[email protected] En la matière, c'est du «déjà-vu». Rodée au fil des saisons saintes, la logistique de l'Etat est toujours prête à se déployer en actes de bienfaisance dès le premier jour de Ramadan. Statistiques affinées, crédits publics libérés avec une étonnante célérité, listings des bénéficiaires de la charité officielle actualisés à une famille près et collectivités locales mobilisées à cet effet par le gouvernement : bref, rien ne doit, par conséquent, entacher la campagne de la «chorba» sacrée(1). Nom de code de cette manifestation de la bonne conscience politique du régime, elle s'est imposée depuis des années comme un exercice majeur de sa communication au point de l'attribuer à Bouteflika, «himself»... ! D'ailleurs Sellal, le premier de cordée parmi les sherpas du palais, n'a-t-il pas insisté sur cette «directive» présidentielle qu'il aurait recueillie lors de sa visite aux Invalides ? Nous sommes donc invités dès le 9 juillet (?) au même show compassionnel d'un Etat qui ne décline sa solidarité envers les pauvres que 30 jours par an. Au-delà de cette séquence du calendrier hégirien, la haute solitude de la misère reprendra ses quartiers avec sa cohorte de SDF et de familles ne survivant quotidiennement qu'avec une poignée de dinars. Car l'opération tapageuse des Ramadans de chaque année a fini par être perçue comme une indécente instrumentalisation du sentiment religieux de l'entraide et a révélé, en même temps, les limites de l'Etat quant à sa capacité à se donner une véritable vision de ce que devrait être la solidarité nationale. C'est redire, à la suite de certains esprits lucides, qu'un gouvernement ne peut tirer fierté de la gestion ponctuelle de la soupe populaire afin de maquiller son déficit dans tous les autres domaines. Une fois de plus, le jeu politicard est mis à contribution lorsqu'il s'agit de récupérer une des dimensions de la spiritualité de la société. En clair, la sanctification de cette solidarité, tout à fait circonstancielle, ne serait rien d'autre qu'un prétexte suspect : bien loin du souci d'alléger le malheur et surtout d'appréhender la précarité économique et le déclassement social dans la rationalité de leurs causes en y apportant des solutions durables. Se ressourçant dans ce double mensonge, qui se commet tous les Ramadans que la religion décrète, le régime persiste à faire accroire qu'il fait tout ce qu'il peut pour atténuer ces insoutenables discriminations. En surexposant les milliers de couffins du jeûne et les millions de sésames de l'indigence, il prétend annuellement avoir éradiqué l'humiliation alors que celle-ci revient au galop, dès la fin du carême. En fait, c'est ainsi que l'on peut comprendre sa défaillance chronique et que se mesure l'étendue de la démagogie qui sous-tend sa mobilisation occasionnelle. Les «après- Ramadan», annonciateurs des jours ordinaires, ne constituent-ils pas, en effet, le plus terrible des démentis à toutes ses politiques sociales ? Cette assistance agissante et tapageuse au cœur d'un moment spécifiquement religieux ne lui inflige-t-elle pas d'autres discrédits ? De ceux qui l'accusent de faire de l'aumône du «F'tour» un trophée et de ceux à qui elle est destinée les sujets cardinaux de ses préoccupations. Il est vrai que, dans une caricature d'Etat, ceux qui feignent d'exercer actuellement quelques parcelles de pouvoir ne peuvent que reconduire les recettes du passé afin de faire illusion. Ramadan leur fournissant une opportunité, comment n'en profiteraient-ils pas de ce vieux fonds cultuel où la tartuferie et le cynisme politique s'associent pour soigner l'image du pouvoir ? Et c'est à ce niveau de la basse manipulation que se situent justement les véritables interpellations et que s'étalonnent à la fois les échecs d'une gouvernance datant de 1999 et la clochardisation du tissu social. Bien plus que d'autres, certaines strates de la société sont en droit d'attendre de meilleures assurances qui aillent au-delà de la satisfaction d'un besoin alimentaire saisonnier. En effet, ce sont les petites gens qui se posent le plus de questions. Ce sont elles qui se demandent ce qu'est cette gouvernance qui pratique avec délectation le recours à la carotte (ce fameux repas) alors que leurs progénitures sont en butte au chômage et sombrent dans la marginalité. Enfin, ce sont toujours elles qui mettent paradoxalement en doute ces cautères de la solidarité officielle quand les listes des blessés par le chômage continuent à s'allonger. C'est ainsi, qu'à partir du nouveau croissant de lune, lorsque la privation forcée des jours ordinaires s'efface devant l'abstinence sacrée, l'on verra alors s'amplifier la flagornerie de préposés à la pitié tarifiée par la «meïda» céleste. Un temps religieux que le pouvoir politique mettra à profit pour jouer au bon samaritain. B. H. (1) On pourra lire avec curiosité l'exactitude chiffrée du ministre de l'Intérieur relative à l'opération Ramadan qu'a publiée El Moudjahiddans son édition du jeudi 27 juin. A nos lecteurs «La lettre de province» va prendre quelques vacances à partir de samedi 6 juillet et reviendra le samedi 20 juillet. Bonnes vacances.