Cela fait déjà 21 ans, jour pour jour, que l'Algérie perdait à tout jamais le Président Mohamed Boudiaf, le 29 juin 1992, à la veille du trentième anniversaire de son indépendance et qui a failli être le dernier. Ce fut en effet un miracle que le pays n'ait pas sombré dans un chaos définitif à la suite de ce terrible assassinat de celui qui ressuscitait l'Algérie de manière spectaculaire entre le 16 janvier 1992 et ce sinistre 29 juin. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) - Pour la deuxième fois en six mois, l'Algérie se retrouvait, en ce 29 juin 1992, aux portes de l'enfer. Une première fois, c'était au soir du 26 décembre 1991. Le premier tour de la première élection législative pluraliste dans l'histoire de l'Algérie indépendante, allait être le dernier : une nébuleuse fondamentaliste, composée d'islamistes fanatisés à l'extrême et d'anciens djihadistes revenus d'Afghanistan qu'est en réalité le FIS, rafle 188 sièges sur les 231 que comptait l'Assemblée populaire de l'époque, soit plus de 80%. L'Algérie, telle qu'elle avait existé depuis 1962, n'avait plus, dès lors, que quelques jours à vivre, au sens propre du terme, c'est-à-dire jusqu'au 16 janvier 1992, date retenue pour le deuxième tour. Et entre-temps, les uns et les autres se positionnent : d'un côté, le FLN du trio Chadli- Mehri-Hamrouche ainsi que le FFS de Aït Ahmed et bien d'autres sont ouvertement favorables à la poursuite du processus électoral et la composition mortelle avec le FIS qui n'a pourtant jamais essayé, ne serait-ce que «camoufler» ses intentions. A savoir, l'instauration d'un Etat théocratique pur et dur et définitif ! De l'autre, quelques rares voix de démocrates, essentiellement le RCD, le PAGS, l'UGTA et quelques intellectuels et membres de la société civile, qui appelaient à l'arrêt de ce processus électoral suicidaire. Restait la grande inconnue : la position de l'armée. Or, dans un rapport confidentiel d'une rare perspicacité, rédigé par les généraux feu mohamed Lamari, Abdelmadjid Taghit et Mohamed Touati, l'ANP avait alerté Chadli, via Khaled Nezar, alors ministre de la Défense, en 1990 déjà sur la victoire inéluctable du FIS aux élections et dans les proportions que l'on sait ! Or, sur conseil de Mehri et Hamrouche, Chadli passera outre ce rapport et ses recommandations qui, si elles avaient été prises en considération, auraient évité au pays des années de feu et de sang. Que faire alors L'armée prend ses responsabilités et Chadli remet sa démission, à la surprise générale, le 11 janvier 1992. La crise est d'autant plus compliquée que le décret de fin de mandat de l'APN avait été publié au Journal officiel, quelques jours auparavant. Vide institutionnel, le FIS qui tient la rue, ses alliés nationaux et internationaux qui multiplient les pressions, tout cela ajouté à une crise économique extrêmement aiguë, voilà la conjoncture dans laquelle avait été installé le Haut Comité d'Etat. Cette instance provisoire, appelée à combler la vacance de pouvoir, avait été un parfait dosage pour représenter les principales forces politiques et sociales du pays : Khaled Nezar pour l'armée, Ali Kafi pour les anciens moudjahidine, Tidjani Haddam, homme de religion et ancien ambassadeur, Ali Haroune, ancien avocat et ministre des Droits de l'Homme mais aussi de la fédération de France, donc représentant de l'émigration. Mais qui pour chapeauter tout ce beau monde ? fallait une personnalité nationale historique forte et incontestable. Un acteur de premier plan durant la Révolution. Ahmed Ben Bella et Hocine Aït Ahmed ayant déjà choisi leur camp, il ne restait que lui, celui qui, dès 1962, avait clairement signifié son opposition au pouvoir du duo Ben Bella-Boumediène : Mohamed Boudiaf. Homme de caractère doté d'une forte personnalité, Boudiaf, qui avait volontairement abandonné la politique, par dépit depuis 1979, gérait tranquillement sa petite entreprise familiale à Kénitra, au Maroc lorsqu'il fut sollicité pour cette lourde responsabilité. Une sollicitation qu'il déclinera sèchement d'ailleurs une première fois avant de finir par se faire convaincre par des hommes comme Ali Haroune ou feu Abou Bakr Belkaïd. «L'Algérie a besoin de moi ? Demain je serai à Alger», aura fini par répondre celui qui est considéré comme le père de la Révolution. Et, le 16 janvier, il revenait au pays. «Je tends ma main à tous les Algériens sans exclusive.» C'était sa toute première déclaration faite à son arrivée au salon d'honneur de l'aéroport d'Alger. Or, il se rendra vite compte que ce genre d'élan rassembleur, sincère au demeurant, n'est pas du tout le langage que comprend un mouvement obscurantiste et belliqueux. Le FIS avait eu comme seule «réponse», la multiplication des attentats terroristes, les manifestations violentes et Boudiaf le découvre sur sa vrai nature : un parti islamiste, d'essence insurrectionnelle et rien que cela. Dès lors, il change très vite de méthode : il dissout le FIS dès le mois de février et impose l'autorité de l'Etat sur la place publique. La répression était à la mesure de la menace qui s'abattait sur le pays et Boudiaf, comme tous les grands dirigeants dans l'Histoire, assume : «S'il faut éliminer les trois millions qui ont voté FIS pour sauver l'Algérie, eh bien nous le ferons», répondait-il, d'ailleurs, excédé, à une question vicieuse d'une journaliste française qui se lamentait exagérément sur le sort des «détenus politiques». En quelques semaines, Boudiaf avait réussi à inverser la tendance, à faire «changer de camp à la peur» pour reprendre l'historique formule de Réda Malek, et à redonner espoir aux Algériens. Des Algériens qui découvrent aussi un discours et un style dont ils n'osaient même pas espérer à peine quelques semaines auparavant, à ce niveau de la responsabilité. Le peuple algérien finira par vite adopter son Président sans le moindre effort de propagande officielle. Du jamais vu dans l'histoire de ce pays. Mais il est, 21 ans après, l'odieux acte du lieutenant Lembarek Boumaârafi, qui ne cesse de réclamer sa sympathie pour le FIS dissous, qui a invariablement répété avoir agi par conviction religieuse, que la piste islamiste est systématiquement évacué à chaque fois que l'on évoque l'assassinat du Président Mohamed Boudiaf ! Pas même, chez certains, l'élémentaire question : à qui profite le crime ? Beaucoup feignent d'oublier la déferlante spectaculaire du terrorisme qui a frappé l'Algérie après l'assassinat de Boudiaf. Ou les obscènes scènes de liesses de militants et sympathisants du FIS à l'annonce de la mort du plus grand président que l'Algérie ait jamais eu...