Le patron du premier groupe privé algérien Cevital, Issad Rebrab, n'a pas mâché ses mots, hier, sur les ondes de la radio web Maghreb M. Il a accusé le président Bouteflika et son entourage d'être responsables du blocage de ses projets industriels. Lyas Hallas-Alger (Le Soir) - L'entrepreneur, qui redresse la tête ces derniers jours et sort de son mutisme à coups d'acquisitions aux niveaux national et international, n'écarte même plus d'investir dans les secteurs bancaire et de l'audiovisuel et de faire valoir son droit de préemption pour le rachat d'actions dans l'opérateur de téléphonie mobile Djezzy, dont l'Etat en négocie depuis bientôt deux ans 51 % des actions avec le nouvel acquéreur, le russe Vimpelcom. Entre autres projets bloqués que M. Rebrab a évoqués au cours de cet entretien, celui de la trituration des graines oléagineuses qui lui tient «énormément à coeur», car il est réalisé à 50 %, selon ses dires et est susceptible de révolutionner le secteur de l'agriculture dans le pays avec à la clé 100 000 emplois et, surtout, sécuriser les approvisionnements des unités du groupe agroalimentaire en matières premières. Il a situé dans ce contexte, les responsables de ce blocage : «Je ne dirai pas que ce sont tous les pouvoirs publics qui ne veulent pas que ce projet se développe, mais une partie influente.» El Kadi Ihsane, animateur de l'émission, le relance : «Vous faites allusion au président Bouteflika ?» Et à M. Rebrab de répliquer : «C'est lui le patron de ce pays !» Pourquoi ? «Il faut aller lui poser la question ou au moins à son entourage. Qui prend les décisions ? Je n'en connais pas d'autres», a-t-il déclaré. Dans le même ordre d'idées, si le patron de Cevital a loué le «pragmatisme» du Premier ministre de Bouteflika, Abdelmalek Sellal en l'occurrence, lequel est «favorable, selon ses dires, au développement», il a souligné que «ce blocage n'obéit plutôt à aucune logique». «On continue à faire la distinction entre le privé et le public, et ce n'est pas normal !», a-t-il asséné, invitant les pouvoirs publics à suivre l'exemple de la Chine qui a connu son décollage économique à l'époque du camarade Mao déjà, en libérant l'initiative privée. Cevital ira à l'arbitrage international si la cession de Djezzy n'est pas à son avantage M. Rebrab, qui s'est félicité de la bonne santé financière de son groupe, «c'est l'une des entreprises les plus rentables de la planète », a-t-il dit, a dénoncé encore une fois le fait du prince. «Comment voulez-vous avoir des champions nationaux si vous ne libérez pas l'initiative privée ? Vous avez l'exemple du voisin marocain dont le roi encourage ses citoyens à conquérir les marchés africains. Or, ici, on nous bloque au niveau du Conseil national de l'investissement (CNI) par le fait du prince !» S'agissant de l'affaire Djezzy où Cevital détient 3 % des actions, M. Rebrab a confié qu'il veut augmenter ses parts dans le capital de l'opérateur. «Nous étions prêts, il y a 6 ou 7 ans, à acheter la totalité des actions mais le gouvernement nous a dit non quand nous lui avons fait part de notre intention. Nous avions respecté sa volonté. Or, quand ils ont entamé les négociations, l'Etat comme Vimpelcom nous ont négligés. Nous ne voulions pas en tout cas faire valoir notre droit de préemption. L'Etat veut prendre 51 % des actions. Nous essayerons de trouver un terrain d'entente qui nous donnerait 30 % des actions, 35 % à l'Etat et autant d'actions au russe Vimpelcom. Nous attendons pour voir comment les choses vont évoluer, mais si nous ne trouverons pas notre compte, nous attaquerons notre coactionnaire devant la Cour internationale d'arbitrage de Londres. Le pacte des actionnaires nous donne le droit de préemption», a-t-il indiqué. La crise européenne, une opportunité à saisir Le groupe Cevital, qui a repris dernièrement le leader européen des fenêtres à double vitrage Oxxo PVC et la filiale algérienne de Michelin, acquisitions qui lui ont valu de tenir le haut de l'affiche du monde des affaires, a estimé que la crise secouant l'Europe en ce moment est une opportunité qui ne se présente qu'une fois par siècle et qu'il ne faut surtout pas rater. «Quand on bloque un entrepreneur qui cherche la croissance, il va la chercher à l'international. Nous réalisons une croissance moyenne de 34 % depuis 1999. Nous travaillons dans la transparence totale. Nous avons acquis Oxxo dernièrement à travers l'une de nos filiales européennes pour une bouchée de pain (400 000 euros). Nous n'avons transféré aucun centime d'Algérie. Mais je dis qu'il faut libérer l'initiative privée si l'on veut se développer», a-t-il conclu. Quant à une éventuelle ouverture du capital de Cevital ou l'une de ses filiales, M. Rebrab a avancé que la santé financière de Cevital permet de réaliser ses investissements sur fonds propres. «Nous sommes plutôt dans une situation de surliquidités, ce qui n'est pas normal. C'est à cause du blocage de nos projets. Nous sommes prêts à partager notre croissance avec le peuple algérien et ouvrir notre capital à condition de lever ces blocages. A ce moment, si nos projets auront besoin de financement, nous irons sur les places financières lever des fonds», a-t-il suggéré. A la question de savoir si cette santé financière ne lui permettrait pas de créer une banque ou de lancer une chaîne de télévision, il a dit : «Nous avons déjà constitué un dossier pour fonder une banque mais on ne nous a pas accordé l'autorisation. Or, pour la télévision, nous sommes légalistes, on attend la promulgation de la loi sur l'audiovisuel.»