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La longue marche du mouvement étudiant algérien
Publié dans Le Soir d'Algérie le 27 - 05 - 2013

Par Hamid Oussedik, ancien président du comité de gestion de la cité universitaire de Ben Aknoun (Cuba)
Le 11 avril 1963, la conférence nationale chargée de préparer le cinquième congrès adopte les nouveaux statuts de l'Union nationale des étudiants algériens, Unea, et élit, pour une période de 6 mois, Mustafa Mekidèche à la tête d'un comité de cinq membres, dont Nafir Bachir qui sera plus tard une des importantes chevilles du comité de Ben Aknoun et Maâradji Ahmed.
Ce changement de dénomination, de statuts et d'organisation est officialisé en août 1963, lors du cinquième congrès qui porte à la présidence de l'Unea, Houari Mouffok. Les travaux de la conférence nationale et du cinquième congrès, qui se sont déroulés à la cité universitaire de Ben Aknoun, sont marqués par un climat de luttes sourdes, de divisions, de menaces, voire de risques de scission. De 1959 jusqu'à la dissolution autoritaire de janvier 1971, l'Ugema et par la suite l'Unea ne cesseront de traverser nombre de crises et de luttes qui ne peuvent trouver leur justification simplement à travers les pressions, les manipulations externes et la répression. Des causes internes ont également influé sur l'évolution historique du mouvement estudiantin algérien avec pour résultat l'affaiblissement des principales forces patriotiques et démocratiques qui le composent. Dès le lendemain de l'indépendance, plusieurs tentatives sont menées pour contrôler l'Ugema à travers nombre de directions désignées. La période allant de l'échec du premier congrès, post-indépendance de l'Ugema en septembre 1962, jusqu'à son cinquième congrès en août 1963 fait apparaître de plus en plus l'opposition larvée ou parfois brutale qui s'installe entre les étudiants procommunistes et les étudiants militants du FLN. Les affrontements idéologiques et les luttes politiques aiguisent, de toutes parts, les divergences au détriment de la cohésion syndicale et de la résolution des problèmes auxquels sont confrontés les étudiants. La section des étudiants de Paris, jugée comme politiquement incorrecte et étiquetée proche du PRS, sera la première à en faire les frais malgré son rôle historique et son importance en nombre de militants. L'esprit de cabale et d'exclusion trouve sa pleine expression contre cette section qui sera purement et simplement expulsée du congrès. Un tract tiré de nuit et opportunément distribué, l'on ne sait par qui servira à justifier ce dangereux précédent. Ses responsables nieront avec véhémence en être les auteurs et dénonceront une manipulation politique visant à caporaliser le congrès. Cette affaire, dite de la section de Paris, laisse beaucoup de traces et marque les esprits avec pour corollaire nombre de répercussions négatives au sein de l'organisation des étudiants. La section de Paris sera «redressée» par l'exclusion et la marginalisation de ses responsables «récalcitrants» à l'image de Abbas Didine. Le premier congrès des étudiants sur le sol national, au lendemain de l'indépendance, est marqué par l'absence d'un véritable dialogue et une grande difficulté à faire des choix démocratiques. Il a failli être compromis après le retrait des sections Ugema venant des pays arabes. Malgré certaines manœuvres dilatoires, l'on ne pourra empêcher les congressistes de soulever : «La question de l'arabisation, le statut et la nécessité du développement de la langue berbère et la création d'un institut d'enseignement du berbère.» Cette recommandation restera sans suite et sera bannie du discours de l'exécutif de l'Unea qui affiche dans son ensemble une réelle hostilité à la revendication berbère. Nombre de patriotes et démocrates sont rapidement confrontés à des forces qui ne conçoivent l'avenir de l'Algérie que dans le corset du sectarisme ou de l'autoritarisme. Le cinquième congrès signe l'échec d'une possible large union des forces démocratiques et de la modernité : une question qui reste toujours d'actualité. Comment a-t-on oublié que l'exclusion est violence avec pour première victime la vérité ? Les défenseurs d'une véritable autonomie syndicale seront pris en étau et souvent poussés au silence en étant taxés de centristes, de troisième force, voire de contre-révolutionnaires et berbéristes. «L'on fait fi de la démocratie qui réconcilie les droits individuels et les droits collectifs, les droits des peuples et les droits des personnes. Seule la démocratie est le véritable garant des droits de l'homme», Boutros Ghali «Déclaration liminaire», in. Conférence mondiale sur les droits de l'homme, Nations unies, 1993. Pour l'avoir oublié, certains paieront, eux-mêmes, le prix fort. Face à l'emprise du conformisme idéologique, il devient de plus en plus difficile de parler de liberté de pensée. Dans l'ensemble des discours, la lutte pour le développement et l'importance du rôle des étudiants dans la mobilisation pour la reconstruction du pays sont soulignées avec force par toutes les parties. Aurait-il fallu encore que la participation effective de la communauté étudiante dans le processus de développement du pays commence, d'abord, au sein de l'institution universitaire. «La révolution» devient un prétexte pour rejeter et stigmatiser tous ceux qui tiennent un autre discours. En un mot, c'est l'affirmation sournoise ou parfois brutale de la négation de toute liberté de pensée. Une forme de dogmatisme, voire un discours sectaire et des slogans politiques servis à la sauce du jour dominent nombre de réunions des étudiants. L'action de la direction de l'Unea se caractérise de façon générale, durant cette période, par l'absence d'une saine vision politique et par «un appui total et sans réserve au frère Ben Bella et au pouvoir révolutionnaire». Jusqu'au 19 juin 1965, l'Unea se départira très peu d'une stratégie d'entrisme, voire d'une relation d'allégeance par rapport au pouvoir politique. Aussitôt le Ve congrès terminé, des membres de la direction de l'Unea participent activement à la campagne pour l'élection d'Ahmed Ben Bella. Déjà investi à la tête du gouvernement le 29 septembre 1962, il sera élu à la présidence de la République le 15 septembre 1963 avec 95% de voix. Lourde responsabilité pour ce premier président de l'Algérie indépendante qui hérite d'un pays où tout reste à faire et dont les premières déclarations ont la faculté d'accentuer la division et les rancœurs. L'exigence auprès de la direction de l'Unea de ne pas réduire le syndicat étudiant à une sorte de courroie de transmission du discours idéologique ou à une simple force supplétive du pouvoir n'était pas sans danger pour ceux qui le tenaient. Toute approche revendiquant un fonctionnement démocratique, une réelle participation dans l'élaboration des choix et l'exigence d'un Etat de droit est décrétée suspecte et taxée de réactionnaire. Tout est entrepris pour éliminer les éléments qui militent pour le refus de tous les caporalismes. Comment renforcer la paix et écrire l'avenir, tous ensemble, sans une véritable participation de la société civile unissant ses forces à celles des autorités locales et nationales ? Le climat politique d'alors ne peut admettre un regard critique ou encore moins la prétention de s'instituer en acteur de son destin. L'endoctrinement partisan cherche à transformer l'université en caisse de résonance soit du pouvoir soit de la mouvance communiste sous stricte surveillance à l'extérieur de l'université. Une mouvance qui avait pleinement sa place dans la nécessaire et large union qu'exigeait la résolution des immenses problèmes que posait l'édification du pays. Faute d'une aire politique légale, la tentation de formater l'Unea en une organisation partisane, quelque peu éloignée du syndicalisme estudiantin, a fini par prendre le pas avec les conséquences prévisibles. Le FLN se transforme en parti unique et s'approprie la légitimité historique. Le Parti communiste algérien, le Parti de la révolution socialiste de Mohamed Boudiaf et le Front des forces socialistes seront interdits. Conformément aux engagements pris lors du congrès du FLN de 1964, les dirigeants du PCA demandent à leurs militants à rejoindre les cellules du FLN afin de renforcer, pensent-ils, son courant progressiste dont les figures marquantes étaient Mohamed Harbi et H. Zehouane. Le prix Lénine, dont a été décoré le président Ben Bella, a eu sans doute toute son influence. Cette recherche d'un discours commun n'autorisera jamais une place pour deux, aux côtés de responsables politiques qui ont une vision patrimoniale du pouvoir et se considèrent comme les seuls garants de la révolution et de l'Etat-nation. Dans ce cadre, l'action entreprise, au sein des étudiants par Houari Mouffok, président de l'Unea et proche du PCA, avec Abdessadok, responsable des étudiants militants du parti FLN, débouche le 16 novembre sur un élargissement du comité exécutif de l'Unea par la cooptation de Abdelaziz Bouchaïeb, Mohammed Salah Berdi, Lomri et Saïd Kitouni qui plus tard fera une brillante carrière dans les services. H. Mouffok et Abdessadok feront preuve tous deux, au lendemain du 19 juin 1965, d'une loyauté totale à leur engagement politique et d'une bravoure admirable. Ce ne sera pas le cas de toutes et de tous. Ali El Kenz souligne dans sa préface de l'ouvrage de Clément Moore UGEMA 1955-1963 : «Aussi brève fut-elle, l'histoire de l'Ugema, en tant qu'association autonome de la société civile algérienne, n'en demeure pas moins un exemple de l'immense richesse que représente pour un Etat, quelle que soit sa forme, une société civile qui lui soit en partie indépendante... Une société civile réellement libre, libère l'Etat, et réellement forte, le renforce ; alors qu'à l'inverse, sans cette liberté, elle devient un fardeau, contrainte et, plus dramatiquement encore, l'adversaire qu'il faut contrôler par ses polices quant elle pourrait être la force d'appui de son action essentielle comme garant du droit et gardien de sa souveraineté et de son territoire.» Clément Moore juge que «l'Algérie a perdu l'art d'association en 1961». Le manque d'objectivité, les a priori et les contradictions qui caractérisent la situation politique nationale et les clans qui se forment ne sont pas sans ramifications au sein des étudiants. Cet environnement politique favorise la division et l'affaiblissement des forces démocratiques et de la modernité au sein de l'université, de la société et de ses élites. En l'absence d'un véritable front que l'on était en droit d'attendre, les assises de l'Unea sont de plus en plus
minées par des luttes occasionnées par une véritable «importation» de courants idéologiques antagonistes entre des étudiants ayant fait leurs études en Europe de l'Est (bloc soviétique), ceux issus des universités de l'Europe de l'Ouest, des Etats-Unis et de certains pays arabes. Hier comme aujourd'hui, apprendre à vivre ensemble est sans doute l'une des dimensions essentielles qui manque à l'éducation des Algériens. Les calculs politiciens, les pressions idéologiques, le noyautage, des choix opportunistes, voire des manipulations amènent certains responsables de l'Unea à faire des déclarations politiques qui auront pour effet notable d'accentuer les césures entre des forces qui auraient gagné à s'unir. En 1964, l'on ira jusqu'à exiger au nom des étudiants une sanction exemplaire contre le colonel Chaâbani qui est accusé d'être un «réactionnaire cherchant à diviser l'Algérie et à porter atteinte à sa révolution». L'arrestation de Hocine Aït Ahmed produit les mêmes dérives et réactions au niveau de la direction de l'Unea. Un appel au «châtiment exemplaire» est également lancé au nom des étudiants. Le 12 avril 1965, il est condamné à mort par un tribunal d'exception. Sa peine est commuée in extremis en perpétuité par le président Ben Bella. Le regretté président Boudiaf fera remarquer, à un journaliste parti l'interviewer à Kenitra quelque temps avant son retour au pays, combien il a été déçu par les responsables d' Alger Républicain aux-quels il avait demandé de le soutenir dans l'épreuve de sa mise en détention. Il aura pour réponse : «Ce sont des querelles entre vous. Cela ne nous concerne pas et nous ne pouvons y intervenir...» La cohabitation houleuse entre les étudiants et le pouvoir ne date pas simplement du 19 juin 1965. De même, l'on ne peut affirmer que la crise profonde qui a secoué le Mouvement des étudiants algériens, au lendemain du 19 juin 1965, résulte principalement de la question de l'autonomie syndicale vis-à-vis du pouvoir. Certes, depuis le coup d'Etat, les tensions sont plus vives, l'état de crise est devenu permanent et l'opposition systématique. La répression et l'absence d'un véritable dialogue, conjuguées à des manipulations ayant pour objectif la main mise politique sur l'organisation des étudiants, se poursuivront sans relâche jusqu'à déboucher immanquablement sur la dissolution autoritaire de l'UNEA en 1971. L'étude des contradictions, des enjeux et des luttes qui ont marqué l'évolution de l'organisation nationale des étudiants algériens depuis le congrès constitutif de l'Ugema à Paris en juillet 1955 jusqu'à la dissolution de l'Unea en 1971 méritent une analyse plus sereine et objective. Une analyse qui certainement permettra de tirer toutes les leçons nécessaires à une meilleure mobilisation et union des forces démocratiques et de progrès en Algérie. Un cycle infernal semble s'être installé pour privilégier la violence au dialogue, la force à la tolérance, la permanence d'une culture de la guerre à une culture de la paix. Cette culture ambiante a fini par infiltrer, jour après jour, nos familles, nos écoles, nos rues, notre environnement politique, social, économique et culturel. C'est de cet «état d'esprit» que naissent et se renforcent les pouvoirs autocratiques véritables ennemis de l'émancipation des peuples qu'ils poussent jusqu'à la violence et au crime. Une forme de complicité entre des cercles du pouvoir et une partie de l'opposition place l'UNEA au centre d'intérêts et de calculs qui ont des répercussions dommageables sur sa cohésion. «L'union nationale», dont se réclame le comité directeur, est devenue un leurre, car l'on retrouve derrière ce sigle une toute autre réalité et une conception du syndicalisme étudiant qui rejette toute recherche de consensus. Devant cette situation qui porte de plus en plus préjudice aux forces démocratiques et patriotiques, au niveau de l'université d'Alger, des étudiants de plus en plus nombreux décident de réagir. Pour avoir émis des réserves et désavoué certaines prises de position politiques qui sont loin de refléter les intérêts et la position de la majorité des étudiants, le comité de Ben-Aknoun sera combattu et stigmatisé comme le repaire de la contre-révolution et des berbéristes. Cette crise latente ne s'est jamais refermée complètement et sera amplifiée par le 19 juin 1965 avec pour épilogue la dissolution de l'UNEA le 15 janvier 1971... le même jour que le Centre d'études berbère. Cette période sera l'objet d'un certain nombre de témoignages marqués, parfois, par un manque d'objectivité, de rigueur et une propension à rattacher certains événements non pas au système mais à la personnalité de responsables présentés, par moment, de façon quelque peu caricaturale. Nombre de témoignages s'attardent en particulier sur la période où Kaïd Ahmed était responsable de l'appareil du parti. Par delà les divergences, voire les différents politiques, les attaques, parfois grotesques, contre sa personne ne peuvent faire oublier nombre de qualités que lui reconnaissent tous ceux qui l'ont réellement approché. De façon bien commode, l'on omet souvent de noter qu'avant l'arrivée de Kaïd Ahmed dit Si Slimane, à la tête du FLN en 1967, les étudiants seront confrontés, d'abord, dès 1965 au commandant Djamel (Chérif Belkacem) qui reste pour l'histoire celui qui a voulu en finir avec l'autonomie de l'UNEA. Il créera, pour cela, une Fédération nationale des étudiants militants (Fnem) et une direction préparatoire d'une conférence nationale. Les locaux du siège, au 10, boulevard Amirouche, seront remis aux mains de «directions » parachutées, dont un ministre de l'actuel gouvernement. Il utilisera comme «principal interlocuteur» avec les étudiants Mustafa Bouarfa qui se montrera peu concerné par les problèmes estudiantins. Dès ses premiers contacts, il cherchera à imposer des relais dociles, voire des supplétifs. Insensible aux choix des étudiants et à leurs demandes pressantes telles que l'arrêt des poursuites policières, la libération de Houari Mouffok et des étudiants détenus, il dressera rapidement contre lui l'immense majorité des étudiants toutes tendances confondues. Les méthodes employées ne manquent pas de susciter également de sérieuses tensions avec et au sein même de la JFLN véritable pépinière de jeunes patriotes engagés. Cette tentative d'imposer une restructuration et une reprise en main musclée de l'UNEA et des mouvements de jeunesse, JFLN comprise, connaîtra un échec cuisant. Plusieurs manifestations de protestations seront organisées durant cette période. L'écrasante majorité des étudiants affichera un rejet total aux dispositions visant à «normaliser» la situation au niveau de l'Unea.Cette confrontation n'empêchera en rien les deux frères ennemis, la section d'Alger et la Fédération nationale des étudiants militants du parti (Fnem) d'accuser souvent, certains d'entre nous, de collusion avec un parti de l'opposition, à savoir le FFS. Cette propension à nous stigmatiser par notre origine régionale, à nous traiter de berbéristes et de réactionnaires relève d'un terrorisme intellectuel exercé à l'encontre de tous ceux qui refusent de cultiver l'air du temps et de s'inscrire dans le suivisme ambiant. Une litanie qui a fini par ne tromper que ceux qui le veulent bien. Il est utile de préciser que sur les dix membres du comité de Ben-Aknoun, seuls deux étudiants sont originaires de Kabylie : Hamid Oussedik, président, et le Dr Lounès Aïder, responsable des finances. Les stratèges de l'ombre pensent que c'est là le meilleur moyen de nous intimider, de nous brider et de diviser davantage la grande masse des étudiants. Quoi de plus simple que de nous faire porter «une responsabilité collective» depuis que la Kabylie est devenue un théâtre d'affrontements armés fratricides après la création du FFS, le 29 septembre 1963, ce sera peine perdue. La gestion exemplaire et démocratique de la cité de Ben-Aknoun, le respect de l'ensemble des points de vue, l'élection par scrutin de liste sur la base d'un programme d'action débattu publiquement et voté par l'ensemble des étudiants, l'obligation de réussite aux examens de fin d'année faite aux membres du comité de gestion sont à la base de la très grande adhésion des étudiants qui à chaque élection lui renouvellent très largement leur confiance. Ignorant les préjugés et les procès d'intention, sa proximité avec les besoins moraux et matériels des étudiants, le respect des règles démocratiques et des choix de la base, durant tout son mandat, ont fini par valoir au comité de gestion un véritable respect au sein d'une très grande majorité des étudiant(e)s. La forte personnalité de ses membres, le niveau élevé de leur patriotisme et de leur conscience politique, leur sincérité ont été autant de remparts aux multiples tentatives constamment entreprises pour le noyauter, le diviser et faire fléchir son action. La loyauté exemplaire et l'efficacité des membres des différentes commissions et organes créés par le comité ou activant sous son autorité, la symbiose, voire un véritable esprit de famille entre toutes les résidentes et résidents, le refus d'être manipulé et utilisé comme masse de manœuvre ou moyen de pression lors de différentes échéances politiques, le rejet du régionalisme et le refus de tout suivisme ont fait de la cité universitaire de Ben Aknoun un havre de tolérance, de démocratie, de modernité et d'épanouissement. Comment oublier la symbiose confiante et toute fraternelle au sein du comité avec Nafir Bchir, aujourd'hui pharmacien à Biskra, avec mon frère Mustafa Achour, l'enfant de Mecheria, qui après s'être inscrit aux cours de tamazight, finit par converser avec facilité dans cette langue. Comment oublier cette image, il y en eu tant d'autres, de maître Lahbib Bourokba de Mostaganem et Keciba Mohamed de Laghouat reprenant les couplets d' Ayema Azizen Ourtsrouau milieu de la chorale amazighe. Un état d'esprit et des règles de travail loin de plaire à tous ceux qui avaient la charge «d'orienter et
de mobiliser.» C'est avec une profonde émotion, une constante et fidèle amitié que je me rappelle de Zemouchi M'hamed, Henni Mohamed, Aït Mohamed, Boubrit, Omar M., Hassen M. et F., Terzi H., les frères Saâdi, Boudjabi Slimane, les frères Bourokba, Farida Guedider, Didine Maoui, Masmoudi Hamza, Saïd et F. Salemkour, Chibane Mahmoud, B. Bouras, R. Zidi, Mansouri, les frères Slimani et Aboura, le Dr Guessoum, Didine Ladjouze et ses frères, Senhadji, Abi Ayad, Bensafir, Dahmani, Becis, Madjid Boumediene, Makhloufi A., Maarouf N., Naas, Bedrane, Ali Benflis, Ch. Rahmani, Sifi M. Teboune A. M., Sifer, N. Bellazoug, K. Daheur, Aït Abderrahim, Athmani, Kazi Tani avec sa voix de Baryton et son célèbre répertoire, le Dr Brixi, Kadri, Bouaza, Ben Badis, Rico et tant d'autres qui voudront bien m'excuser. En un mot, l'image d'une Algérie unie, tolérante et consciente de ses potentialités. L'exemple du comité de Ben Aknoun montrait quotidiennement que la démocratie est participation et que l'on ne peut pas participer si l'on n'a pas été éduqué pour le faire. Sans participation, comment exister en tant que citoyen ? Cette période reste pour moi une sorte de modèle de ce que la jeunesse algérienne est capable de réaliser en valorisant l'intelligence, le savoir, la culture, la solidarité, la tolérance et l'ouverture aux autres. Cela nous éloigne d'une actualité qui regorge de relents régionalistes, d'une agitation politique infantilisante, d'affrontements obscurantistes résultant, en partie, de la cooptation et d'une médiocrité avérée. Il faut le rappeler sans cesse et mettre en lumière cette réalité pour bien faire comprendre que l'Algérie n'est pas condamnée par une quelconque fatalité qui trop souvent défigure sa révolution au mépris des immenses sacrifices consentis. Le climat de solidarité, d'amitié et de respect qui régnait à CUBA n'a jamais empêché des débats parfois vigoureux. S'agissant de ses relations avec l'administration, le comité a arrêté avec elle une véritable charte de travail qui se traduira par un réel climat de confiance, de respect et de complémentarité. Le CG avait pour règle d'informer, de favoriser le dialogue et d'établir les contacts nécessaires, à tous les niveaux. Etant donné la modicité des moyens dont il dispose au regard des tâches qui lui sont assignées, le comité s'efforce, chaque fois, d'appliquer ces moyens de façon qu'ils aient le plus grand impact possible. «Mais il fut bien court, ce temps des cerises... et d'espérance.» Cet esprit de respect mutuel, de dignité, de solidarité et de franchise imposait aux membres du comité d'étudier et de débattre collégialement de toutes les demandes qui leur sont faites et de rechercher chaque fois la meilleure formule pour régler les problèmes posés par les résidents, quelle que soit «leur couleur politique». Autre temps, autres mœurs : c'est dans l'enceinte de cette même cité universitaire, en l'absence d'un cadre démocratique qui renforce la lutte contre les germes dangereux de la haine et de la violence, que sera assassiné le 2 novembre 1982, Kamel Amzal, étudiant à l'Institut des langues étrangères. La lutte pour la démocratie permet de remonter aux racines du mal, aux problèmes d'exclusion, de frustration, de marginalisation, d'avoir l'espoir de remédier à ces situations, terreau des sentiments de violence et d'agressivité. L'éducation à la participation, l'éducation au pluralisme ethnique, au pluralisme religieux, idéologique est à la base de la démocratie. Loin de retracer toutes les actions du CG, quelques exemples peuvent être cités pour simplement étayer cette culture démocratique ou apporter quelques nécessaires rectificatifs à certains témoignages qui ont paru dans les médias.
Un cadre d'écoute, de tolérance et de solidarité
Fidèle à la plateforme d'action présentée aux étudiants et sur laquelle il est élu, le CG privilégie constamment l'écoute, la solidarité, la tolérance et l'initiative. C'est dans cet esprit d'ouverture et de dialogue qu'en mars et avril 1968 seront installés un centre d'études marxiste léniniste, une salle de prière et un centre de la culture berbère (CCB). La réussite n'a pas été d'égale valeur au niveau de ces initiatives. Le centre de la culture berbère va animer un riche programme grâce à la contribution et à la disponibilité des frères Saâdi et à la collaboration d'étudiants résidents à Cuba qui regroupait toutes les régions d'Algérie. Toutes ces actions sont menées en étroite collaboration avec le comité de gestion et reflètent cet esprit d'ouverture, de dialogue et d'initiative auxquels le comité tient tant. Des cours de berbère sont dispensés par Mouloud Mammeri. Une riche animation culturelle est organisée avec le soutien d'éminents écrivains, peintres et des grandes vedettes de la chanson amazighe. Les conférences du CCB attirent un public nombreux. Premier invité, Mouloud Mammeri présente son livre sur Si Mohand Ou M'hand,juste après sa parution à Paris aux éditions Maspéro, dans la grande salle de cinéma bondée d'étudiants attentifs. Taos Amrouche, à qui le gouvernement ferme les portes du Festival panafricain d'Alger en 1969, répond à l'invitation des étudiants de Ben-Aknoun qui, dans une salle comble, lui feront une longue ovation. Dans une intervention préliminaire, Taos Amrouche, très émue, remercie vivement les étudiants pour leur accueil. Elle déclare que «le mot berbère est chargé d'électricité» en Algérie, mais pas à la cité universitaire de Ben-Aknoun où l'esprit de tolérance a montré que certains sujets estimés tabous ont été approchés avec objectivité et comme source fondatrice enrichissante. Dans son discours inaugural au premier Festival culturel panafricain, le 22 juillet 1969, le président Boumediène a pourtant rappelé : «Longtemps contraints de nous taire ou de parler la langue du colonisateur, c'était un devoir essentiel et premier que de retrouver nos langues nationales, les mots hérités de nos pères et appris dès l'enfance» et ajoute qu'«il n'y a pas de langue qui, au départ, soit plus apte qu'une autre à être le support de la science et du savoir». Cette profession de foi ne vaudra pas pour tamazight. Loin d'être reconnue et perçue comme un enrichissement pour l'Algérie entière l'amazighité est, au contraire, comprise par le régime comme un élément de déstabilisation de l'unité nationale, un danger pour l'idéologie arabo-islamique et la langue arabe.
H. O.


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