Par Ahmed Halli halliahmed@hotmail.com Comme beaucoup de nos concitoyens, j'ai �t� r�volt� par l'ignoble assassinat de deux enfants � Constantine. Tout comme eux, j'ai �t� happ� par la tentation d'une justice impitoyable, imm�diate, et m�me exp�ditive, concernant le rapt et le meurtre d'enfants. Ce qui prouve que nous ne sommes pas totalement r�sign�s, voire anesth�si�s, devant la mont�e irr�pressible de la violence. Simplement, j'aurais pr�f�r� ne pas attendre cet acte ignominieux pour un sursaut d'indignation, de col�re nationale. La r�volte devant la violence aveugle et l'injustice est un acte salutaire, encore faut-il que ce ne soit pas � titre intermittent et pr�caire. Il ne faut pas attendre que des enfants soient enlev�s et massacr�s pour s'insurger contre la violence qui gangr�ne notre soci�t�. Or, la violence ne commence pas et ne finit pas lors du passage � l'acte, ou de l'accomplissement du crime. La violence, ses incitations et ses incitateurs sont omnipr�sents dans notre quotidien, et il suffit de regarder ou de tendre l'oreille pour en faire le constat. Depuis des d�cennies, la violence de l'�tat, l�gitime et n�cessaire pour la p�rennit� de la loi et de l'ordre, est submerg�e par la violence de la rue. Par violence de la rue, je n'entends pas seulement les actes de vandalisme, les batailles rang�es, mais ces mouvements irraisonn�s, ces �tincelles de folie qui embrasent les regards. Devant tous ces acc�s, nous nous tenons cois, nous en sommes parfois les sujets ou les objets, sans prendre le temps de r�fl�chir � leurs tenants et aboutissants. Que dire alors de nos r�probations � mi-voix, et de nos silences consentants, lorsque la violence s'habille de sermons et se couvre de fatwas ? Sans doute, faut-il rappeler que les assassinats cibl�s de nos intellectuels ont �t� pr�c�d�s de dizaines de meurtres rituels ex�cut�s � partir des chaires des mosqu�es, des tribunes, ou des plateaux de t�l�vision. Aujourd'hui encore, les anath�mes publics et les excommunications font partie de notre quotidien et peuvent d�g�n�rer � tout moment. Il ne faudra plus s'�tonner alors que dans une soci�t� o� la vie humaine a si peu de prix, des individus format�s � ces normes se croient autoris�s � tuer leurs semblables, m�me au berceau. Ceci, parce que nous avons trop vite oubli� les b�b�s enfourn�s, les jeunes filles �gorg�es ou froidement abattues sur la route de l'�cole, au nom d'une id�ologie qui tue les contradicteurs. Qu'est-ce que cette �trange d�marche qui consiste � combattre le terrorisme des maquis et � feindre de ne pas voir, sinon � couver, ce �terrorisme citoyen�, qui enseigne � vivre les uns contre les autres ? Alors que nous sommes cens�s vivre en d�mocratie, ou quelque chose de ressemblant, une v�ritable chasse aux sorci�res est organis�e. Des pans entiers de la soci�t� sont marginalis�s, quand ils ne sont pas phagocyt�s par l'id�ologie ambiante qui se veut nationale, mais n'est que la copie, persill�e, du fondamentalisme wahhabite. Il y a quelque temps, j'avais �voqu� ici le sort des pierres tombales, couch�es, ou aplaties, pour �chapper � la furie destructrice des exalt�s. Ces derniers n'ont plus besoin de se poster aux entr�es des cimeti�res pour appliquer leur rituel, qui s'impose d�sormais � tous, comme les enterrements h�tifs de fin d'apr�s-midi. Une simple lecture des rubriques n�crologiques vous �difiera sur les tendances nouvelles des fun�railles, comme le deux en un : on annonce le d�c�s, en m�me temps que l'enterrement. Une astuce, import�e aussi, pour bien montrer que dans la famille, la pi�t� n'est pas un vain mot : tel d�funt, ou telle d�funte a rendu l'�me, juste apr�s avoir accompli la pri�re du Fedjr. Lui ajouter le titre de Hadj, ou de Hadja est encore plus valorisant, mais gare aux querelles et rivalit�s familiales, qui peuvent donner envie de priver l'autre des bienfaits collat�raux du p�lerinage. Ce qui peut alors donner ceci : �La famille Houzn-Amik, etc. etc. a la douleur de vous annoncer le d�c�s, apr�s avoir accompli la pri�re du Fedjr, de Mme Nora Houzn-Amik, n�e Hadja Bab-Elmindab. L'enterrement a eu lieu le m�me jour. Etc.�. Ici, on ne s'arr�te pas � ce qui peut sembler anachronique, comme d'avoir fait le p�lerinage avant sa naissance. Le plaisir est de d�poss�der la famille alli�e du titre convoit�, et ce plaisir est amplifi� si la d�funte a eu l'extr�me obligeance de mourir dans sa famille d'origine. Ce qui peut emp�cher, avec les al�as de la communication et des transports, la famille de l'�poux d'arriver � temps pour l'enterrement. � ce rythme, j'ai bien peur que nous br�lions bient�t la politesse � nos voisins de l'Est, comme la Libye et la Tunisie, o� les religieux redoublent de f�rocit�. R�cemment d�sign� comme mufti par le pouvoir libyen, le cheikh Sadek Al-Ghariani vient de publier une premi�re fatwa, comblant ainsi les voeux de Mustapha Abdeldjalil. Ce dernier, intronis� par Sarkozy et Henri-L�vy, a pris comme premi�re mesure d'autorit�, le r�tablissement de la polygamie, interdite par l'ancien r�gime. Th�ologien attitr� du r�gne d�chu, Al-Ghariani vient de d�cr�ter, � la suite de ses ma�tres wahhabites et � l'approche du printemps, qu'un mari pouvait violer son �pouse. Le journal �lectronique M.E. Transparent publie une photo du nouveau mufti, d'une raideur extr�me dans l'interpr�tation des textes, avec cette l�gende : �O� a-t-il appris la th�ologie du viol, chez Seif-Al-Islam Kadhafi ou chez Salman Al-Auda?� Et le journal de noter qu'� voir son �tat physique, Sadek Al-Ghariani semble bien �tre �incapable de violer une poule�. Beaucoup plus jeune, mais moins intelligent semble-t-il, le d�put� tunisien du parti Nahdha, Habib Ellouz, s'est fait l'ap�tre de l'adoption de l'excision en Tunisie. Devant les r�actions d'indignation des femmes tunisiennes, le d�put� int�griste a affirm� une premi�re fois que ses propos avaient �t� d�form�s. Mais l'enregistrement de ses d�clarations confirme son propos, et m�me au-del�, puisqu'il a m�me ajout� que l'excision de la femme �tait un embellissement, un acte de chirurgie esth�tique en somme. L'ann�e derni�re, le t�l�pr�cheur �gyptien Ouejdi Ghenim avait tenu les m�mes propos, lors de sa visite en Tunisie, invit� par le parti au pouvoir. Quant au chef de la Nahdha, Rachid Ghannouchi, louvoyant comme � son habitude, il s'est bien gard� de condamner de tels propos. Il s'est content� d'affirmer que l'excision �ne faisait pas partie des traditions tunisiennes�. Voire, mais comme les �traditions� nouvelles s'incrustent vite dans nos soci�t�s, il y a tout lieu de s'inqui�ter.