Epris de justice et d'humanisme dès son jeune âge, Jean-Paul Reimund déserta l'armée française où il s'est vu enrôler en 1957. Bravant le pouvoir en place, il avait choisi son camp, «le camp des faibles et des justes». Agé alors de 19 ans, il intégra la Fédération FLN de France pour devenir convoyeur d'armes et s'occuper des évasions et de la collecte de fonds. Il activait alors en Belgique et en Allemagne. Arrêté en février 1961 à Francfort, il réussit à s'évader grâce à ses compagnons. Etant toujours recherché, il rentre à Alger via l'Italie, deux ans plus tard. Cet Alsacien jeta alors son dévolu sur la région du Chenoua qu'il n'a pas cessé d'aimer. Grand amoureux de la nature, il monta une simple cabane tout près de la mer, mais aussi de la montagne. Son refuge devint vite un véritable centre de rayonnement sportif, culturel et de solidarité qui a connu le passage de nombreuses et grandes personnalités. Humaniste, Jean-Paul s'occupa d'abord des enfants de chouhada et n'a jamais ménagé ses efforts d'aide sociale. Son nom figure parmi les pionniers du handball algérien et du rugby. Nombreux sont les maîtres-nageurs qu'il a formés. Mais ce sportif-né, ce grand gaillard, aimait paradoxalement la chasse au gros gibier. De ses armes, il préférait le fusil de collection allemand fait à la main. Les mémorables parties de chasse ne manquaient pas. L'oncle Djelloul et Tikerouchine se rappellent de ces luttes corpsà- corps à coups de couteau contre les sangliers qui dépassaient les 100 kg. Les rapports de chasse systématiques font foi. Il interdisait de tirer à la chevrotine. «La chasse doit être sportive, et on ne doit pas laisser souffrir l'animal», ne cessait-il de répéter. Les rares fois où les prises étaient en gestation, il ressentait une profonde tristesse. Il luttait pour la préservation du mont Chenoua, il voulait même y introduire le mouflon. Il n'a pas non plus hésité par solidarité à participer, avec les siens, à la lutte antiterroriste. Il fut le premier à riposter contre la descente terroriste au proche douar Bouras en 1996 où furent massacrés une pauvre mère et ses enfants. Il aimait par-dessus tout la chasse sous-marine. Il était un abonné des îles Habibas oranaises. Il connaissait tous les îlots d'Algérie pour y avoir traqué en apnée le poisson à des profondeurs allant parfois jusqu'à 35 m. «J'ai tout appris de lui», dira le jeune Mohamed-Ali, l'un de ses admirateurs. C'était un grand éducateur. Il avait plus d'un tour dans son sac. Avant chaque partie de pêche par exemple, il jetait un coup d'œil derrière lui vers la montagne. S'il voyait les nuages cacher le sommet du mont, il disait : «Quand le Chenoua met son chapeau, la mer ne sera pas belle, donc on ne sortira pas chasser.» Reimund connaissait bien cette montagne pour l'avoir traversée dans tous les sens. Avec les chasseurs algériens dont il était le pivot, il adorait organiser des battues et sonner le cor. Il était toujours flanqué de ses trois petits chiens teckel, très bas sur pattes. Jean- Paul croquait la vie à tout instant. Chez lui, c'était la joie de vivre. Il ne passait pas un jour sans qu'il ne fasse la fête, porte ouverte à tout vent. Il n'évoquait ses activités d'ancien combattant qu'avec ses compagnons de guerre et seulement lorsque ceux-ci en parlaient. Pour lui, son engagement n'était qu'un devoir, un point c'est tout. Son salon décoré avec goût et simplicité renvoie à d'autres grandes figures de la région. Sur l'un des murs est accroché un immense tableau représentant une dance de Tassiliens exécuté par le grand peintre du rupestre Poitevin, mort en 1992. Près de la cheminée, les traces du défunt Ahmed l'artiste restent vivantes. Ses activités de plein air, il ne les a jamais cessées, jusqu'à ce qu'une maladie traître s'empare de lui. Poursuivant son traitement de chimiothérapie en France, il s'est empressé de revenir à son Chenoua sentant sa mort approcher. Trois jours avant son départ définitif, il fait son adieu à Tipasa à bord d'une voiture. Lorsque sa dépouille mortelle fut ramenée chez lui, et avant même qu'elle ne traverse le seuil de l'entrée, ses chiens, fidèles compagnons, commencèrent à hurler à la mort. Proches et amis n'ont pu contenir leurs larmes. Le cimetière chrétien du village qui n'a pas connu d'enterrement depuis l'indépendance l'a accueillie avec tous les honneurs un certain jeudi 6 septembre 2001. Une foule l'a accompagné à sa dernière demeure dont un général français. Son cercueil était drapé de l'emblème national sur lequel furent déposés son chapeau de chasse et sa médaille de moudjahid. Djelloul le montagnard, doyen du village, le salua au nom de tous ses amis en tirant des coups de fusil en l'air. Son frère Henri donna lecture à un hommage : «Ton vœu est exhaussé, te voilà enterré au Chenoua, tes proches et tes amis ne t'oublieront jamais. On viendra te voir souvent.» Reymund le Chenoui a laissé derrière lui héritage inestimable, celui d'avoir appris aux siens ce qu'est la vraie vie.