[email protected] Il se dit et s'écrit tant de choses à propos de son influence que, parfois, certaines assertions frisent l'invraisemblance. Car au fil des révélations de la presse, le personnage semble occuper une place centrale dans le dispositif actuel de la prise de décision. En somme, il serait le manipulateur en chef de toute la communication institutionnelle au point de s'imposer comme son unique inspirateur. Or, quand bien même sa proximité familiale avec le futur... ex-Président continue à lui valoir encore un certain ascendant sur le personnel politique, cela doit-il, par contre, empêcher ce dernier de prendre ses responsabilités en toute conscience et surtout avec le courage qu'exige la gravité de la situation ? Conseiller de l'ombre, agissant dans les rouages du palais, est-il toujours en droit de dicter aux institutions de l'Etat des feuilles de route au moment où le sommet du pouvoir est, de fait, vacant et s'apprête même à changer d'impétrant ? Car, à moins de considérer Saïd Bouteflika comme Beria (1) de poche de cette République et présenter, par ailleurs, l'ensemble des dirigeants comme de piètres courtisans à ses ordres, ce cadet-là est effectivement dans son rôle. Celui, justement, de postuler à la succession de l'aîné ! L'hypothèse est bien sûr farfelue. Et même si elle ne tient pas la route, elle indique néanmoins que la terrible panne qui, dans les circonstances présentes, affecte les rouages du pouvoir est la conséquence de 14 années d'asservissement et de servitude muette. Œuvre de Bouteflika, n'a-t-elle pas permis à celui-ci d'asseoir sa prééminence par le fâcheux recours à la corruption des appareils et des hommes. Déjà l'on avait entendu, par le passé, les Algériens s'interroger sur la déliquescence des institutions mais peu d'entre eux étaient en mesure de croire qu'au moment où le sommet de l'Etat deviendrait le problème cardinal, il ne se trouvera pas de voix autorisées pour imposer la bonne solution à ce vide institutionnel. Que la séquence de la longue maladie d'un Président, voire sa probable invalidité définitive demeure un tabou insurmontable signifie également qu'aucune des institutions de ce pays n'est solide ni leurs attributs constitutionnels opératoires. Aussi bien le Parlement que le Conseil constitutionnel et l'armée ne sont actuellement disposés à cet examen. Ils y verraient un risque qui, prétendent- ils, déstabiliserait l'Etat alors que celui-ci est justement livré à la sorcellerie politique du clan, lequel ne fait que retarder l'échéance de son effondrement. En se résignant à croire que l'architecture de l'Etat gagnerait à ne rien changer dans le calendrier des élections (avril 2014), les cercles de la décision sont en passe d'imposer au pays une parenthèse de 10 mois au cours de laquelle la totalité des dossiers sensibles demeureraient dans les tiroirs. On aura compris que derrière cette prudence tactique à laquelle semblent adhérer l'armée et le Conseil constitutionnel, notamment, se cache une volonté et un désir de piloter une succession selon les modes d'emploi du passé. Celle d'une élection «pluraliste» mais en même temps fermée grâce au verrou de la sélection préalable. Car, à moins d'une année de la fin d'une «ère» politique, le système voudrait se doter de quelques garanties pour son propre avenir. Autrement dit, il continuera à peser sur les choix que les urnes ratifieront ensuite en aval. C'est ainsi que l'on peut décrypter la solennelle «neutralité» de l'armée. Elle qui fut la matrice du système, dont elle avait accouché des règles le 19 juin 1965, souhaite également devenir la passerelle vers la «deuxième République». Favorable à une opération de toilettage de son image, elle encouragerait la promotion d'une nouvelle élite politique qu'elle aura adoubée préalablement. Or, pour que cela puisse se réaliser, il lui reste d'abord à disqualifier par tous les moyens les anciens compagnonnages qui sévissent toujours dans les rouages de l'Etat et empêchent la rupture. En effet, si l'après-Bouteflika est désormais à l'ordre du jour, il devrait commencer par la neutralisation des cercles du régime où les ambitions demeurent intactes. C'est ce que l'on peut appeler la «neutralité active» de l'armée. Celle qui met en avant de ses préoccupations le scrupule démocratique à travers la transparence des urnes afin de créditer la prochaine légitimité du régime. Mai pour l'instant, pas un signal, allant dans ce sens, n'est encore parvenu au clan fermé du palais. Saïd Bouteflika est toujours sur la brèche en interférant dans la gestion des informations relatives au cas du Président, alors qu'un Premier ministre passe d'une tribune à une autre pour se déployer en propos démagogiques qui, au mieux, font sourire discrètement les publics. C'est dans ce climat morose que, progressivement, l'Etat officiel découvre le syndrome de l'indécision. B. H. (1) Beria : homme politique soviétique, patron des services secrets et terreur de la nomenklatura. Homme de main de Staline.