dans leur �lan de tant de g�n�rosit� � l�endroit de cet agent de s�curit� sacrifi� sur l�autel de la n�gligence, huit de nos courageux militaires bless�s n�ayant pas eu droit � la m�me reconnaissance ou gratitude. estant professionnel et pointant d�un doigt accusateur son employeur qui n�a pas pris la mesure du danger auquel cet agent, livr� � lui-m�me, risquait ; c�est-�-dire une mort certaine. Sur ce point, la responsabilit� de son entreprise pour mise en danger de la vie d�autrui est pleine et enti�re pour faute inexcusable, car on ne peut pas faire mieux comme aberration en mati�re de contr�le d�acc�s au niveau d�un site qualifi� de strat�gique. Plac� dans de telles conditions et face � la d�termination des assaillants, l�issue ne pouvait qu��tre fatale pour ce jeune homme qui exer�ait en fait la t�che d�un veilleur de nuit et non celle d�volue � un agent de s�curit�. De ce qui pr�c�de et au-del� du drame et de l�onde de choc que cette tragique prise d�otages � induit sur le plan international, il convient de reconna�tre que le constat est amer, douloureux. Voil� un site strat�gique qui fournit 18% de notre production en gaz, �coul� sur le march� international pour une valeur de 3,5 milliards de dollars, livr� � lui-m�me, sans aucun dispositif de s�curit� performant qui aurait pu, au moins retarder l�intrusion � d�faut de l�emp�cher. Et lorsque la catastrophe survient au c�ur du complexe gazier, surpris et comme pris au d�pourvu, on fait appel � l�arm�e ! C�est trop facile de se d�fausser � chaque fois sur les services de s�curit� de l�ANP et de la Gendarmerie nationale. La s�curit� est l�affaire de tous et que chacun prenne ses responsabilit�s ! Ce rappel � la responsabilit� doit �tre suivi d�injonctions fermes � l�endroit des dirigeants de ces entreprises. L�action de l�autorit� de tutelle devra �tre vigoureuse en la mati�re car nous �tions au bord d�une crise sans pr�c�dent ; nous �tions sur le point de conna�tre notre Bhopal, notre Tchernobyl, notre 11 septembre 2001. A la seule �vocation de ces catastrophes avec les cons�quences que l�on sait, nos responsables devraient difficilement trouver le sommeil� � moins que� ! Les dirigeants de Sonatrach sont pleinement responsables car ils ont failli � l�obligation qui leur incombe, celle de veiller � la s�curit� des personnes et des biens au niveau des infrastructures dont-ils ont la charge. Il n�est pas exclu, d�ailleurs, que prochainement, l�Alg�rie aura � g�rer de nombreux dossiers de demandes d�indemnisation qui seront d�pos�s par chacun des pays de ressortissants victimes dans cette trag�die, car il faut savoir que dans ces pays la notion du �maktoub� n�existe pas. La mort d�homme, la blessure, les mutilations ou simplement le stress subi dans le cadre du travail sont intol�rables et par voie de cons�quence, lourdement sanctionn�s par la justice. Autant de n�gligences que Sonatrach aurait pu �viter si elle avait pris la pleine mesure de la dimension des menaces qu�elle peut conna�tre en se dotant des moyens humains aux comp�tences av�r�es, capables de mettre en place une politique efficiente en mati�re d�anticipation des risques et ce n�est pas en renfor�ant les mesures de s�curit� de ces infrastructures comme il vient d��tre annonc� que l�on parviendra � des r�sultats probants. Soit ! C�est le minimum esp�r� en termes de r�activit� mais soyons objectifs, ces mesures ne seront pas efficaces car d�cid�es dans l�urgence. Pour l�essentiel et comme d�habitude, il faut s�attendre � un renforcement des mesures qui concerneront l�acquisition de nouveaux �quipements de surveillance, un acc�s � ces sites plus restreint, sans doute un renforcement des effectifs de vigiles� Mais est-ce suffisant ? Malheureusement non ! On ne r�soudra pas le probl�me par l�acquisition d�une panoplie de gadgets �lectroniques et autres quincailleries dont on sait que nos responsables sont tr�s friands, ni par la mobilisation de soci�t�s de s�curit� priv�es dont on sait aussi qu�elles sont connues pour leur manque de professionnalisme en mati�re de la lutte contre le terrorisme. Ce qu�il faut, c�est avoir le courage de se d�partir de ces vieux r�flexes qui consistent � g�rer le risque suivant un sch�ma de pens�es obsol�tes (un c�l�bre Mar�chal fran�ais affirmait que le feu tue, les id�es p�rim�es aussi). Comme le souligne B. Cuche dans la pr�face de la deuxi�me �dition �D�cider dans l�incertitude� de Vincent Desportes, nos dirigeants d�entreprises �devraient rompre avec le mod�le fond� essentiellement sur des certitudes, des st�r�otypes, des sch�mas d�emploi et la pr�dominance des moyens classiques de la puissance�� et d�affirmer que �la sup�riorit� op�rationnelle s�obtient d�sormais dans la domination du champ cognitif�. Aucun d�ploiement des plus hautes technologies du XXIe si�cle ne permet aux chefs op�rationnels ni d��tre parfaitement renseign�s, ni d�agir avec certitude, ni d��viter le d�sordre et l�impr�vu. Car face � l�ennemi impr�visible et mutant qui cherche en permanence � se diluer dans la population et frappe nos points faibles, la r�ponse ne peut �tre syst�matique en s�appuyant sur un syst�me rigide. L�enjeu pour ces dirigeants (sans exception), qui souhaiteraient int�grer la s�ret�/s�curit� comme une valeur ajout�e dans le d�veloppement de l�activit� de leur entreprise, consiste non pas � optimiser des syst�mes d�j� en place, en privil�giant des recettes toutes faites ou autres solutions cl�s en main import�es, inadapt�es et sans r�elle efficacit�, mais de s�atteler d�s � pr�sent, comme nous conseille Patrick Lagadec, directeur de recherche (Ecole polytechnique) et �minent sp�cialiste de la gestion du risque et des crises, dans une intervention intitul�e �les entreprises face aux risques nouveaux� : � vulgariser �une v�ritable culture s�curitaire aux termes de laquelle de nouveaux concepts de l�intelligence du risque seront d�velopp�s. Cela suppose une r�elle volont� de mettre en place des capacit�s de veille r�invent�e, des aptitudes � se mettre en r�seau extr�mement large et de fa�on instantan�e, � r�unir des capacit�s de r�flexion strat�gique�. Sur le plan de la formation, il y a sans doute un d�fi � relever car l�enjeu dans ce domaine est de ne pas laisser � certains groupes, le monopole de la culture de l�aberrant comme l�illustre bien ce contre-exemple en mati�re de gestion du risque. M. M. (*) Consultant en risk management P. S. : D�sol� d��tre critique � l�endroit des dirigeants de Sonatrach mais c�est pour notre bien commun que j�ai bien le droit de m��lever contre ce qui contribue � sa perte